Alien Covenant de Ridley Scott (2017) - 8/10
Le cinéma est parfois une affaire d’égo. Celui d’un acteur ou d’un réalisateur. D’un cinéaste qui détruit son héritage, qui saccage une entité cinématographique mythique. Et c’est ce qui se déroule avec Alien Covenant, qui va sans doute devenir le vilain petit canard de la saga Alien, le mal aimé, film malade qui démystifie l’aura de ce qui fut créé précédemment. Qui crache sur le symbole. C’est en ce sens-là qu’on se dit qu’une saga ne tient qu’à un fil. Alien le huitième passager avait des caractéristiques nobles : renversement de l’atmosphère horrifique, représentation de la peur, mise en scène de l’invisible et élégance du monstre dont l’aura n’est plus à présenter. Sauf qu’Alien Covenant est tout l’inverse : horreur sanguinolente, gore creepy, bestiole vociférante et désarticulée, monstre numérique, montage parfois épileptique.
Un cinéma dotée d’une modernité dégénérative. Mais c’est ce qu’il y a de plus beau (ou laid selon les avis) voire même de passionnant chez ce Covenant : voir un réalisateur qui renverse le rapport de force de sa propre création, un cinéaste qui n’a plus foi en l’humain et qui le fait savoir, qui essaye de faire le pont entre certains films avec plus ou moins de cohérence. La puissance de Covenant, c’est son atmosphère, parfois ridicule, mais intransigeante et noire, qui suinte la mort du cinéma de Scott ou celle de ses personnages, il y a un sentiment de désolation, de vomissure, d’un nihilisme goguenard et ricaneur, un regard robotique et malin sur des humains qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas : les mêmes qui expliquent qui peut créer et qui ne le peut pas. Il y a dans ce Covenant un ressentiment : une sorte de vengeance personnelle de Ridley Scott. Il existe ce genre de films : ceux qui sont personnels mais qui manquent parfois cruellement de subtilité mais qui sont tellement incarnés qu’ils en deviennent attachants et investis d’une richesse analytique foisonnante. Un peu comme The Neon Demon de Nicolas Winding Refn : où le réalisateur était son personnage principal et l’inverse était vrai. Alien Covenant prend ce parti pris là : Scott est David et David est Scott : un créateur, une âme en peine qui par égo ou opportuniste se prend pour le roi du royaume.
Quand David fait le tour de son musée des monstres, on croirait voir le cinéaste parler lui-même de sa saga. Ridley Scott reconstruit son mythe et le brûle dans le même temps, amplifie ses multiples symboliques mortifères. Le pire, c’est le destin du monstre : alors qu’il était au-dessus de tout dans la saga alien, il ne devient qu’une arme, qu’une création meurtrière qui éviscère tout ce qui bouge autour de lui et qui écoute son maitre bêtement : presque un animal de compagnie difficile à commander. Blasphème pour tout fan qui se respecte. Mais la prise de risque est noble. Peut-être idiote mais maline voire drôle : comme dit précédemment, le rapport de force évolue. La menace, la véritable, c’est l’humain et ses propres créations : iconiser à la fois par David et puis par les xénomorphes : le docteur Frankenstein et son monstre. Le passager intrus n’est pas la bête mais c’est David : sorte de demi dieu qui déteste l’humanité, qui voit en eux une imperfection qui n’est pas digne d’être respectée. C’est la révolte de l’intelligence artificielle qui dépasse sa propre mission contre ceux qui l’ont méprisé.
Ce qui donne à Covenant des scènes magnifiques : comme l’arrivée du vaisseau chez les ingénieurs et la dévastation induite, tout comme cela peut donner des séquences nanardesques : comme celle où David fait lever les bras au ciel de son monstre. Seriously ? Alien Covenant fonctionne pas à pas, avec son rythme en dent de scie mais agence ses respirations par ses digressions créationnistes, un peu imposantes et balourdes, mais épineuses quand on les met en rapport avec son réalisateur. Cette première séquence entre David et Weyland : l’art n’intéresse plus Scott, juste la question de l’origine importe. D’emblée, la frustration de David devient nauséeuse, indigeste mais les tableaux s’avèrent toujours aussi esthétiques. C’est ce qui le rend supérieur à Prometheus : film de science-fiction, beau, mais terriblement monolithique dans son enchevêtrement. Dans Covenant, le film s’amuse, se fait féroce dans sa violence, se dote d’une personnalité et harangue les foules avec ses pulsations horrifiques comme en témoigne cette première séquence de contamination qui se termine avec l’arrivée de David : mise en tension maline, montage intense, mise en scène mobile, violence esthétique prenante, environnement claustrophobe.
Durant ces moments-là, Ridley Scott a tout juste. Et son film prend de l’ampleur : son visuel enchante, l’univers pétrifie comme avec cette « vallée des morts » qui se trouve avant l’antre de David à l’instar d’un Apocalypse Now, joue le jeu des chaises musicales entre le slasher sanguinolent, régressif et film ésotérique qui prend la cathartique du néant de certains de ses personnages. Mais Alien Covenant contient surtout le meilleur acteur de sa génération : Michael Fassbender. Un charisme indéniable, devenant presque le second de Ridley Scott, un regard, un physique, un visage, un sourire dissimulant une folie qui gangrène un métrage aussi ridicule que passionnant, pour un plaisir qui n’est même pas coupable.