[Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Modérateur: Dunandan


Dogville - 8/10

Messagepar Olrik » Jeu 11 Avr 2019, 18:13

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Un jour, le petit village de Dogville voit débouler la fragile Grace. Cela va mal pour elle car elle est poursuivie par des gangsters, apparemment décidés à lui faire la peau. Tom, jeune Candide apprenti écrivain et soucieux des questions de morale, surtout lorsqu’elle concerne sa communauté, décide de la cacher puis, une fois les malfrats passés, de convaincre les habitants de la recueillir comme l’une des leurs. D’abord réticents, les villageois acceptent. Tout se passe bien, Grace se faisant accepter en rendant des menus services à l’ensemble de la communauté, jusqu’au jour cette dernière comprend qu’il peut être périlleux de garder une personne appartenant probablement elle aussi à la pègre…


A l’époque où était sorti Dogville, je me souviens m’être un peu tenu à l’écart, snobant un film que je flairais prétentieux et suspect avec son système de décor invisible marqué à la peinture sur le sol. Quelques années plus tard j’entrepris tout de même de le voir et je me souviens avoir adhéré à l’entreprise de Trier. Et après avoir vu The House That Jack Built, je me suis décidé à me faire un cycle pour découvrir ses œuvres que je n’ai pas encore vues (la trilogie Europa, Manderlay, The Direktor et même, oui, je sais, grosse lacune, Breaking the Waves) ainsi que revoir celles dont je garde un souvenir très flou.

J’ai donc revu Dogville tout récemment, et franchement, j’ai beaucoup aimé. Très surprenant de voir d’abord combien cette trouvaille du décor est fonctionnelle et ce, dès les premières minutes. Trouvaille n’est d’ailleurs peut-être pas le bon mot puisque j’ai pu lire que cela avait été fait par d’autres avant Trier, notamment au théâtre avec les pièces à la Bertold Brecht. Reste que ce procédé, associé à cette manière si particulière d’enchaîner les plans en caméra steady et comme aléatoirement, ainsi qu’à sa somptueuse musique constituée uniquement d’œuvres de compositeurs baroques (Vivaldi, Haendel, Pergolesi) à de quoi fasciner et installer confortablement le spectateur dans le voyage de trois heures qui l’attend.

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Comme à son habitude, Trier a structuré le film en chapitres, chapitres qui ne sont pas constitués d’un simple numéro mais associés à un titre programmatique évoquant les chapitres des romans des XVIIIè et du XIXè siècles. Cela donne un aspect littéraire suranné qui, avec le personnage de Grace qui tombe de Charybde en Scylla en échappant aux gangsters pour se réfugier chez les habitants de Dogville, n’est pas sans faire penser à Sade et à son personnage de Justine. Sade n’utilisait pas ce style de titres, mais leur aspect littéraire et l’annonce que font certains d’entre eux d’une certaine cruauté à venir (« chapitre III : Où Grace fait l’objet de provocations douteuses » et « chapitre VI : Où Dogville montre les crocs ») permet de préparer le spectateur à une plongée progressive dans l’horreur typiquement sadienne.

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Après, on va aussi se calmer un peu car la démonstration socio-psychologique est très éloignée du contenu philosophique des œuvres du divin marquis. Mais je n’ai pu m’empêcher d’y penser, avec cet ange blond échappé d’un enfer qui va reprendre espoir en tombant dans les griffes d’autres personnages, allant même jusqu’à les aimer et les aider, avant de découvrir leur scélératesse et leur servir d’esclave sexuelle (de catin, dirait Sade). Ce n’est certes pas Salo, mais il faut tout de même avoir le cœur accroché. Témoin omniscient, le spectateur assiste à tout ce que doit subir Grace. Avec parfois de curieux effets liés à ces décors invisibles. Ainsi la scène où elle se fait violer pour la première fois par Chuck :

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Trier n’étant pas du genre à esquiver une crudité, on est d’abord un peu médusé de voir ce cul de redneck s’agiter au-dessus de Nicole. Mais on l’est tout autant de voir que les autres personnages ne le sont pas alors que nous, nous voyons la scène. Et là on se souvient des murs invisibles et on se dit que c’est normal qu’ils ne réagissent pas. Mais l’explication a malgré tout un je ne sais quoi d’insatisfaisant. Sont-ils vraiment si ignorants ? Ne feignent-ils pas plutôt d’ignorer ce qu’il se trame dans la maison de Grace ? C’est en fait les prémisses à l’utilisation de l’hypocrisie pour conserver l’image que la communauté a de soi, à savoir un groupe de bonnes gens tournés vers le bien, qui n’a absolument rien à se reprocher, hypocrisie qui culminera lorsque les habitants choisiront de se débarrasser de Grace tout en lui faisant montre d’un visage amical comme jamais.

