Les Idiots
(Lars Von Trier – 1998) Vu au cinéma à sa sortie en 1998, à une époque où j’étais de toutes les expériences – surtout asiatiques – sur grand écran, Les Idiots ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable et ne m’avait pas incité pendant de longues années à me rendre dans les salles obscures pour contempler les œuvres du sieur Trier. Mais on parlait pas mal du Dogme à l’époque et j’avais donc décidé de voir par moi-même de quoi il en retournait. Souvenir d’un récit brut de décoffrage dans sa forme, pas vraiment beau, avec quelques plans pornographiques lors d’une partouze dans laquelle une dizaine de jeunes petits bourgeois forniquaient en mimant des trisomiques. Pas très sexy le souvenir, pas très engageant mais bon, après m’être enquillé cette année la quasi totalité de la filmographie de Trier, après avoir découvert Breaking the Waves et revu Dancer in the Dark, les opus N°1 et 3 de sa trilogie dite « du cœur en or », j’avais envie de revoir celui situé au cœur de cet ensemble de films.
D’emblée, un constat : les 110 minutes n’ont pas paru trop longues et sont mêmes plutôt bien passées. Les scènes un peu pénibles durant lesquelles on assiste consterné aux facéties des idiots visant à retrouver leur « idiot intérieur » tout en se démarquant de la médiocrité petite-bourgeoise qu’ils entendent dénoncer, ces scènes sont alternativement compensées par d’autres, plus réjouissantes à mon sens, montrant combien ce petit groupe se fissure peu à peu et finit par devenir finalement plus médiocre que ce contre quoi ils s’opposent.
Il y a d’abord Stoffer, en quelque sorte le leader de la bande :
Il est le plus virulent dans l’entreprise artistico-sarcastique des Idiots et finit par se conduire par une sorte de petit tyran qui ne cède en rien aux petits chefs autoritaires d’entreprise qu’il doit cordialement détester. Une scène nous le montre recevant un proche de sa famille débarquant à l’improviste et auquel appartient la grande demeure dans laquelle les idiots habitent. On comprend que Stoffer est chargé de s’occuper de la vente de cette maison, vente délicate pour lui car cela signifierait l’éclatement, la fin de sa petite communauté. Face à son oncle, il noie le poisson, dit qu’il va s’en occuper sérieusement sauf que dans une scène ultérieure on va le voir effrayer de potentiels acheteurs. Rien à foutre le Stoffer ! Et ouais, il pisse au cul de son oncle et de cette société capitaliste. Sauf que, plus tard, lorsqu’un père de famille plombera l’ambiance en venant chercher sa fille pour laquelle il s’inquiète (on apprend qu’elle est sous traitement thérapeutique), Stoffer s’écrasera comme une merde alors que d’autres de ses ouailles tenteront de retenir leur amie. Chier sur la société oui, mais risquer un procès de la part du paternel et aller en taule, quand même pas.
Stoffer et le papa. Ambiance. Bref, le portrait de tous ces idiots se fissurent peu à peu, à des degrés divers. Et finalement on s’aperçoit que tous ces petits anti-conformistes en herbe s’accommodent assez bien du conformisme de la société. Surtout, leur démarche de faire les idiots en public s’arrête net dès qu’il s’agit de la confronter à leur vie professionnelle ou leur vie familiale, montrant par là combien tout cela n’est finalement qu’un jeu vain que Stoffer est bien le seul à prendre au sérieux. Mais comme ce dernier n’apparaît au bout du compte que comme un raté doublé d’un parasite, il échoue évidemment à convaincre le spectateur du bien-fondé de son entreprise.
Du coup, on se demande ce que peut faire ce titre dans cette trilogie du « cœur en or ». Il sera à rechercher du côté du personnage le plus discret de la bande, Karen, et à la rigueur de son ange gardien, Susanne, duo qui n’est pas sans annoncer le tandem Björk / Deneuve dans Dancer in the Dark. Karen est la petite dernière du groupe, au début du film elle tombe par hasard sur un de leurs « spectacles » et décident de les rejoindre. On découvrira bien plus tard qu’elle est en deuil, elle vient en effet de perdre son enfant et rejoindre la bande est sans doute pour elle un moyen de détourner pour un temps sa douleur personnelle. Mais jamais elle n’évoquera son cas personnel (sauf à la fin), préférant se tourner vers les autres pour essayer de les aider quand ça ne va pas. Modèle d’altruisme en comparaison duquel la négation nombriliste des autres mis en place par Stoffer et sa bande semble bien peu de chose. La scène finale, particulièrement réussie, en sera la terrible illustration.