On parle toujours de ce film comme d’une œuvre matricielle du film de gangsters, et le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne vole pas son statut pour le coup : c’est complètement dingue de découvrir
Scarface aujourd’hui et de constater le nombre incalculable d’influences qu’il a engendré. Il a beau ne pas être le premier film de gangsters, il est probablement celui qui en a popularisé les codes, et ça doit sans doute au fait que les hommes derrière le film (Howard Hughes à la production, Howard Hawks à la réalisation) voulaient à tout prix faire quelque chose de très extrême, notamment du côté de la violence. Alors forcément, ça reste de la violence du cinéma des années 30, mais cet aspect est clairement plus poussé que dans la plupart des films, on a du meurtre dès les cinq premières minutes, des morts en plein cadre, un héros tué froidement à la fin, etc…
On sent que le code Hays n’était pas encore en vigueur (on a même une relation un peu incestueuse avec la sœur
, c’est jamais clairement dit mais il y a plein de passages qui sous-entendent une relation borderline). Et le fait que le film soit sans morale pousse encore plus le délire : à l’exception d’un carton en début de film disant que
Scarface est fait pour dénoncer le fait que le gouvernement laisse la pègre faire la loi dans certaines villes, ça se veut clairement être une plongée sans concessions dans le milieu, et toujours du point de vue d’une petite frappe qui va grimper les échelons, du coup il est pas question ici de faire prendre conscience au héros que ce qu’il fait est mal, bien au contraire ça a même tendance à glorifier ce qu’il fait (le rapport avec le panneau The world is yours que De Palma reprendra dans son remake).
Formellement, c’est assez impressionnant, Hawks en profite pour faire un film très léché, autant du côté de la maîtrise de la caméra (le plan-séquence d’ouverture pose bien le niveau
) que de la photographie, et on sent l’énorme influence que le film a pu avoir par la suite, genre le coup des X cachés dans l’image à chaque mort qui sera repris par Scorsese dans
The Departed, ou encore le final qui rappelle beaucoup celui que fera Carné dans
Le jour se lève. Même la représentation des gangsters est passée à la postérité : la trogne de Paul Muni avec sa cicatrice a été maintes fois copiée, la façon de dévoiler pour la première fois le héros (chez le barbier avec serviette cachant son visage) a sûrement été reprise par De Palma pour Al Capone dans
The Untouchables, et je ne parle même pas du gangster avec sa pièce de monnaie que je suis certain d’avoir vu dans un autre film du genre (et même dans une comédie musicale avec Fred Astaire). Je garde clairement une préférence pour le remake qui a une ampleur toute autre, mais ce
Scarface original a quand même beaucoup de choses pour lui et mérite amplement son statut de classique du genre.