Avenge but one of my two eyes (Pour un seul de mes deux yeux) de Avi Mograbi
(2005)
Nouvelle étape dans ma découverte du cinéma d'Avi Mograbi, et je tombe sur ce qui est sans aucun doute son meilleur film à ce jour.
Pour un seul de mes deux yeux, c'est à la fois un film qui épouse parfaitement les thématiques de Mograbi tout en les faisant évoluer, un film qui se pose donc comme un film de la continuité mais c'est aussi une œuvre qui marque une violente rupture avec ses essais précédents, au point que l'on en vient à se demander si le film ne serait pas une étape de la maturité artistique. Ainsi, Pour un seul de mes deux yeux est le premier véritable documentaire pur de Mograbi, ses précédents films étant soit des échecs, des films expérimentaux ou des making-of, et c'est aussi le premier film où il n'a pas besoin d'inclure la fiction pour contrebalancer son sujet, même les séquences téléphoniques, gimmick du cinéma de Mograbi, paraissent bien plus réelles que par le passé. Et grâce à cette réalité omniprésente, l'auteur laisse enfin les images parler d'elles-même, comprenant que les situations et paroles qu'il capte, aidées par le montage, peuvent être le seul dialogue du film. Tournant dans les territoires palestiniens occupés, Mograbi devient alors un point de vue neutre devant des situations souvent explosives, laissant le spectateur penser et juger de lui-même, à l'inverse totale de ce qu'aurait fait un réalisateur comme Michael Moore. Via un montage alterné entre une excursion scolaire dans une ancienne cité hébreux et des confrontations injustes entre israéliens et palestiniens, Mograbi rappelle tout le long de son film le message du mythe biblique de Samson et sa répercussion sur le conflit actuel, les deux peuples cherchant à s'anéantir pour les même raisons : le souvenir d'une gloire passée, la quête d'une identité nationale (et donc géographique) et surtout l'attente du premier pas vers la liberté et le respect entre les individus. En cela,
Pour un seul de mes deux yeux devient rapidement le film le plus puissant de la filmographie d'Avi Mograbi, et l'ultime séquence du métrage va aussi totalement dans ce sens, montrant le cinéaste lui-même exploser de rage devant un groupe de soldats à la bêtise palpable. L'humain prend alors le pas sur le réalisateur, et si cet acte peut être vu en soi comme une erreur d'objectivité, il peut être facilement interprété comme la remise en question totale du cinéma engagé, ou comment un auteur jusque là passif décide finalement de changer les choses via une prise de risque physique (cela fait d'ailleurs écho à une séquence précédente où Mograbi, entouré de soldats l'empêchant de filmer, devient la victime d'une sorte de viol filmique). En plus d'être l'un des meilleurs documentaires de ces dernières années,
Pour un seul de mes deux yeux s'impose facilement comme l'une des œuvres les plus justes et les plus captivantes du conflit israélo-palestinien. Une œuvre majeure qui risque hélas de rester d'actualité dans les décennies à venir.
NOTE : 8/10