Hypocrisie d’autant plus à vomir que Tom lui-même est l’instigateur de ce plan. Son nom est d'ailleurs intéressant. Tom Edison. Edison rappelle Thomas Edison, manière de souligner la facette progressiste de sa personnalité, soucieux qu’il est de montrer à la communauté à laquelle il appartient qu’elle est bien l’illustration d’un groupe avec des valeurs, notamment d’hospitalité. Quant au Tom, il évoque le personnage de Fielding, Tom Jones, personnage plongé dans un long récit tenant autant du roman picaresque que du roman d’apprentissage et qu’un Voltaire ne sera pas sans faire un malicieux parallèle quand il écrira Candide. Que ce soit Tom Jones ou le personnage de Candide, il s’agit pour eux de grandir, de mûrir, de mieux comprendre le monde tout en essayant de retrouver les femmes qu’ils aiment : Sophie pour Tom, Cunégonde pour Candide. Pour le Tom de Dogville, c’est Grace qu’il lui faut conquérir. Elle lui apparaît comme la muse qui l’accompagne dans sa volonté de faire le bien. Le couple présente comme un idéal de pureté qui ne demande qu’a déteindre sur la communauté. Reste que le mal est déjà présent dans ce village hypocritement accueillant et Tom lui-même, sans forcément le savoir, convaincu de bien fondé de ses démarches quelles qu’elles soient, commettra une faute qui fissurera irrémédiablement le couple édénique qu’il formait avec Grace et qui tenait bon pourtant jusqu’à vingt minutes avant la fin du film.

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Quelle est sa faute ? De se plaindre auprès de Grace qu’il était le seul gars à n’avoir pu la fourrer alors que tous les autres gars ont déjà bien profité de son corps. Être un héros philosophique, oui, être le seul à se contenter de la veuve poignet, non. Déjà, dans Breaking the Waves, le motif du vit dans le con (ou plutôt son absence dans le con) constituait la pierre d’achoppement qui allait précipiter l’héroïne dans une plongée cloaqueuse dans le mal. C’est un peu la même chose ici, à la différence que Tom n’est pas Jan. Il n’est pas handicapé et son amour pour Grace n’est finalement qu’un amour de façade, tout comme la respectabilité de la communauté est une respectabilité de façade. Dogville, c’est un peu un film jumeau de Breaking the Waves mais un jumeau plus maléfique. Dans les deux film on a une communauté qui va soit au bout de sa connerie rigoriste, soit au bout de sa valorisation mensongère. Mais si dans Breaking sa médiocrité était balayée par l’arrivée de l’ange Bess et surtout une dernière scène qui permettait de s’affranchir de sa terrible pesanteur et de reprendre espoir, dans Dogville, l’ange Grace ne peut que constater le néant de cette communauté auto-satisfaite et imperméable à la notion de don de soi (et on ne perle même pas d’amour). Contrairement à la paroisse de Breaking the Waves, leur église est bien dotée de cloches. Mais leur son n’arrivera guère à résonner dans le cœur des paroissiens. Ici, il n’y aura pas de conclusion aussi stupéfiante qu’édifiante comme dans Breaking. Les cloches ne sonneront pas joyeusement. Ce seront plutôt les moteurs des voitures et les mitraillettes des gangsters qui résonneront comme autant de trompettes de l’Apocalypse. D’une certaine manière Grace n’est pas sans annoncer l’ange dérangé que sera Justine dans Melancholia.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar pabelbaba » Jeu 11 Avr 2019, 19:32

J'y ai surtout vu une réflexion sur le non sens du pardon mais aussi de la vengeance.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Olrik » Jeu 11 Avr 2019, 19:51

C'est vrai que Grace en soeur Thérésa qui subit gentiment ses multiples viols sans broncher est un brin confondante. Pour le non sens de la vengeance c'est plus délicat. A moins de considérer le plan final avec Moïse, le clebs.
Le molosse, symbole de la violence comme meneur de l'humanité. Effectivement, dans ce cas-là, anéantir le village n'a pas grand sens puisque le mal sera de toute façon présent dès qu'il y aura communauté. Mais tu penses peut-être à autre chose.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar pabelbaba » Jeu 11 Avr 2019, 20:20

A force de pardonner à tout le monde, elle vexe les villageois qui se sentent "inférieurs" à mère Thérésa et ça part en couille avec une escalade des brimades.

