Yoga / Emmanuel Carrère (2020)
Vingt ans durant, de
La Classe de neige (1994) au
Royaume (2014), en passant (surtout) par
L’Adversaire (2000) et
Limonov (2011), Emmanuel Carrère a enchaîné les réussites littéraires – ce qui fait de lui, à mon humble avis, l’un des meilleurs écrivains français contemporains.
Après une absence de six ans, l’auteur revient avec un texte qui fait l’unanimité du côté des critiques : tous, ou presque, lui promettent le Goncourt en novembre... Mais dire que je ne partage pas cet enthousiasme relève de l’euphémisme.
Carrère ne le cache pas : il vient de traverser des années difficiles. Lui qui souhaitait écrire un texte court et léger sur le yoga, activité qu’il pratique depuis plusieurs décennies, a vu son projet évoluer dans une toute autre direction suite à une profonde dépression (avec idées suicidaires, internement et électrochocs à la clé).
Résultat : on se retrouve avec un texte bancal, fourre-tout, qui part dans tous les sens : s’il évoque bien le yoga dans sa première partie (activité qui me passionne tout autant que la culture du quinoa en milieu hostile), il parle ensuite des attentats de Charlie Hebdo, de sa dépression, de son traitement médical, des migrants... Et le problème, c’est que d’ellipse en ellipse, il survole tous ces sujets et n’en traite aucun en profondeur.
Pire encore : le quota Caliméro égomaniaque explose. Un bobo qui a tout pour être heureux (né dans une famille riche et aimante, qui vit de sa passion et dont les enfants semblent heureux et en bonne santé…) mais qui pleurniche à longueur de pages, moi, ça me fatigue rapidement…
Pire encore # 2 : le texte se révèle, vers la fin, relativement malhonnête, et l’obstacle qui l’empêchait, jusqu’ici, de recevoir le Goncourt (seule une œuvre de fiction peut être récompensée : or, Carrère n’a signé que des récits depuis 2000), est levé : il avoue que certains personnages, présentés comme réels tout au long du livre, sont en fait des inventions (révélation que j’avais grillée assez tôt : deux personnages féminins mettent à mal la suspension consentie d’incrédulité).
Tout n’est pas à jeter cependant, loin de là : Carrère a un style simple, efficace, et les pages de son livre se lisent rapidement, malgré leur faible intérêt, et il reste capable de réelles fulgurances (le passage consacré à son éditeur de toujours, disparu dans un accident en 2018, est magnifique).
Mais rien à faire, malgré l’unanimité critique je ne vois qu’un texte maladroit, loin de ce qu’il a pu écrire par le passé et qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Déception, donc.