Minority Report de Steven Spielberg
(2002)
Revision un poil à la baisse, c’est moins ultime que dans mes souvenirs mais ça reste du divertissement à la Spielberg de grande qualité : c’est solide à chacun de niveaux, et surtout c’est absolument inattaquable en terme de mise en scène. Déjà, rien que le concept est absolument mortel, et on sent que ça intéresse énormément Spielberg qui va utiliser chaque élément possible pour en faire soit une storyline soit un jeu ludique le temps de quelques secondes, c’est globalement la grande qualité du métrage : on a jamais l’impression de voir un film qui n’exploiterait pas assez son sujet, bien au contraire. Un Spielberg qui se veut complètement joueur du coup, autant dans ses situations que dans la façon dont le spectateur est piégé (l’utilisation des personnages de Farrell et Von Sydow marche complètement), mais aussi assez noir dans ce que ça raconte, avec un personnage désabusé, aux tendances suicidaires, drogué à ses heures perdues et ayant un mode de vie complètement paradoxal (enfermé dans le passé quand il est seul, mais les yeux tournés vers l’avenir quand il travaille) et une violence assez forte (rien de vraiment graphique à proprement parler, mais les visions des Precogs font leur petit effet, on dirait Spielberg qui cite Seven).
Idem pour la société futuriste mise en scène, c’est vraiment pas reluisant avec des inégalités sociales encore plus poussées (alors que le film se déroule à Washington tout de même), des vices qui sont allés encore plus loin en suivant la technologie, où la publicité est poussée à son paroxysme, où tout le monde est fliqué dès qu’il sort dehors (tiens, ça rappelle une situation récente), bref ça donne pas envie d’y vivre et pourtant, à bien des égards, on se dirige clairement vers quelque chose dans ce genre. Je ne serais guère étonné que dans 30 on se rende compte que ce film avait mis le doigt sur pas mal de choses. Ce film, c’était aussi la première collaboration avec Tom Cruise, et mine de rien j’ai l’impression que ce film a donné le ton de la décennie à venir pour l’acteur, qui a enchaîné les films grand public sans renier une part de jeu intense de sa part. Si le bonhomme est peut-être un peu moins convaincant dans son côté homme en deuil, il arrive clairement à porter le film sur ses épaules, et annonce en partie la prestation encore meilleure qu’il donnera dans le futur War of the Worlds.
Formellement, le film est dingue, il y a une idée de mise en scène à chaque plan, et c’est d’autant plus vrai qu’on est en présence du film de Spielberg le plus ouvertement hitchcockien, entre citations directes (le ciseau dans l’œil, de mémoire, on voit un truc très similaire dans Spellbound, idem pour le bad guy qui retourne son revolver contre lui lors du final), la musique de Williams qui renvoie à celles d'Hermann, et idées inabouties recréées pour l’occasion (dans Hitchcock/Truffaut, on peut lire que Hitchcock rêvait de faire une scène avec une voiture à l’usine dont on suit la construction avant de découvrir un cadavre à l’intérieur, Spielberg reprend le concept en transformant l’enjeu). Il y a non seulement une grosse maîtrise de la caméra (la scène des araignées !), de la photographie (superbe boulot de Kaminski, dans la droite lignée de A.I.), mais surtout un travail vertigineux sur la narration visuelle, où le moindre détail vient raconter une histoire, et que Spielberg met particulièrement bien en valeur sans que ça prenne le pas sur le récit principal.
Au final, le seul réel gros défaut du film, c’est son script qui possède quelques facilités assez déconcertantes alors que c’est justement le genre de choses qu’il faut éviter à tout prix sur un film de ce style : le coup de Anderton qui peut revenir chez les Precogs via une porte que les yeux d’un lambda peut ouvrir, c’est ridicule, et idem pour la fuite du même endroit via des canalisations d’eau, sauf que la scène d’après le héros est en plein centre commercial et complètement au sec. Des défauts qui, néanmoins, n’empêchent pas le film de procurer un réel plaisir. C’est triste de se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, c’était normal de voir ce genre de divertissement de haute volée, bien foutu et intelligent, alors qu’aujourd’hui c’est une espèce rare.
8/10