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LA VÉRITÉHenri-Georges Clouzot | 1960 |
9/10•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••« Arythmie amoureuse » La vérité est en paradoxe avec le sujet qui l’anime : alors qu’il y est question d’acte manqué, d’un timing qui n’est jamais le bon, le film de Clouzot est un modèle de précision, à la mécanique soigneusement huilée, dont toutes les composantes sont parfaitement assises. Direction d’acteurs chirurgicale qui permet à Brigitte Bardot de crever l’écran, à Paul Meurisse de rappeler son charisme naturel, mise en scène rigoureuse sans éclat ni faiblesse, photographie subtile et narration fluide, tout s’y rencontre pour composer ce qui est certainement l’un des plus beaux films français de procès, mais pas seulement : La vérité c’est bien plus que cela, c’est une vraie tragédie amoureuse, une dissection de l’âme humaine dans ses moindres parcelles.
Un crime passionnel, quel contexte est en effet plus approprié pour sonder l’humain, mais également le plus propice à la dérive manichéenne ? L’intelligence de Clouzot est qu’il s’évite tout parti pris quant à l’affaire qui motive son propos. Alors qu’il aurait été légitime qu’il se laisse charmer pour l’un ou l’autre des camps en présence, il prend soin de laisser les gestes, les dialogues, l’alternance des points de vue s’exprimer tour à tour, sans traitement de faveur. Chacun peut alors se faire porteur d’une vérité volatile, jusqu’à un dernier tour de piste radical qui parvient à ôter aux différents orateurs les mots qu’ils alignaient sans s’essouffler pour défendre leur position respective. Réussir à rendre si palpable le malaise généré par le soudain sentiment de culpabilité qui assaille les porteurs de la bonne morale est un réel tour de force.
Une intention de cinéaste sans faille qui, associée à un savoir-faire saisissant, remue les cœurs. Gérant parfaitement le rythme de son histoire, y distillant ses cartouches avec nonchalance, Clouzot construit petit à petit son argumentaire : il n’y a pas de vérité, seulement des hommes, des femmes, et les interactions qui les font vivre. Pour autant, n’allons pas sous-entendre qu’il se contente d’exposer, sans proposer sa réflexion. Cette dernière y est palpable tant il remet en question les mentalités qui construisent l’opinion publique : cet esprit de groupe qui veut que les marginaux sont forcément jugés coupables par leur pairs alors même qu’ils se contentent de vivre : « Vous êtes là, déguisés, ridicules, vous voulez juger mais vous n’avez jamais vécu ; jamais aimé. C’est pour ça que vous me détestez, parce que vous êtes tous morts ». La sentence est glaciale, implacable, fait froid dans le dos autant qu’elle émeut : Brigitte Bardot, investie sans retenue, n’est plus Brigitte Bardot : elle est Dominique Marceau dans sa seule vérité, celle de n’avoir jamais réussi à respirer à la bonne heure. C’est dans ces moments là, alors que tout esprit analytique s’est envolé, que l’outil cinématographique quand il est totalement maîtrisé exprime tout son potentiel.
Et comme pour asseoir cette impression, pour définitivement prouver qu’il est seul maître à bord, Clouzot achève les cœurs en l’espace d’une seule et dernière ligne de dialogue. Un instant furtif qui remet tout en question, jusqu’à la passion dont il a été question. Quand les deux avocats se réconfortent mutuellement, alors qu’ils étaient prêts à s’étriper 10 minutes plus tôt, l’émotion prend un rude virage : les deux vies qui ont déchaîné Paris pendant 2 heures, celles qui ont malmené les âmes, invité les larmes, provoqué soupirs et incompréhensions, n’ont finalement été qu’un succès éphémère pour l’un, un échec amer pour l’autre, un aléa du métier en somme. Un dénouement si noir qu’il serre les tripes : rares sont les films qui vous habitent autant alors que leur générique final a disparu de l’écran depuis bien longtemps.
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