Résultat, on atteint le point de non retour et elle se venge en mode "œil pour œil" mais avec des gamins à la place des santons.

Dans les deux cas, le pardon et la vengeance n'étaient pas des solutions.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Olrik » Jeu 11 Avr 2019, 21:58

N'oublie pas que c'est l'affiche avec sa tête mise à prix qui est surtout à l'origine du début des brimades, sans elle on peut penser que Grace aurait pu vivre encore tranquillou un bon moment dans le village. Elle devient dès lors le mouton noir que l'on va pouvoir exploiter à volonté en ne prenant plus la peine de camoufler les petites vilenies derrière le verni de respectabilité. Le pire personnage est peut-être la mère de famille binoclarde. Laide et encombrée de ses lardons, on sent qu'elle cherche à faire payer Grace de tout ce qu'elle n'est pas. D'ailleurs stupéfiante scène avec les figurines brisées. Il y a pire dans la filmo de Lars, mais j'ai quand même serré les dents lors de cette scène. Et que Grace pleure à ce moment-là n'est pas le signe non plus d'une âme qui dit amen à tout.

Sinon ouais, je vois ce que tu veux dire pour la vengeance qui s'abat sur les gamins. Mais malheureusement, ces mêmes gamins ont eux aussi été contaminés par le mal (le chantage à la fessée par l'horrible drôle de la binoclarde, la cloche qu'ils s'amusent à faire retentir quand Grace se fait violer chez elle...). Tiens, ça me fait penser aux sales gosses qui caillassent Bess dans Breaking the waves. Du coup l'aspect très Talion de sa vengeance ne m'a pas particulièrement offusqué. Vieux ou jeune, le mal reste le mal, il n'a que ce qu'il mérite. C'était la seule issue.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar pabelbaba » Jeu 11 Avr 2019, 22:08

Il me manque pas mal de détails, je ne l'ai pas revu depuis sa sortie ciné. :mrgreen:

Mais quand même, passer du cassage de santon au meurtre, ça fait un talion un brin déséquilibré. :eheh:
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Olrik » Ven 12 Avr 2019, 05:54

Moi, on me casserait mes belles figurines BD et manga, j'avoue que je verrais rouge aussi. Je sens en Grace la geek habituée des conventions de BD, je comprends tout à fait. :mrgreen:
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar pabelbaba » Ven 12 Avr 2019, 06:13

:eheh:
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Breaking the waves - 9/10

Messagepar Olrik » Mar 16 Avr 2019, 12:45

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Bess, jeune femme habitant dans un austère village d’Ecosse, se marie un jour avec Jan Nyman, un étranger (probablement anglais). C’est le grand amour, amour qui est mis à mal une première fois lorsque Jan, après avoir fini son congé pour se marier, doit regagner la plateforme pétrolière où il travaille, laissant Bess seule dans l’ennui et le rigorisme religieux de son village. Et il est mis à mal une deuxième fois lorsque Jan se blesse et revient auprès d’elle paralysé. Soucieux de ne pas voir sa jeune épouse gâcher sa vie auprès d’un paralytique, il lui demande de fréquenter d’autres hommes. Perturbée, Bess sombre alors dans une prostitution délirante, pensant que faire l’amour avec la lie du village sera un moyen de le faire par procuration avec Jan, mais aussi un acte sacrificiel apprécié de Dieu et influant sur la santé de son mari, en attendant une guérison complète.

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Récemment j’entendais un animateur à une émission sur France Cul dire, alors qu’il s’agissait de chroniquer The House That Jack Built, qu’il avait arrêté de regarder les films de Lars Von Trier depuis Breaking the Waves, film qu’il avait trouvé « absolument dégueulasse ». Et depuis longtemps j’ai souvent entendu parler d’un film rude, d’un film pivot dans l’œuvre du Danois, avec un avant et un après Breaking the Waves. Sans l’avoir jamais vu dans son entier, j’avais cependant le vif souvenir d’une séquence aperçue en zappant lors d’une diffusion sur Arte. Une fille habillée comme une pute, avançait en chialant en tenant à ses côtés son vélo, tandis que d’horribles gosses la caillassaient de loin en l’insultant. Vision charmante que je n’ai jamais vraiment oubliée, que j’ai toujours associée dans un coin de ma tête à ce film où il s’agit donc de briser les vagues.

Un bon paquet d’année plus tard je décide donc de retrouver cette fameuse scène, un peu plus armé pour mieux saisir l’univers de Trier, et tout de même un peu inquiet par rapport à la « dégueulasserie » du propos.

