Vu la conclusion du second volet, la suite lambda logique pour n’importe quel studio aurait été de miser sur un troisième opus faisant la part belle à l’action, avec une guerre du début à la fin et de l’action épique à souhait. Mais ça, c’était sans compter la prise de risque évidente dont font part les producteurs de cette trilogie, et on se retrouve avec une conclusion carrément étrange pour un blockbuster des années 2010 : un film qui prend son temps pour raconter une histoire avec finalement peu d’action, et qui fait la part belle à la psychologie et au développement de ses personnages. Alors certes, ça donne un film qui porte assez mal son nom (à part sur le début du récit, il n’est finalement pas vraiment question de guerre en fin de compte) mais à côté de ça, le métrage va tellement loin dans tout ce que les blockbusters n’osent plus faire aujourd’hui que ça en devient franchement admirable. La première qualité du film, c’est évidemment le traitement de son personnage principal : vu l’évolution des deux précédents volets, on était en droit de penser qu’on aurait un César plus charismatique et confiant que jamais, un véritable seigneur de guerre, mais au final on se retrouve avec un personnage fatigué qui n’a jamais autant douté de lui, et c’est ce qui va servir comme moteur des ambitions du récit.
Pour le coup, le film tient entièrement sur les épaules de César, et non seulement le personnage supporte le challenge côté écriture (il apprend finalement les dernières leçons qui lui permettront de passer la main pour l’évolution de son peuple) mais en plus il passe un nouveau cap en terme d’interprétations. Sur le coup, c’est bien simple, je suis pas loin de penser que c’est certainement la meilleure interprétation de Serkis (et pourtant je tiens en très haute estime sa prestation en Gollum), le mec vole le film à chaque plan où il apparaît et a souvent plus d’émotion faciale que n’importe quel acteur réel à l’écran. A cela s’ajoute la technique : on a moins l’impression d’un cap avec le précédent volet qu’entre le premier et le second, mais ça peaufine à mort sur les détails du visage et des poils, et ça rend les singes encore plus vivants qu’ils ne l’étaient. En quelques secondes, on oublie totalement que ce sont des créations numériques et on les considère comme des personnages à part entière.
Le film est plutôt intelligent dans son écriture et son déroulement, déjà via son propos (le rapport à la vengeance, à la relation singe/homme, mais aussi au fait que ce soit l’humain qui s’éradique jusqu’au bout lui-même de cette planète) mais aussi parce qu’il choisit de raconter : on est pas devant un film de guerre, mais plus devant un road-movie qui va se transformer ensuite en film de prison et, forcément, d’évasion. La guerre du titre se déroule plus dans la tête de César qu’autre chose, un véritable combat intérieur qui découle des questionnements des deux films précédents, et du coup ça rend ce troisième opus complètement logique, et permet de regarder les trois projets comme un véritable ensemble. En plus, le film est vraiment pertinent et subtil dans sa façon de traiter le conflit homme/singe, en brouillant encore plus les pistes avec des humains qui aident les signes et inversement (super idée le concept des donkeys)
Après, le film a quand même ses défauts qui font qu’on loupe de pas grand chose le grand film : déjà le rythme est assez inégal à mon sens, avec notamment une première moitié qui patine un peu par moment, mais surtout il y a des choix scénaristiques qui ne m’apparaissent pas spécialement judicieux. Je pense notamment au personnage de Bad Ape, qui a une véritable raison d’être à la base (une preuve que plusieurs singes à travers le monde deviennent plus intelligents) mais dont l’évolution me semble carrément étrange, comme s’il manquait une ou deux scènes qui pourraient l’étoffer, ou encore à quelques facilités scénaristiques un poil abusées (l’évasion paraît beaucoup trop aisée globalement). Et autant jusqu’ici la trilogie ne me dérangeait pas du côté du fan-service, qui était toujours subtil et bien amené, autant là le coup de Nova je trouve ça assez inutile et surligné, d’autant que la gamine aurait très bien pu rester anonyme sans que ça ne pose problème (d’ailleurs, elle joue vraiment très bien cette jeune actrice, elle arrive à tout faire passer par le regard c’est assez dingue).
Côté réal, on est un cran au-dessus du second volet : Reeves prouve à nouveau son statut de bon faiseur et livre quelques séquences bien marquantes (j’adore le plan d’introduction avec les casques façon
Full Metal Jacket, le plan séquence POV de César dans les tranchées à la
Paths of Glory ou encore la façon dont est dévoilée l’avalanche
) en plus de plans bien chiadés (la partie road-movie avec les chevaux sur la plage notamment, mais aussi le passage dans l’hôtel enneigé qui renvoie directement à
Doctor Zhivago , bref Reeves a l’air d’être un réal de bon goût vu ses références). Visuellement donc, c’est clairement un des plus beaux blockbusters récents, on voit le fric à l’écran, et en plus c’est sublimé par la très bonne partition de Giacchino qui signe un superbe thème principal (et j’aime beaucoup aussi l’accompagnement de l’évasion). Bref, un métrage particulièrement plaisant qui me frustre un peu dans le sens où il aurait fallu pas grand chose pour le transformer en grand film, mais à côté de ça il faut vraiment pinailler pour ne pas y voir un des rares divertissements à gros budgets qui tentent une réelle prise de risques. C’est un film qui aurait pu céder à la facilité un grand nombre de fois, mais qui choisit d’aller jusqu’au bout dans ses intentions de départ, et ça c’est particulièrement louable et remarquable dans le contexte actuel.