Adaptation en long-métrage d'un de ses courts,
Assassin(s) est surtout pour Kassovitz le film qui suit son plus gros succès, à savoir
La Haine, et donc en quelque sorte le film qui doit confirmer toutes les qualités qu'on pouvait penser de lui en tant que réalisateur. Bien décidé à régler ses comptes avec la société, Kassovitz signe donc un métrage qui n'est pas, comme on peut s'y attendre, une simple histoire de passage de relais entre assassins professionnels, mais bien un pamphlet sur la société qui les met au monde et qui les éduque. Un film ambitieux donc, plus que
La Haine qui s'intéressait à une partie limitée de la population française, alors qu'ici c'est clairement tout le monde qui est visé, du plus vieux au plus jeune. Malheureusement, cette ambition est à la fois la plus grande qualité du film ainsi que son plus grand défaut. L'intention est là, et elle est clairement louable, mais on sent un défaut de rigueur d'écriture qui fait que
Assassin(s) donne parfois l'impression d'être un premier film : Kassovitz tente de placer un maximum de choses dans son propos, beaucoup trop même, et du coup la plupart des sujets donnent soit l'impression d'être inaboutis, soient trop surlignés (je pense notamment à la question des médias, qui donne lieu à plusieurs scènes identiques alors qu'une seule convenait parfaitement pour comprendre ce que le film a à dire).
Heureusement, le film se rattrape sur bien d'autres points. Déjà en terme de propos c'est autrement plus ambitieux que ce qu'on a l'habitude de voir dans le cinéma français (et plus trash aussi, le coup de la sitcom qui vire en snuff-movie
), et surtout
Assassin(s) arrive de façon surprenante à capter un sentiment de ras-le-bol propre aux années 90 en France, et ce autant d'un point de vue scénaristique que visuel. A côté de ça, et malgré ses défauts, le script est quand même bien culotté dans l'ensemble, avec un passage de relais entre trois générations différentes qui repose sur un retournement de situation inattendu (impossible de le voir venir celui là), et autant j'ai tendance à trouver que Serrault est parfois un peu trop en roue libre, autant globalement le trio fonctionne à merveille avec des relations assez ambiguës. Puis bon, à revoir ce film aujourd'hui, on se rend compte que Kassovitz mettait le doigt là où ça fait mal, et difficile de ne pas penser aux horreurs qu'on a pu voir ces dernières années quand on voit le final du métrage, et pour le coup la tagline du film, "Toute société a les crimes qu'elle mérite", prend tout son sens.
Côté mise en scène, un poil déçu en revanche, autant c'est bien filmé, pas de doutes là-dessus, autant je trouve ça moins réfléchi que
La Haine, tout en conservant le côté un peu racoleur quand il s'agit de faire des plans compliqués sans réelle justification derrière. D'ailleurs, il s'autocite même en reprenant carrément le plan du miroir de
La Haine. Enfin, surpris de voir Carter Burwell à la bande-son d'un film français, et ça fonctionne vraiment (faut voir le niveau en France aussi). Œuvre inégale,
Assassin(s) est surtout pour moi un film sincère d'un homme qui n'avait peut-être pas encore les épaules pour signer le grand film qu'une telle histoire méritait (ça me pousse encore plus à penser que
L'Ordre et la Morale est son film de la maturité), mais en l'état ça reste un film très sympathique, ne serait-ce que pour sa capacité à être un véritable reflet de son époque.