La carrière de Jean-Jacques Annaud, depuis ses débuts, a toujours été construite à partir de projets qui, sur le papier, s’annonçaient soit difficiles, soit carrément impossibles à vendre. Une filmographie riche en diversité et en culot donc, ce que ne fait pas mentir le nouveau long-métrage du réalisateur, qui s’avère assez unique dans le paysage cinématographique français. Alors qu’on lui propose la réalisation d’un documentaire sur l’incendie de Notre-Dame de Paris, Annaud prend le contre-pied de l’offre : pourquoi, alors que le matériau s’y prête, ne pas faire plutôt un pur film catastrophe sur la tragédie, en mêlant les différents protagonistes pour obtenir l’aspect choral que l’on trouve généralement dans ce genre de films ? Une idée qui, on le remarque sur le net, a rapidement été moquée, possiblement parce qu’il est rare que le cinéma français se penche aussi vite sur des événements réels, et aussi sans doute parce que dans la tête du public français le film catastrophe se doit d’être anglo-saxon, mais le fait est qu’Annaud s’en sort avec les honneurs et aura, encore une fois, provoqué la surprise de mon côté.
Déjà, les doutes qu’avaient pu me laisser la promo marketing se sont vite évanouis : les images vendaient quelque chose d’assez cheap et soap dans l’esprit, mais il n’en est rien. Annaud livre un pur film catastrophe premier degré qui va complètement épouser son sujet, quitte à laisser de côté une partie des spectateurs qui verront dans l’aspect religieux du métrage une tendance à en faire des tonnes. Pourtant, impossible de ne pas traiter le sujet sans prendre en compte l’importance religieuse et spirituelle de l'événement, et ça, Annaud le comprend parfaitement en livrant des images fortes et lourdes de sens. Le côté pompier (sans mauvais jeu de mot) est ici complètement assumé et fait partie intégrante du projet, et à partir du moment où on l’accepte c’est vraiment un régal tant ça part dans le spectacle total où la symbolique prend le pas sur le réel (les chants dans les rues) et où l’imagerie va à fond dans le délire (la gargouille à tête satanique qui va déverser le plomb brûlant, les cloches qui sonnent à nouveau grâce à l’eau des pompiers
, etc…).
Un côté assumé qui se ressent jusque dans les storylines, où on donne une importance non négligeable au sauvetage de la couronne d’épines du Christ, mais ça ne prend jamais le pas sur ce qui semble intéresser au plus haut point Annaud, à savoir permettre au spectateur de revivre l'événement à travers les yeux de ceux qui étaient à l’intérieur de la cathédrale, et c’est là où le film frappe le plus fort à mon sens. En France, on a toujours peur de faire du spectaculaire au cinéma, au point qu’essayer d’en faire dans nos frontières est souvent mal vu, comme si on essayait de dépasser notre condition de petit cinéma national, et il fallait bien quelqu’un comme Annaud, qui n’a pas hésité à faire des films ailleurs pour satisfaire ses besoins d’ampleur, pour dynamiter cette idée préconçue. Son film est immersif au possible, fait de quasiment chaque étape un passage d’action ou de suspens (cette scène enfumée où le plomb commence à couler sur les casques !
), et permet de rendre hommage, à travers un spectacle total, à toute la profession de pompier.
Le film a aussi ses défauts, que ce soit à travers quelques choix de casting moins inspirés que d’autres, le fait d’avoir certaines storylines qui ne servent pas à grand chose (je cherche encore à savoir à quoi sert celle avec la grand-mère dont le chat est coincé sur un toit
, et le caméo de Hidalgo n’était pas forcément obligatoire
), mais à côté de ça le film arrive tellement à transformer en qualité des choses pas évidentes (je pense, par exemple, à l’utilisation d’images d’archive, qui est ici admirablement bien gérée) que je pardonne ces écarts bien volontiers. Formellement, comme sous-entendu plus haut, Annaud montre tout son savoir-faire, et la reconstitution est complètement dingue : le tournage a beau avoir eu lieu en studio et dans plusieurs églises différentes, on a toujours l’impression d’être à Notre-Dame et ça c’est vraiment un exploit. Côté musique, j’ai eu à plusieurs reprises durant la vision l’impression d’entendre du James Horner, et sans surprise c’est Simon Franglen qui signe la BO, lui qui reprend les projets d’Horner et qui fera notamment les suites d’
Avatar pour Cameron. Le résultat fonctionne très bien à l’écran : ça en fait des tonnes, mais ça marche complètement avec les images d’Annaud et la note d’intention du métrage, comme chez Horner ça va à fond dans l’empathie avec le spectateur et autant dire que le projet s’y prête parfaitement. J’attendais un film au mieux passable, mais comme souvent Annaud a réussi à prendre à revers mes attentes pour mieux me surprendre, et même si ce n’est pas le film dont on se souviendra forcément de sa part, ça reste un sacré morceau de cinéma de la part d’un réalisateur qui approche bientôt des 80 balais !