The Life and Death of Colonel Blimp
(Colonel Blimp)
Michael Powell et Emeric Pressburger, 1943
Fresque mélodramatique imposante et particulièrement audacieuse pour l’époque : réaliser en 1943 un film qui raconte l’amitié à travers les décennies et les guerres d’un officier anglais et d’un officier allemand, il fallait oser. Le film s’attirera de nombreuses critiques sur ce point, étant également vu comme une moquerie d’un certain establishment anglais – Churchill lui-même, se sentant visé, aurait essayé de censurer le film, sans succès.
Le « Colonel Blimp », c’est en fait un personnage de caricature anglaise, moquant ces vieux militaires de l’époque. Powell et Pressburger reprennent cette figure comique pour proposer, au travers d’une belle construction en flash-back, un regard sur la vie passée d’un vieux général anglais, ridiculisé par les jeunes « héros » actuels mais qui aura lui aussi connu toutes les illusions et désillusions de la jeunesse. Héros de multiples guerres, jeune homme fougueux et plein d’entrain prêt à contredire sa hiérarchie, puis homme plus sage mais déjà figure d’un ancien monde (voir notamment la scène avec les soldats américains), le soldat Candy aura effectivement traversé de nombreuses épreuves avant d’être considéré comme dépassé. Mais ce sont les rencontres avec cet officier allemand qu’il combat d’abord en duel en 1902, et cette jeune anglaise vivant à Berlin, qui influent le plus sur sa vie.
Une réflexion douce-amère sur le temps qui passe, les occasions manquées et ce qui reste d’une vie remplie qui appartient déjà au passé et à l’oubli avant qu’on ait eu le temps de s’en rendre compte. D’une certaine manière, on se dit que Scorsese aura fait son propre Colonel Blimp avec The Irishman. Mais le film de Powell et Pressburger fait moins dans la noirceur et « l’austère », ne serait-ce que formellement, avec des décors et un technicolor magnifiques, nous plongeant aussi bien dans le Berlin fastueux du début du vingtième siècle que dans le bourbier de la Première Guerre mondiale ou dans la campagne anglaise de l’après-guerre.
La richesse thématique du film se double d’une très belle histoire d’amitié. En faisant de son personnage principal un héros aux convictions fortes mais empreint d’une certaine naïveté, et en donnant le rôle plus profond et lucide au personnage Allemand, qui comprend bien mieux que l’Anglais les conséquences et implications des deux Guerres mondiales, Powell et Pressburger prennent un parti-pris encore une fois assez osé pour l’époque. C’est ce qui fait aussi la beauté de cette histoire et de cette relation ; chacun a besoin de l’autre, pour faire face aux horreurs de la guerre et de la montée du Mal – par-delà les nations et les origines. Et ce duo devient un étonnant trio via une représentation originale de l’amour et de la « femme idéale », toujours incarnée par Deborah Kerr mais dans différents rôles, comme une beauté qui jamais ne change – en tout cas sous nos yeux, car la mort et le temps qui passe ne sont jamais loin.
Comme pour toutes les grandes fresques, on sent que c’est un film qui nécessitera plusieurs visions pour être appréhendé au mieux, car, bien que l’histoire se suive assez simplement, il y a vraiment de nombreux thèmes qui sont abordés, concernant l’amour, l’amitié, la jeunesse, la vieillesse, la paix, la guerre, la vie et la mort. Un film plein, mais qui, bien que présentant de nombreux tableaux imposants, fait surtout la part belle aux relations intimes entre ses personnages principaux, et de très belle manière.