La Kermesse des Aigles
(George Roy Hill - 1975)
Dans mon souvenir, peut-être à cause du mot "kermesse",
La Kermesse des Aigles était un film léger, tenant de la comédie avec des merveilleux fous volants exerçant à l'époque des premiers meetings aériens (ou plutôt les "cirques volants") pour ébahir les foules. Et l'introduction avec sa musique de fanfare confirme cette impression. Mais j'avais manifestement occulté deux événements traumatiques (l'un concernant une femme, l'autre un homme, n'en disons pas plus) qui transforment la farce en quelque chose de plus sombre. Et à ce titre, le titre français est finalement plus pertinent que l'américain (
The Great Waldo Pepper), avec ce contraste entre une festivité ludique, un rien populacière (en tout cas telle qu'elle apparaît dans le film), et l'idée d'une certaine noblesse.
Car noble, Waldo Pepper, jeune aviateur de génie mais étant passé à côté des grandes batailles en Europe lors de la guerre 14-18, l'est certainement, malgré la bouffonnerie de ce qu'il peut lui arriver au début du film. Noble dans sa manière d'être irrémédiablement aimanté vers le ciel, faculté qu'il partage avec le redoutable Ernst Kessler, pilote allemand qu'il eût pu rencontrer dans le ciel français durant la guerre mais qu'il rencontre finalement en tant que conseiller technique lors du tournage d'un film racontant justement une fameuse bataille à laquelle Waldo avait failli participer. Sur le plancher des vaches, il a bien une bonne amie mais cette dernière est reléguée à une simple nurse qui le reçoit après chacun de ses accidents, apparemment fort nombreux à l'époque des biplans et des triplans.
Malgré le danger, accentué par d'invraisemblables cascades (assez joliment mises en scène) qui font froid dans le dos quand on se dit que l'on tolérait ce genre de choses à une époque, malgré les événements traumatiques, Pepper continue de s'envoyer en l'air, et ce pour des spectateurs qui ont en commun le goût du spectaculaire et même celui du sang. Ce n'est pas totalement
Le Prix du Danger d'Yves Boisset mais il y a un peu de ça. C'est la société du spectacle dans tout ce qu'il peut y avoir de plus infect et de dérangeant, comme l'attestera le deuxième traumatisme. Et à ces spectateurs de meetings répondront ceux des films, à une époque où l'on se dit que le syndicat des cascadeurs était inexistant. Interdit de vol, Pepper parviendra à continuer de voler sous un faux nom en se faisant embaucher comme cascadeur, puis comme pilote à la Paramount. Et là aussi, le cynisme des metteurs en scènes pour lesquels une bonne prise vaut bien qu'un cascadeur casse sa pipe ne le dégoûte en rien de continuer à jouer sa vie dans les airs.
À vrai dire peu lui importe : le film s'ouvrait sur un mensonge raconté par Waldo à une famille, mensonge exaltant les vertus chevaleresques de deux pilotes de guerre s'affrontant ans les airs lors d'une fameuse bataille. Supercherie car l'exploit raconté, supposé avoir pour protagonistes Waldo et Ernst Kessler, occultait le fait que c'était un autre que Waldo qui avait eu l'honneur de briller dans les airs contre le redoutable Allemand. Et d'une certaine manière, là aussi sans trop en dire, le film se termine aussi sur un mensonge. Mais entre les deux, le bouillant pilote aura gagné ses galons d'aigle et ledit mensonge, spectacle dans le spectacle d'un film, spectacle non prévu par son metteur en scène, témoignera d'une fuite vers la fiction, vers le fantasme mais aussi vers la recherche de valeurs élevées, seul moyen peut-être de contrebalancer la laideur de la société du spectacle qui vaudra d'ailleurs à Waldo Pepper de s'éteindre en 1931, âgé de trente-six ans, jeune donc, comme beaucoup de pilotes de ces cirques volants.
8/10