Troisième vision déjà, et c’est toujours aussi bien. Comme
Whiplash c’est un film qui gagne des points à chaque vision, et du coup ça m’attriste un peu de voir que c’est un film qu’on a mal vendu à sa sortie. On aurait pu penser que le cinéma de Chazelle perdrait de sa constance, à la fois thématique et qualitative, avec ce quatrième film qui dénote énormément avec les précédents, autant par la forme que par son sujet, mais il n’en est rien.
First Man est bien à 100% un film de Chazelle, cela se voit et se ressent, il possède énormément de liens avec les deux précédents métrages du jeune réalisateur, et la cerise sur le gâteau est que raconter l’histoire de Neil Armstrong permet au réalisateur de développer à nouveau ce qui semble être son sujet de prédilection, à savoir l’obsession d’un homme vers un objectif précis, au détriment des gens qui l’entourent.
Là où Chazelle surprend également, c’est par la personnalité qu’il arrive à donner au sujet : on aurait pu s’attendre à un biopic consensuel, et au final on a droit à un portrait d’homme singulier, où l’image d’Armstrong est souvent mise à mal, et où la NASA est régulièrement montrée comme une compagnie qui envoie, malgré elle, ses hommes à la mort. Idem pour la narration, on est loin du biopic à Oscars habituel vu qu’ici les mots d’ordre sont immersion et lenteur, ce qui donne un métrage qui épouse au plus près le regard d’Armstrong, et qui privilégie souvent l’intimiste face au spectaculaire, notamment en mettant en avant la vie de couple qui souffre des activités du héros. Mais à mon sens,
First Man est surtout un grand film sur le deuil, thème qui n’est pourtant pas très présent tout le long du film à proprement parler, mais dont l’une des dernières séquences (celle du cratère, de loin ma scène favorite du métrage) remet en cause tout ce qu’on a vu : si Armstrong a mis en risque sa vie, son couple, et les espoirs de toute l’humanité, c’était finalement seulement pour pouvoir se retrouver enfin seul, afin de pouvoir rendre un ultime hommage à sa fille décédée en début du film.
Nul doute que toute cette storyline a été écrite spécialement, ou au moins exagérée, pour le film, mais qu’importe : c’est justement tout le pouvoir du cinéma que de rendre vrai à l’écran des choses qui ne le sont pas forcément, et pour le coup Chazelle arrive, sur la totalité du récit, à bien gérer cette balance entre l’envie de faire un film très documentaire dans l’esprit (on sent fortement l’influence de
The Right Stuff) et celle de livrer sa propre vision de cette histoire, autant sur le fond que sur la forme. Comme ses deux films précédents, Chazelle livre un film particulièrement désenchanté et mélancolique : Armstrong n’est jamais montré comme un héros, plutôt comme un être asocial et sans réels sentiments jusqu’à la fameuse scène du cratère qui montre qu’il a tout contenu (on peut dire ce qu’on veut de Gosling, mais il gère parfaitement ce registre), et toutes les étapes menant à Apollo 11 sont généralement montrées sous un mauvais jour, entre échecs successifs, morts par poignée (la séquence de l’incendie
) et pessimisme omniprésent (la lecture de la déclaration en cas d’échec de l’alunissage pose bien le niveau). Chazelle a en plus la bonne idée de confronter ça avec la vie de couple qui souffre de toute cette ambiance, et donne un rôle non négligeable à l’épouse (magistrale Claire Foy) qui est loin de se reposer dans le cliché de la femme heureuse des activités de son mari, permettant non seulement de souligner ce qu’ont sûrement réellement endurées les femmes d’astronautes, mais aussi de pointer par moment l’extravagance des situations via des petites scènes simples (la mère qui dit à son enfant que son père va aller sur la Lune, l’enfant qui lui répond en lui demandant si il peut aller jouer dehors).
Formellement, Chazelle montre encore une fois une immense maîtrise de narration, d’autant qu’il part sur quelque chose de particulièrement immersif sur ce film. Rarement on a eu autant l’impression d’être dans un engin spatial, et ça on le doit autant au point de vue adopté par Chazelle qu’au sound-design complètement dingue qui met en valeur le fait qu’il y a seulement de la tôle et quelques boulons entre les hommes et le vide spatial (à ce titre, tout le passage de la mission Gemini 8 est vraiment un très grand moment, c’est limite du film d’horreur
). Sur ce point,
First Man tient vraiment du film sensoriel plus qu'autre chose. Tout le côté pellicule/granuleux est très appréciable en raccord avec les intentions du réalisateur, et autant au cinéma je n’avais pas vu de différence avec le passage lunaire filmé en IMAX, autant en vidéo j’ai vraiment saisi l’ampleur de ce choix, autant en termes de définition (on abandonne complètement le grain sur cette scène pour avoir quelque chose de plus lissé, et qui paraît donc plus irréel que le reste) que de format (l’écran qui s’élargit une fois qu’on dépasse la trappe, c’est quelque chose qu’on n’avait malheureusement pas dans les salles de cinéma classiques).
Et puis je ne pourrais décemment pas parler du film sans évoquer la composition de Justin Hurwitz qui est tout simplement l’une des BO que je préfère de ces dernières années. Entre les thèmes sublimes, le passage du lancement épique à souhait, l’utilisation de thérémine sur les passages intimistes, c’est vraiment une musique qui me parle complètement pour le coup, et que je préfère même aux précédentes du compositeur (alors que
La La Land était déjà d’un sacré niveau). Un quatrième film qui confirme une nouvelle fois tout le bien que je pouvais penser de Chazelle alors que tout laissait à croire que ça allait être un métrage bien moins personnel que les autres. Le bonhomme peut désormais aborder les genres qu’il veut de la façon dont il le souhaite, je n’ai guère de doute sur le fait que ça aboutira sur des propositions particulièrement intéressantes et réussies.