Ready Player One de Steven Spielberg
(2018)
Déjà la quatrième vision, et ça s’impose clairement parmi les meilleurs blockbusters de ces dernières années, et définitivement un des plus réjouissants. Pourtant, il y avait de quoi avoir des appréhensions : voir Spielberg adapter un bouquin qui est en grande partie un amas de références pop, le tout dans un univers qui ne peut décemment pas être reproduit dans la réalité et donc qui nécessite une énorme quantité d’images de synthèse (chose qui n’était pas spécialement le point fort de Spielberg sur The BFG). Mais d’un projet en apparence assez égocentrique (le livre, et donc le film, est clairement influencé par l’œuvre de Spielberg sans jamais s’en cacher), le réalisateur en tire non seulement un de ses divertissements les plus efficaces depuis longtemps, mais aussi une réflexion dense sur l’héritage de son cinéma, comme une sorte de testament qui permet au bonhomme de constater le chemin parcouru tout en incitant les générations suivantes à aller de l’avant.
Car finalement, le monde dépeint de Ready Player One, bien qu’étant un univers d’anticipation, est finalement très proche du nôtre : un monde où l’on a baissé les bras, où l’on a laissé l’industrialisation régner sur notre monde au point de le transformer en espace morne et surpeuplé, et où quasiment tout le monde préfère s’enfermer dans un monde virtuel en grande partie basé sur la nostalgie des précédentes décennies. Bref, difficile de ne pas y voir un regard sur notre époque, d’autant que Spielberg y ajoute quelques thématiques très contemporaines (notamment le fait de projeter tellement ses propres fantasmes sur son avatar qu’on finit par se détester soi-même pour ne pas être aussi parfait), mais j’ai même presque envie de dire que Ready Player One est au fond un film sur le cinéma d’aujourd’hui, un peu comme l’était aussi Speed Racer la décennie précédente. Ainsi, on peut aisément interpréter le film sous ce prisme : le combat entre un gros studio, obsédé par les chiffres et la rentabilité, où l’amour de l’art est juste une façade pour se mettre le public dans la poche, et des jeunes indépendants qui refusent de sacrifier leurs valeurs et leur attachement sincère envers une pop-culture qui les a fait grandir.
A côté, difficile de ne pas voir en Halliday une certaine projection naïve de Spielberg, veillant sur son héritage en attendant de passer la main à une jeune génération qui aura fait ses preuves, et dont la seule hantise est que l'œuvre de sa vie tombe entre les mains de financiers peu scrupuleux. Autant de points qui renforcent le côté œuvre-somme de Spielberg (au moins pour ses films à tendance blockbuster, ce n’est pas un hasard si Jurassic Park et War of the worlds sont mentionnés), et qui rendent définitivement le plus profond qu’il n’y paraît, loin du bête divertissement qui n’existe que pour ses références que certains spectateurs y ont vu. Surtout qu’au-delà de cette profondeur scénaristique surprenante, le film est quand même un bel exemple de ce que le blockbuster américain peut faire de mieux ces derniers temps, bien loin des copier-coller qu’on se bouffe à la chaîne depuis des années, ici c’est vraiment du spectacle jamais vu auparavant, avec des concepts osés, le tout mêlé à une patte Amblin particulièrement appréciable, rendant définitivement ce film comme une production ayant à la fois un pied dans le passé et dans le présent pour mieux épouser son propos.
Spielberg y prouve en plus une vitalité assez extraordinaire, et signe l’équivalent d’un Mad Max : Fury Road : jamais on a l’impression qu’un réal de 70 piges est derrière la caméra, et ça donne une fessée monumentale à toute une génération de réalisateurs qui aimeraient réaliser un métrage à moitié aussi fou que celui-là d’un point du vue formel. Entre la course où toutes les règles sont permises (c'est le chaos absolu, mais pourtant TOUT est lisible), la scène de night-club, l’acte final qui est juste un enchaînement de climax (Iron Giant et un Gundam VS MechaGodzilla, dans le genre fantasme ultime ça se pose là) ou encore la séquence qui revisite Shining (chose assez émouvante quand on sait que c’est à l’époque du tournage de ce film que Spielberg a rencontré Kubrick), c’est une succession de séquences jaw-dropping où le réalisateur prouve non seulement sa maîtrise totale des outils narratifs par l’image, mais où il se fait aussi clairement plaisir avec l’absence de caméra physique, rendant son film presque expérimental par moment (entre les nombreux plan-séquences qui parsèment le métrage, il y a notamment un plan que je trouve complètement dingue, avec la caméra qui part d’un champ de bataille pour arriver sur le bad-guy, le tout avec un changement complet de focale du plus bel effet, et qui serait impossible à faire avec une véritable caméra).
Si je devais avoir quelques réserves, ce serait du côté du casting où on n’atteint pas forcément le level habituel de chez Spielberg en termes d’interprétations, mais ça reste quand même de bonne qualité, c’est juste qu’on ne retiendra clairement pas le film pour ça, d’autant que les avatars se taillent une part du gâteau non négligeable. Par contre, côté effets visuels, c’est facilement un des films les plus impressionnants sortis récemment, ça arrive à trouver le juste milieu entre une artificialité assumée pour l’OASIS, et un photo-réalisme souvent saisissant, et c’est quelque chose qui va, je pense, permettre au film de bien vieillir dans les années à venir, alors que d’autres films tout-CGI ne misant que sur le réalisme vont prendre cher. Pas de Williams au score, et c’est bien dommage car ça aurait pu être monumental vu le matériau, mais pour le coup Silvestri fait un super job en collant avec quelque chose de très proche du fameux compositeur dans l’esprit. Bref, c’est un film qui venge de la fadeur et de la répétitivité du divertissement américain moyen de ces derniers temps (comme le dit la chanson des Twisted Sister que lance le héros au début du climax final : “We're not gonna take it anymore”), mais c’est aussi un film qui donne l’impression d’être un point final à tout un aspect de la carrière de Spielberg : celle du divertissement dans tout ce qu’il a de plus glorieux et noble.
8/10