Antichrist
Lars Von Trier - 2009
Au premier visionnage (il y a environ sept ans), je n'avais pas fait attention que les deux personnages joués par Dafoe et Gainsbourg n'étaient à aucun moment nommés. Il s'agit de "il" et de "elle", manière de les poser comme des personnages universels et représentatifs de leur sexe respectif. Et pourtant, dans le film, "elle", épouse traumatisée par l'accident mortel de son enfant, suit la longue lignée des personnages féminins persécutés que Lars Von Trier, de
Breaking The Waves à
Manderley en passant par
Dancer in the dark et
Dogville ,n'a eu de cesse de filmer, comme un leitmotiv obsessionnel.
Reste cependant à bien la situer : est-elle plus proche de Selma, l'héroïne jouée par Bjork dans
Dancer in the dark, personnage pur mais qui, manipulée par un homme, sera mise à mort ? À certains éléments de langage qui donne à penser qu'être l'épouse de son thérapeute de mari, selon elle indifférent et insensible, a été une torture, on peut le penser.
Mais en même temps, difficile aussi de ne pas penser à Grace, dans
Dogville. Personnage d'abord bafoué, humilié, persécuté, que l'on prend en pitié, mais qui s'avère posséder en lui une petite graine malfaisante qui ne demande qu'à éclore. Ainsi, sans trop en dire, le détail des "chaussures inversées", la découverte de son carnet de thèse et d'autres belles surprises encore qui auront valu à Von Trier toutes les insultes, notamment celle de misogyne dégueulasse.
Or, ce n'est pas si simple. "Chaos reigns", proclame un surprenant personnage lors d'une scène clé. Il ne croit pas si bien dire car effectivement, le film, à travers ses montagnes russes émotionnelles, surtout dans sa deuxième partie et lors de son énigmatique plan final, conserve une part chaotique, cryptique, un "salmigondis" auront sans doute moqué certains critiques paresseux de l'époque. Si l'on veut, je préfère pour ma part y voir une matière brute mi-réaliste, mi-onirique, faite pour faire résonner dans l'esprit, une fois le film terminé, des détails qui appellent à un autre visionnage.
Pourtant j'ai un peu souffert lors de la première heure. Trop bavard et j'ai surtout trouvé que Von Trier avait échoué à rendre menaçante cette nature que "elle" évoquait pourtant comme une entité incarnant à ses yeux la peur absolue. C'est que dans ce huis clos, ce chalet perdu en pleine forêt (surnommé "Eden"), c'est un peu le Overlook Hotel des personnages. Hantée par des croyances renvoyant au mythe de la sorcière, elle se manifeste par des détails tenant d'une sorte de naturalisme grotesque : la biche qui s'enfuit avec son faon en train de naître ballotté de moitié par la vulve, les glands qui tombent sur la toiture, les sangsues sur la main de Dafoe... Surprenant, insolite, mais pas terrifiant en soi. C'est davantage au cours de la deuxième moitié, avec les révélations successives concernant le personnage de Gainsbourg, que j'ai davantage senti une force terrifiante émaner de la forêt. D'ailleurs, c'est marrant, mais en évoquant
Shining je m'aperçois que le film partage d'autres points communs : un accident arrivant à un jeune garçon, le motif du labyrinthe, la découverte stupéfiante d'un écrit, une poursuite meurtrière, une ruse pour s'échapper, un sabotage pour empêcher la fuite, enfin un personnage féminin peu avenant et hystérique d'une brune maigrichonne aux longs cheveux et au visage chevalin. Continuer à trouver des points communs n'aurait pas de sens mais j'en vois au moins un dernier : une capacité à donner du poids à des mots, à des objets (et je ne pense pas forcément à la paire de ciseaux utilisé lors d'un plan éprouvant) et à leur donner un miroitement symbolique fait pour donner envie d'un deuxième visionnage, histoire de savourer un peu plus les beautés du chaos selon LVT.