Deux heures quarante après, il faut reconnaître que le film propose une sacrée odyssée, odyssée finalement bien moins « dégueulasse » qu’éprouvante. Et en même temps simple et magnifique. Simple car l’histoire d’amour entre Bess et Jan n’a au début rien de compliqué. C’est un coup de foudre mutuel, Bess tombe amoureuse de ce gars venu d’un pays où il y a de la bonne musique (c’est ce qu’elle dit au début aux religieux de son patelin) avant que le couple ne décide rapidement, presque sur un coup de tête de se marier, et au diable les ragots des sceptiques ! Le couple n’est pas particulièrement glamour, pas du tout Hollywood même. Lors de la nuit de noces, la parade nuptiale de Jan est même un brin repoussante. Il livre à Bess le spectacle de son corps ordinaire avec au milieu son engin qui pendouille. N’importe, Bess est amoureuse, elle peut voir et toucher l’intimité de son époux, c’est tout ce qui compte. Plus tard, avant de regagner sa plate-forme pétrolière, Jan lui fera présent d’une belle robe moulante multicolore, sexualisant ce corps qui paraît au début assez peu féminin. « Les couleurs sont magnifiques ! » s’exclame Bess en découvrant la robe. Bien pour elle car le spectateur, qui doit composer avec les tripatouillages colorimétriques de Trier (l’image est rugueuse et très désaturée, fruit d’un double transfert d’image – de la pellicule à la vidéo puis de la vidéo à la pellicule), ne voit qu’un vêtement fadasse, aussi terne que l’endroit où elle vit. Mais Jan et Bess sont amoureux, et seuls eux (peut-être aussi les amis rigolards de Jan) sont capable de voir ces couleurs.

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Après, donc, leur histoire se complexifie avec la paralysie de Jan. Ce dernier, un rien dépressif et shooté aux médicaments, en arrive à demander à Bess de s’offrir du bon temps avec d’autres hommes pour ne pas ruiner sa belle jeunesse à attendre une guérison miraculeuse. C’est le début pour Bess d’une descente aux enfers qui l’amènera à se faire tringler par de la viande d’alcoolo avant d’échouer dans un bateau rempli de marins barbares. Le terme « odyssée » utilisé plus haut convient assez bien à son périple. C’est une odyssée inversée, avec cette fois-ci un Ulysse handicapé qui attend, tandis que Pénélope va voyager sur son île pour s’accoupler avec les premiers prétendants venus. La vraie Pénélope faisait et défaisait une tapisserie pour repousser les prétendants tout en espérant le retour de son mari. Bess défait sa vie en acceptant en elle n’importe quel membre, en espérant que cela permettra, par on se sait quel transfert magique, le retour médical de son mari. Avec, en guise de cyclopes, le prêtre de la paroisse et ses pratiquants parmi les plus rigoristes, vieux bonshommes barbus peu portés au pardon. Pour une femme, pénétrer dans leur église, c’est un peu pénétrer dans la grotte de Polyphème. Une fois à l’intérieur, vous laissez les hommes parler, les femmes n’y ont pas le droit de s’exprimer, elles sont alors « Personne ». Finalement, si on s’amuse à pousser l’association plus loin, Jan, avec sa masse chevelue et vigoureuse, est le bouc qui lui permet de s’extraire de cet antre terrible. Mais la malicieuse remarque de Bess au début du film, alors qu’un de ces hommes lui demande de citer une seule chose valable apportée par ces étrangers et qu’elle lui répond « leur musique », a tout de la provocation d’Ulysse, provocation de trop qui amènera la malédiction, en tout cas le refus d’aider cette pauvre pécheresse.

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C’est que nous sommes dans un monde où les églises n’ont pas de cloches parce que le croyant, entendez le vrai croyant, le dur de dur, n’en a pas besoin pour croire. Seul compte les pierres de l’édifice religieux, le métal des cloches est de trop. La pierre, rien que la pierre, comme pour figurer la fermeté de la croyance. Du coup ce prêtre et ces vieillards ne sont pas sans avoir des allures de titans que rien ne viendra ébranler. Lors du repas de noces, l’un des amis de Jan (joué par Jean-Marc Barr) s’amuse à provoquer un vieillard en buvant cul sec une bière puis en écrasant sa canette dans la main. Le vieillard ira plus loin : il boira un verre rempli d’un breuvage que l’on suppose plus alcoolisé qu’une bière, puis explosera son verre de la main sans que son visage n’exprime la moindre douleur.

