TOP GUN : MAVERICK
La place particulière occupée aujourd'hui par Tom Cruise dans l'industrie cinématographique tient autant à ses qualités d'acteurs (aujourd'hui peut-être moins visibles qu'hier, alors que le jeune premier s'illustrait chez les plus grands cinéastes de la fin du siècle) qu'à ses qualités de producteur et de metteur en scène. En effet, qui d'autre que Cruise pour mettre Cruise en scène ? Toute sa filmographie des vingt dernières années semble être pensée pour donner vie à l'écran à une version fictive de l'acteur, ce dernier campant inlassablement le même rôle, sorte d'anachronisme synthétisant le meilleur du cinéma policier et d'action des années 70 et 80.
Que penser alors à l'annonce de la suite du film qui fit de Cruise une superstar près de 40 ans auparavant ? Volonté paresseuse de miser sur la fibre nostalgique actuelle qui offre à tout souvenir de plus de dix ans un potentiel commercial substantiel dans l'enfer de ce qu'est devenue une certaine pop culture ? Ou nouvelle expression d'un acteur/auteur qui continue d'écrire son histoire à contre courant de l'évolution du cinéma dit « de divertissement » ? C'est évidemment la seconde option qui l'emporte avec un résultat qui dépasse toute espérance avec ce film magnifique sur le temps qui passe.
On retrouve notre héros comme on l'avait laissé, même apparence, même fougue, même rapport conflictuel à l'autorité. Maverick semble être bloqué dans le temps, comme si ces décennies qui nous sépare des événements du premier film n'avaient pas existées. Rien d'étonnant pour le spectateur puisque Cruise lui-même semble n'avoir pas vieilli depuis 40 ans. Son apparence physique est la même et sa place dans le cinéma n'a pas bougée. Un dernier affront de trop et le monde moderne rattrape Maverick/Cruise : il est temps de laisser la place au monde moderne, la roue a tournée. Et c'est là que le film commence vraiment.
Contraint de revenir à Top Gun, c'est moins un remake déguisé qui va se jouer devant nous qu'un rembobinage intégral du film d'origine afin d'en corriger les stigmates et d'en guérir le traumatisme (la mort de Goose). Ce retour aux origines est l'occasion pour Maverick/Cruise de faire le bilan de sa vie. Lui est resté ce gamin impétueux et tête brûlée là où ses amis sont soit montés en grade, soit ravagés par le temps (magnifique scène avec Val Kilmer où le jeune premier qui a survécu intact rend hommage à celui qui s'est brûlé les ailes) soit morts. Que faire alors quand l'horloge tourne et que le monde vous pousse vers la sortie ?
C'est le génie du film de s'offrir une polysémie qui lui permet de s'affranchir du minimalisme de son intrigue. L'enjeu est on ne peut plus schématique et caricatural (bombarder une base ennemie en volant le plus vite possible pour ne pas être repéré) car le vrai enjeu est ailleurs : si la mission semble impossible, c'est justement que Maverick/Cruise va devoir prendre le temps à rebours pour le soumettre à sa volonté. C'est au cours de cette mission suicide qu'il va définitivement s'affranchir de toute contrainte temporelle pour réussir l'impossible, ramener ses « enfants » à la maison et guérir son traumatisme en sauvant le fils de Goose. Et pour ce faire, on note, toujours dans ce besoin de remonter le temps, que pour s'en sortir, Maverick va, tout au long du film, devoir piloter des engins de plus en plus anciens, comme s'il remontait le fil de son histoire.
Le film pourrait presque être le songe de Maverick/Cruise imaginant son éternel retour et la possibilité de changer le cours de temps. Une théorie circule sur les réseaux : Maverick serait mort à la fin de la scène d'introduction (son retour sur Terre, qui semble sortir d'un film de SF des années 50, joue habilement là dessus) et le film serait donc le fruit de son esprit qui s'imagine revivre une version corrigée de sa vie. J'aime beaucoup cette lecture qui me semble particulièrement pertinente.
Il y a quelque chose de profondément bouleversant à voir cet acteur aimé chercher à vivre une vie supplémentaire, se réfugier dans son passé pour le revivre éternellement. La dernière scène avec Jennifer Connelly qui vient chercher Cruise au volant d'une voiture qui semble sortie d'usine, comme si effectivement, le temps s'était arrêté en 86 est particulièrement émouvante. La relation entre ces deux personnages, qui semblent des adolescents éternels (Cruise obligé de sortir par la fenêtre), achève de rendre Top Gun : Maverick un grand film mélancolique et le portrait d'une star vieillissante et qui, en refusant de mourir, offre un spectacle incroyable à ses fans.