Oui enfin on va pas commencer à classer les librairies sinon je vais encore passer pour le vieil acariâtre et je vais pondre un pavé Way's style.
Il y a des grandes surfaces affligeantes et d'autres de très bonne tenue et il y a aussi des "indépendants" à l'assortiment indigent et d'autres formidables. Pour avoir bosser dans les deux types de librairie (et à chaque fois dans des boutiques qui tournent bien et avec une excellente réputation), je peux parler en connaissance de cause. L'indé où je bossait, et que j'ai contribué à monter, avait par exemple reçu les compliments de gens influents dans le monde du livre comme Viviane Hamy, Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry, Florence Aubenas, Michel Ollendorf, Pierre Adrian, le gérant de la librairie Actes Sud à Arles (qui était jaloux de notre rayon Sciences-humaines
),... donc je pense savoir un peu de quoi je parle^^.
Et pour me la péter un peu, j'ai régulièrement des clients parisiens (qui ont une maison de vacances ou de famille où je bosse) qui trouvent que mon Espace Culturel est mieux que beaucoup de librairies parisiennes.
Pas plus tard qu'il y a 15 jours, j'ai eu un mec qui n'a pas arrêté de m'encenser car il avait fait plusieurs librairies parisiennes et personne n'avait manifestement entendu parler de Victor Segalen, qui était pourtant présent dans mes rayons...
J'ai d'ailleurs remarqué (aussi bien en indé qu'en pas indé) que les clients les plus élogieux étaient souvent ceux qui n'habitaient pas dans le région. A croire qu'il est de bon ton de dénigrer ce que l'on a à côté de chez soi. Je me souviens que dans ma librairie indé, j'avais des pseudo intellos qui ne juraient que par
La grande librairie et qui dénigraient en permanence notre travail et après, comme je l'ai dit, on avait de grands éditeurs ou des universitaires qui ne tarissaient pas d'éloges sur nous.
Et c'est pareil dans l'enseigne où je suis désormais. Quand je vois Sandrine Collette (tu devrais lire, Mr Jack) repartir avec des sacs pleins à chaque fois qu'elle passe, je me dis qu'on ne doit pas être si nuls que ça...
Le souci de ce métier est qu'il charrie beaucoup de fantasme de la part de tout le monde. C'est ce qu'il y a de plus dur je trouve : les clients sont extrêmement exigeants avec nous car tout le monde vient avec son univers et attend qu'on soit aussi calé que lui voir encore plus. Et, comme tout ce qui concerne la culture, c'est finalement très intime et tout le monde prend ça très au sérieux. Les clients aiment l'idée (souvent entretenu par certains libraires assez imbus d'eux-mêmes) du libraire omniscient qui va forcément pouvoir trouver le livre qui correspond à leur demande, à chaque fois.
C'est à dire que tout le monde considère savoir ce qui est bien et ce qu'il faut connaître. Et en fait, non. Le monde du livre est, je crois, un des rares à couvrir littéralement
tout le champs des savoirs et des pratiques humaines. C'est ce qui rend ce boulot à la fois passionnant et exténuant.
En une demi-heure, on peut me demander de conseiller un roman congolais puis un livre de cuisine pour les gens qui ont du diabète puis un manga pour quelqu'un qui veut se lancer dans ce genre puis une idée cadeau pour un ami architecte puis un livre pour un quarantenaire qui reprends ses études et veut reprendre les bases de mathématiques puis un roman pour offrir à l'anniversaire de sa grand-mère,... Bref, il faut une certaine élasticité intellectuelle...
D'autant que les clients de plus en plus spécialisés. Par exemple, on va me demander un polar historique qui se passe au Moyen-Age. Avec un peu de chance, je vais faire mouche et lui trouver un livre qu'il va adorer. Le client revient et m'en demande un autre dans le même genre, je vais peut-être en trouver un autre. La troisième fois, ça va devenir plus compliqué et je vais vite être à court de munitions, je ne passe pas ma vie à lire des polars médiévaux. Et c'est comme ça pour des centaines de demandes différentes. On ne se rend pas compte de tout ce qui sort par semaine (on est, à la louche, sur un bon millier de références qui sortent chaque semaines).
Mon ancien patron (pour qui je n'ai guère de sympathie, vous savez ce qui s'est passé) m'avait dit une fois que le défaut qui guettait les libraires était leur égo. Et je me rends de plus en plus compte que c'est vrai. Ce que je reproche à beaucoup de libraires indépendants c'est déjà de se faire passer pour des indépendants alors que leur boutique est subventionnée à mort là où une grande surface comme la mienne appartient en fait à un particulier franchisé qui ne bosse qu'avec son propre argent, donc on pourrait discuter de la notion d'indépendant. Et je regrette que l'offre soit souvent uniformisée d'une librairie indépendante à une autre. On retrouve souvent les mêmes livres, issus des mêmes fournisseurs (le trio Actes Sud-Harmonia Mundi-Belles Lettres, normal, ce sont eux qui offre les meilleures marges...) et l'assortiment est souvent bien étudié en amont et absolument pas laissé au hasard. Je trouve donc dommage que les grandes surfaces soient un peu les têtes de turcs du métier et que les indépendants se servent de nous pour se faire mousser car on ne touche pas forcément (malheureusement) les mêmes publics donc les deux peuvent parfaitement coexister et que, en réalité, on travaille exactement de la même façon avec comme objectif de gagner notre vie même si certains font semblant que non car, c'est bien connu, c'est sale de gagner de l'argent.
Et on est tellement nuls dans l'enseigne où je bosse que tous les éditeurs de Paris répondent présents quand il s'agit de venir nous présenter leurs livres lors des journées organisées pour la rentrée littéraire. Quand Olivier Nora ou Olivier Cohen se déplacent, je ne pense pas que ce soit pour perdre leur temps.
Et sinon je rappel que tout le monde peut devenir libraire, il n'y a pas de formation particulière. Mais je conseil tout de même de plutôt partir sur l'éducation nationale, ça me semble plus prudent. C'est ce que je ferais si je pouvais revenir en arrière plutôt que de me bousiller le dos et la santé et de me retrouver avec les soucis que j'ai en ce moment tout ça pour le SMIC.