My Darling Clementine
(La Poursuite Infernale)
John Ford, 1946
Ah, les titres français des westerns de John Ford, toute une histoire. Entre
La chevauchée fantastique qui loupe le cœur du film,
La charge héroïque dans lequel il n’y a qu’une charge anecdotique et absolument pas héroïque, ou
La prisonnière du désert qui aurait encore mieux fait d’être appelé Le prisonnier du désert, on peut dire que ce n’est pas la joie – la plupart du temps un simple attrape-spectateurs. Mais je crois que la palme revient à
La poursuite infernale, dans lequel il n’y a pas de poursuite et dont le rythme est bien loin d’être infernal
On va en rester à
My Darling Clementine.
Non pas infernale, c’est donc plutôt une vision relativement tranquille du célèbre duel à O.K. Corral entre le clan Earp et le clan Clanton que nous propose Ford. Ce dernier, qui tenait le récit du duel de la bouche-même de Wyatt Earp, choisit de surtout mettre en scène la vie d’une communauté qui passe de l’anarchie de l’Ouest à l’ordre de la civilisation, née finalement grâce à ce « duel » sanglant qui ne laissera que peu de survivants – le vieil Ouest a déjà vécu. Le Wyatt Earp de Ford est un homme droit et calme, qui ne prend les armes que contre son gré, afin de venger la mort de son frère. Ce faisant, il va incarner la justice et préparer l’Amérique de demain, avant de s’enfoncer dans le désert, et vers une légende que Ford désacralise pas mal l’air de rien – Earp n’est pas une machine de guerre, et le duel est relativement vite expédié à la fin (même si la « rivalité » Earp-Clanton traverse bien tout le film, et ce dès la première scène).
En parlant de légende, c’est marrant, j’ai découvert récemment
Vers sa destinée, le film de Ford consacré à Abraham Lincoln, et il est étonnant de voir les multiples rapprochements entre les deux œuvres. Le héros, légende de l’Amérique, est à chaque fois incarné par Henry Fonda, qui joue un peu de la même manière ce personnage à la force tranquille qui s’oppose à l’anarchie dans une petite communauté. Chacun part « vers sa destinée » suite à la mort d’un proche (l’amour de jeunesse de Lincoln, le frère de Earp) et vient lui parler sur sa tombe (motif récurrent chez Ford d’ailleurs), chacun est un peu empoté avec les femmes – on a même la même scène de danse un peu gênante. Petite différence, Lincoln règle les problèmes à coups de rhétorique alors que Earp utilise son six-coups
Mais au fond, l’idée est similaire.
Qui dit John Ford dit évidemment classe absolue de la mise en scène et de la photo ; que ce soit dans ces extérieurs vastes et spectaculaires de Monument Valley ou dans les intérieurs des saloons et chambres d’hôtels, le film est un régal pour les yeux. Ce n’est pas une vision spectaculaire de l’Ouest (enfin, quoique, avec des décors pareils…), ou une version dure et sanglante ; même si la violence est bien là, Ford filme avant tout la vie de cette communauté et de ces personnages, le temps de quelques journées, avec tendresse et humour parfois, et il prend son temps pour ça – et on prend ce temps avec lui avec plaisir. Je crois que je pourrais passer deux heures à regarder Henry Fonda s’asseoir sur une chaise, voilà ce que c’est que d’avoir la classe.
Les personnages sont vite et bien caractérisés. Walter Brennan endosse immédiatement la posture du vieux salaud impitoyable, du genre qui n’hésite pas à tirer dans le dos. Victor Mature campe un Doc Holliday vraiment intéressant, homme visiblement cultivé de l’Est qui est venu se perdre dans l’Ouest pour fuir ses démons. Les deux personnages féminins principaux sont plus en retrait mais font véritablement vivre l’action et le scénario joue bien de leur opposition qui semble presque totale, bien que chacune amène un peu plus d’humanité à cet univers dur et sale.
Il manque peut-être un soupçon de lyrisme, de passion, ou a contrario, d’un côté un peu plus brut, pour que le film m’emporte complètement. Mais en l’état, c’est l’univers fordien typique, dans lequel on se plait à retrouver ces figures emblématiques de l’Amérique. Un très beau western.
7,5/10