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Bien plus, quand Bess et Jan assistent au début aux funérailles (enfin non, juste Jan car les femmes n’ont pas le droit d’assister aux enterrements) d’un pauvre pécheur, c’est pour entendre le prêtre dire carrément dans son oraison que le macchabée va aller tout droit en enfer. « Bloody cheerful ! », dira un Jan choqué. Enfin, quand Bess se fait caillasser façon Marie Madeleine par des gosses du village parce qu’elle est devenue l’ignominieuse prostituée du coin, elle s’effondre subitement, inconsciente, au pied de l’église. Le pasteur arrive, demande aux gosses de s’éloigner, s’approche de Bess… va-t-il enfin lui venir en aide ? Ce serait mal connaître cet homme dont le visage rond, lisse, les cheveux plaqués en arrière donne l’impression d’avoir été façonné année après année par le rude vent qui traverse cette zone côtière. Dorénavant tout glisse sur lui, y compris les sentiments de commisération que sa charge l’obligerait pourtant à ressentir.

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Pour Bess, succombant dans la prostitution la plus vile – et la plus dangereuse, ne pouvant espérer la moindre main tendue (même sa mère la rejette), cela ne peut que mal se terminer. Et ce sera le cas. Mais le film ne sera pas pour autant « dégueulasse ». Impossible de comprendre tous ceux qui lui collé cette étiquette et même ceux qui s’obstinent à voir en Trier, métrage après métrage, un réalisateur faisant dans l’abjection. Tout vient d’une dernière séquence que l’on s’abstiendra évidemment de révéler. Alors que l’on se sent à la fin absolument tétanisé, aussi amorphe que Jan, elle est de ces scènes qui vous font sentir un frisson le long de l’échine, brève et stupéfiante incursion de Trier dans le réalisme magique (qu’il réitérera avec Melancholia et The House That Jack Built), foyer cosmique qui ne contrebalance pas pour autant la noirceur de sa filmographie mais qui tend du moins à la relativiser ou, pour reprendre un mot du titre, à la briser quelque peu.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Mark Chopper » Mar 16 Avr 2019, 13:43

C'est de loin le film de LVT que je préfère, assez surprenant à l'époque vu la rupture formelle avec la trilogie Europe...

Pour ma part, j'ai lâché le bonhomme après Five Obstructions... Faut du courage quand même pour enchaîner ses films, tu dois être de bonne humeur en ce moment.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Jed_Trigado » Mar 16 Avr 2019, 13:49

C'est marrant, je suis aussi dans un cycle Lars Von Trier. Breaking the Waves a été ma porte d'entrée chez lui, je suis plus moderé me concernant, tout comme The Element of Crime. Par contre la découverte de The House That Jack Built m'a ravi comme jamais.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Olrik » Mar 16 Avr 2019, 13:55

Mark Chopper a écrit:tu dois être de bonne humeur en ce moment.

Etonnamment ça va bien. Ça doit être le printemps, se faire un cycle LVT en hiver serait plus risqué.

Jed_Trigado a écrit:C'est marrant, je suis aussi dans un cycle Lars Von Trier. Breaking the Waves a été ma porte d'entrée chez lui, je suis plus moderé me concernant, tout comme The Element of Crime. Par contre la découverte de The House That Jack Built m'a ravi comme jamais.

J'ai vu The Element of Crime il y a quelques semaines. Une expérience formelle assez sidérante (surtout pour un premier film) mais pas facile d'accès. Sinon, oui, The House That Jack Built m'a fait aussi grosse impression. Je le mets de côté pour un prochain rematage.
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar pabelbaba » Jeu 18 Avr 2019, 07:44

Comme par hasard, Hideo Kojima poste l'affiche jap de The House that Jack Built sur Twitter...

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Olrik ne serait finalement pas la némésis moustachue d'un duo british, mais bien le créateur des déplacements furtifs en boîte de carton? :chut:
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Re: [Olrik] Mes films qui tuent la gueule en 2019

Messagepar Olrik » Jeu 18 Avr 2019, 09:35

Nan, mais Hideo est un vieux pote, il vient régulièrement chez moi pour siroter une Kirin tout en matant un bon film - c'est d'ailleurs chez moi qu'il a pu voir The House That Jack Built. Un joyeux drille en fait, moins coincé qu'il n'y paraît.
L'affiche jap' est sympa mais j'aurais plutôt posté celle-ci à sa place :
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Sinon j'ai bien aimé le commentaire du type sur son post disant que Dexter est "way much better". :eheh:
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