A l'heure où la bien-pensance s'invite partout, où il faut faire attention au moindre mot que l'on dit sous peine d'être très vite catalogué comme une personne intolérante ou irrespectueuse, il est bon de se rappeler qu'il y a un demi-siècle, on arrivait encore à prendre plaisir devant des films qui ne cherchaient pas à contenter tout le monde. En cela, découvrir
Les Valseuses aujourd'hui a de quoi décontenancer : comment un tel film a pu faire plus de cinq millions d'entrées dans le même pays où, actuellement, il serait certainement lapidé en place publique ? Une partie de moi pense que c'est sûrement une question de mœurs, mais d'un autre côté, je me demande si le public de l'époque était tout simplement plus ouvert à des propositions déroutantes comme celle-ci, et acceptait plus facilement des discours divergents. Car même si je me considère comme quelqu'un avec un minimum d'ouverture d'esprit, j'avoue que je me suis posé beaucoup de questions devant la première demi-heure des
Valseuses, qui m'a rappelé ma découverte d'
Orange Mécanique quand j'avais quinze ans. Gros sentiment de malaise devant ce début de film, où Blier impose au spectateur de suivre des personnages complètement antipathiques. Ça emmerde les femmes dans la rue, ça vole des bagnoles, ça refile une nana rencontrée il y a cinq minutes à quelqu'un d'autre pour qu'il puisse la violer, ça oblige une jeune mère à leur donner la tétée, bref c'est pas spécialement ce qu'il y a de plus joyeux à regarder, car même si les deux compères prennent clairement du plaisir dans leurs aventures, ça impose clairement un dilemme moral en tant que spectateur.
Heureusement, une fois passée cette mise en bouche, le film montre petit à petit les intentions de Blier : il ne s'agit pas ici de mettre en avant les actions des personnages pour les montrer comme justes, il est plutôt question de proposer une vision décalée de la sexualité dans une société où on a tendance à la diaboliser. Aucun jugement moral donc, simplement la volonté de montrer ce qu'il peut y avoir de beau dans la relation entre deux jeunes et une femme mature, dans la découverte d'un orgasme féminin, ou dans la découverte du sexe tout court, le tout avec un peu d'humour. C'est certainement ce mélange osé qui, je pense, condamne le film à être de moins en moins visible dans les années à venir vu la direction que prend la bien-pensance aujourd'hui : un film comme
Les Valseuses n'y a malheureusement pas sa place, et il suffit de voir les critiques de la majorité des personnes qui le découvrent aujourd'hui pour s'en rendre compte, puisqu'il est uniquement question de vision négative de la femme, d'absence de consentement, mais sans jamais questionner justement ces choix de Blier pour son propos. C'est vraiment dommage car pour le coup, j'ai réussi à trouver la poésie de Blier dans cette histoire de débauche, et plus le film avançait, plus j'avais de l'affection pour ce duo atypique. Le côté road-movie est plutôt bien géré, ça fait pas succession de scénettes gratuites, et Blier a la bonne idée de filmer un peu partout en France pour diversifier ses paysages (j'étais étonné d'ailleurs de reconnaître certains lieux, notamment les jolies montagnes de la Drôme).
Et puis impossible de parler du film sans évoquer son casting, puisque le duo Depardieu/Dewaere portent l'entreprise sur leurs épaules, on sent une véritable alchimie entre les deux et c'est clairement ce qui fait décoller le métrage, à peu près autant que leur talent pour balancer avec justesse les dialogues (très drôles) de Blier. Et puis bonne surprise de la part de Miou-Miou qui assure dans un rôle pourtant pas facile de fille qui se laisse porter par les actions des autres et qui va apprendre peu à peu son indépendance en tant que femme (comme quoi le film est très loin d'être machiste, contrairement à ce que peuvent laisser penser les apparences). Jeanne Moreau marque aussi les esprits dans un joli rôle, tout en douceur et non-dits. Un beau film provocateur qui m'apparaît être le premier véritable film de Blier, autant dans le style pavé dans la mare que dans son propos.