Voilà un film que j’aurais voulu apprécier, car sur le papier c’est vraiment tout ce que je peux aimer, mais à l’arrivée c’est un métrage tellement focalisé sur son aspect formel qu’il en oublie complètement son spectateur, et ça le transforme en film particulièrement pénible à suivre. Dreyer, c’est pas un réal dont je suis spécialement convaincu par la réputation, son
Procès de Jeanne d’Arc s’impose à mes yeux comme un film très surcoté, mais je ne peux pas lui enlever le fait que le bonhomme savait filmer comme peu à l’époque, et ici c’est facilement le film le plus moderne que j’ai pu voir de lui. On va donc avoir une histoire de vampire (no shit
) avec un héros qui arrive dans un village où une créature habite et...et...et bah je serais bien en peine de raconter ce qu’il se passe par la suite, pas parce que c’est mal raconté, mais tout simplement parce que ce n’est pas raconté
.
Il faut le voir pour le croire : passée la situation initiale,
Vampyr consiste à suivre un héros qui évolue de décor en décor, sans but ni enjeu, avec un air complètement ahuri, et quand une histoire se met vaguement en place ça n’est jamais par l’action, mais par des cartons ou des longs plans sur des pages de bouquin
. Une volonté de narration qui doit sûrement beaucoup à un tournage pas des plus évidents (chaque plan dialogué à été tourné trois fois : en anglais, en français et en allemand) et qui a forcé Dreyer a utilisé le moins de paroles possibles alors que c’est son premier film parlant, mais du coup, à côté de ça, le mec utilise les plus grosses ficelles de la narration muette pour faire fonctionner son film, et ça rend le truc indigeste. D’autant qu’au final, on se rend bien compte que l’histoire n’intéresse guère Dreyer, qui l’utilise plus comme un prétexte pour aligner les séquences étranges et les plans travaillés.
De ce côté là,
Vampyr est une pure réussite : on a l’impression d’évoluer dans un rêve torturé, et nombreux sont les plans complètement dingues, que ce soit par leurs trucages étonnants (les jeux d’ombre alors que le personnage ne bouge pas, le reflet d’un personnage dans l’eau alors qu’on ne le voit pas sur la rive
, etc…), leur puissance visuelle (quasiment chaque plan avec le porteur de la faux) ou tout simplement leur modernité affolante (le procession mortuaire vue à travers les yeux du cadavre dans le cercueil, c’est du génie pur à ce stade
). Dommage que tout ce travail formel, encore une fois complètement dingue pour l’époque, soit au service de quasiment rien du tout, et du coup ça donne un film bien lourdingue à regarder, où on se réveille parfois devant les étonnantes propositions visuelles. Le film montre vraiment à mon sens les limites extrêmes de l’expressionnisme allemand : à trop vouloir faire un film en se reposant juste sur l’aspect formel, on en oublie que ce n’est pas ça qui rend un long-métrage regardable.