C'est Mark qui parlait il y a quelques pages de fin de série réussie mais de saison bancale; je le conçois tout à fait. Rien que la structure de cette saison, avec une moitié de temps passée sur des flash-sideways qui ne révèlent leur vraie nature que dans la toute fin de la saison (et qui n'ont pas d'impact sur les événements de l'autre moitié de la saison d'ailleurs), ça pose sans doute un problème narratif (particulièrement au premier visionnage, où tu peux vraiment te demander pourquoi tu passes tant de temps avec ces clones étranges des personnages que tu connais). Et même sur l'île, la plupart des personnages sont ballotés d'un endroit à l'autre sans toujours bien comprendre ce qu'ils font (et le spectateur aussi).
Mais avec le recul, en connaissant la fin à l’avance, en ayant, comme dit dans les pages précédentes, assimilé le fait que le cœur de la série était le lien entre les personnages, je trouve que ça fonctionne vraiment bien. On peut voir du fan-service dans ces flash-sideways, surtout dans le fait que quasiment chaque personnage secondaire revient faire un petit coucou; quelque part, j'y vois plus aussi (en partie) un discours méta - cette saison, elle parle directement au spectateur, le discours final de Christian Shepard s'adresse littéralement à nous en parlant de "remember, let go, move on". Et le fait de revoir tout le monde, de voir les personnages principaux se "réveiller", se retrouver une dernière fois, petit à petit, c'est à la fois un adieu entre eux, mais aussi un adieu pour le spectateur. Je pense que rarement une série aura autant joué avec ce qu'elle représentait pour le public (ce qui n'aura pas empêché la violente baffe dans la gueule en retour cela dit).
Avec cet état d’esprit, tout prend une toute autre dimension. Dès le premier épisode : la scène de l’atterrissage de l’avion à LAX, bordel…le fait de VOIR cette scène qui ne devrait pas exister, sublimée par la musique de Giacchino (peut-être un de ses plus beaux thèmes, c’est dire), ça fout des frissons. Et il y a tellement de dialogues et de situations qui, au-delà du simple jeu de références, portent en eux un double sens, un rapport direct à ce que vit le personnage, ce qu’il a vécu dans son autre vie, ou ce que d’autres ont vécu, la place qu’il a dans le monde et dans la série, qui montre le chemin final que prend le show – c’est brouillon, je sais, mais je trouve l’expérience franchement unique. On peut trouver ça facile, étant donné que ça n’a aucun lien direct avec l’histoire qu’on voit sur l’île, mais encore une fois, pour peu qu’on soit impliqué émotionnellement dans le destin des personnages, ça marche vraiment bien. Toutes les scènes entre Jack et Locke par exemple sont parfaites (toute la trajectoire du personnage de Jack au fil de la série est d’ailleurs passionnante).
Il y a du « déchet ». Par exemple, on se serait sans doute bien passés de suivre une nouvelle fois les aventures de Kate en fuite, mais quand on y réfléchit, il était presque indispensable de montrer ça dans les flash-sideways. Vu la structure de la série, avec les épisodes centrés sur les personnages depuis le début, et vu le statut de Kate dans Lost (tout de même un des personnages principaux, qu’on aime ou pas), ne pas faire de Kate-Centric dans la saison 6 était impossible ; ça aurait juré avec le reste de la série. Et les scénaristes ont cela dit le bon goût de ne pas s’éterniser sur Kate par après dans les flash-sideways d’ailleurs.
Il y a d’autres scènes comme ça dans ces flash-sideways, qui sont moins captivantes, un peu too much, etc…Mais en fait, il y a tout de même une vraie cohérence d’ensemble. Lost n’est pas une série parfaite, et finalement ces flash-sideways retranscrivent, d’une autre manière, avec des intrigues différentes, un condensé de l’expérience de la série.
Quand à tout ce qui se passe sur l’île, on peut trouver ça assez « dispersé », les multiples intrigues se rejoignent de façon un peu forcée parfois (le duel Ben-Widmore notamment). Il y a sans doute trop d’intervenants. Mais globalement, ça tient bien la route, et la série a l’excellente idée de rester sur le plan métaphorique concernant la nature réelle de l’île ; on sait qu’il y a une lumière à protéger, que cet endroit est important, et ça suffit. Le reste, c’est justement une question de croyance, de foi mêlée à du rationnel, et ça dit quelque chose de vraiment profond sur la nature humaine. A ce titre, l’épisode « Accros the sea » est presque un manifeste : c’est la clé de décryptage du reste de la série – on comprend que le cycle des aventures sur l’île se poursuit depuis toujours ou presque, qu’il y a toujours eu des personnages qui cherchent des réponses, des leaders qui agissent comme des guides pour les autres (quitte à abuser de leur pouvoir) mais tout en ayant eux-mêmes des bribes d’informations uniquement, et qu’au fond, au milieu de tout ça, chacun doit tracer sa propre voie. Bref, la vie quoi.
A l'époque, j'avais eu un vrai rejet de cette saison, comparable à ce qui s'est passé pour beaucoup de gens avec la dernière saison de Game of Thrones. D'ailleurs, ça a été beaucoup dit l'année passée, mais la réception finale de ces deux séries par la majorité du public présente de grandes similitudes, avec des fans qui brûlent complètement ce qu'ils ont adoré (même si l'idée qu'on retrouvait à chaque fois dans les commentaires négatifs était que, justement, ce qu'ils avaient adoré n'était plus là, ce qui était le problème). L'autre comparaison tient au fait que ce sont deux séries qui ont généré un engouement et un phénomène de société particulièrement poussés. Le rejet tient dès lors selon moi en une idée principale : en tant que spectateur, lorsqu'on s'est tellement investi, projeté dans une série, pendant tant d'années, on veut qu'elle corresponde à nos attentes personnelles, à ce qu'on voudrait qu'elle soit. Et on ne parvient plus à accepter la série pour ce qu'elle est. En aucun cas, le fait d'accepter l’œuvre pour ce qu'elle est ne doit la dédouaner des défauts légitimes qu'on pourrait lui trouver, c'est certain. Mais pour Lost comme pour Game of Thrones, on est clairement passé à un autre stade que celui de la simple déception ou de la critique d'éléments du show.
Je ne sais pas ce qu'il en sera pour Game of Thrones (qui devra toujours subir la comparaison avec les livres de toute façon), mais je suis content de voir à quel point Lost vieillit bien.