1) Poster des liens vers des articles qui apportent / nourrissent des réflexions sur les enjeux de la traduction littéraire ;
2) S'interroger précisément sur les traductions à privilégier.
Je commence avec cet article intéressant sur les traductions de Dostoïevski par André Markowicz :
Les raisons qui poussent à retraduire une œuvre sont multiples : les traductions précédentes peuvent se révéler parcellaires ou très approximatives, ou le texte original enrichi d’une nouvelle version. Le plus souvent c’est la langue qui évolue, rendant obsolètes certaines traductions. Mais la langue seule ne change pas, c’est aussi le cas des outils à la portée du traducteur, toujours plus performants, ainsi que des normes de traductions (dans le cas des noms propres, par exemple).
Quand on l’interroge sur son métier, la réponse est simple : « Le traducteur est un imposteur » . Ainsi avoir lu une traduction ne signifie pour lui en aucun cas avoir découvert Dostoïevski et il regrette que cela ne soit pas acquis pour une majorité de lecteurs. Selon lui, le texte produit par le traducteur est rempli d’intentions qui diffèrent de celles de l’auteur. André Markowicz considère ainsi la traduction comme une interprétation et comme une création, au même titre qu’une mise en scène, car un livre n’aurait pas de réalité objective : Dostoïevski peut connaître autant d’interprétations que de lecteurs
Il déplore les efforts fournis depuis la découverte de Dostoïevski pour adapter, franciser, policer le texte original afin de le plier aux normes littéraires et grammaticales françaises. Ces traductions reflètent selon lui davantage une époque littéraire française plutôt que celle du texte original.
Il revendique en outre la maladresse de style, et n’hésite pas à reproduire les répétitions du texte russe, pourtant honnies en français, au motif que la norme du « bien écrire » n’a jamais préoccupé Dostoïevski. Il privilégie ainsi une langue quasi-rustique, n’hésitant pas à supprimer le « ne » de la négation, inexistant en russe, ni à employer le « on » à la place du « nous », ou encore à supprimer allègrement les conjonctions de coordination entre les propositions. L’effet recherché est un rapprochement du lecteur au personnage sans qu’il y ait besoin d’avoir recours au style indirect libre, un effacement de la frontière qui sépare habituellement la narration et les dialogues.
La comparaison d’un même extrait de L’idiot traduit par trois traducteurs de différentes époques permet de mesurer l’évolution de la traduction ainsi que l’application du parti pris linguistique radical d’André Markowicz :
« Avec ce bijou en poche, je me rendis chez Zaliojev. ‘Allons, mon ami, lui dis-je, accompagne-moi chez Nastassia Philippovna’. Nous y allâmes. ».
Traduction d’Albert Mousset, Bibliothèque de la Pléiade, 1953
« Avec les pendants d’oreilles je cours chez Zaliojev : Ceci et cela, mon cher, allons vite chez Anastasie. Nous voilà partis. ».
Traduction de Pierre Pascal, GF-Flammarion, 1977
« Avec mes pendants d’oreilles, je cours chez Zaliojev ; voilà, mon vieux, c’est ça et ça, on va chez Nastassia Filippovna. On y va donc. ».
Traduction d’André Markowicz, Actes Sud, 1993
On note d’abord la disparition du passé simple (temps inexistant en russe) au profit du présent : « nous y allâmes », « nous voilà partis », « on y va donc », ainsi que le progressif abandon d’un vocabulaire châtié au bénéfice d’expressions de plus en plus familières : « Allons mon ami », « Ceci et cela, mon cher », « Voilà, mon vieux ». La phrase lissée par Albert Mousset se fait de plus en plus irrégulière et atteint chez Markowicz une forme particulièrement saccadée, qu’une confrontation avec le texte original a permis d’établir conforme au rythme de la phrase russe. On relève enfin l’évolution de la traduction des noms propres, qui, après une francisation provisoire, revient à une simple translittération du russe. Bien qu’aujourd’hui les traductions d’André Markowicz fassent autorité, cette brève comparaison fait prendre conscience du provisoire de toute traduction ainsi que de la nécessité de régulières retraductions.