Il n'y a rien à redire, s'il y a bien un cinéma qui est en forme en cette année 2016, c'est bien le cinéma coréen, qui enchaîne à une vitesse fulgurante les énormes succès au box-office, succès qui se révèlent quasiment tous justifiés avec notamment de bons crus de la majorité des grands réalisateurs du pays. Après le retour en grande forme de Park Chan-wook, le nouvel uppercut de Na Hong-jin, la surprise
Train to Busan, et en attendant les autres gros potentiels que peuvent être
Tunnel,
Inside Men ou encore
Asura, il est temps de se pencher sur le nouveau long-métrage de Kim Jee-woon, qu'on n'avait pas revu depuis sa décevante expérience américaine, et qui avait besoin de prouver à nouveau quel excellent réalisateur il peut être. Pourtant, si la possibilité de voir Kim Jee-woon sur un film d'espionnage pur et dur suscite de gros fantasmes de cinéphiles, il y avait de mon côté la peur d'une certaine redite par rapport au contexte même du métrage, au récit se déroulant en pleine occupation japonaise de la Corée. Non pas que l'époque soit inintéressante, loin de là, mais il y a depuis peu une vraie mode qui consiste à jouer à fond sur cette sombre période, et d'user parfois de symboliques un peu lourdes pour forcer sur le patriotisme de bas étage (je pense notamment à
Roaring currents, qui était loin d'être un modèle de subtilité à ce niveau là).
Heureusement, dès le début de
The Age of Shadows, les doutes s'envolent rapidement, et dès que la première séquence d'action arrive, à base de course-poursuite d'un résistant coréen par une centaine de soldats armés courant sur les toits, on sait que le Kim Jee-woon virtuose est de retour (dans cette scène il y a un plan de grue qui va du sol jusqu'au toit d'une fluidité assez incroyable, le genre de plan qui rappelle que la bonhomme est le même qui a signé
I saw the Devil). Dès lors,
The Age of Shadows est un film qui va jouer constamment sur un certain effet de surprise, nous prenant à court en nous faisant suivre un officier coréen à la solde des japonais, ayant totalement perdu toute notion de morale ou de patriotisme, puis en commençant le véritable récit sur un chemin plus classique (un espion qui va changer de camp) pour ensuite brouiller totalement les pistes en offrant notamment un fabuleux jeu de chassé-croisé où les proies et chasseurs se confondent. Ce jeu d'espions, Kim Jee-woon en profite un maximum pour délivrer des scènes franchement mémorables, à l'image de ce long et grandiose climax en plein milieu du récit, se déroulant dans un train, et où les identités et la confiance de chacun est mise à rude épreuve, en même temps que les nerfs du spectateur (ce passage dans le wagon-restaurant, un sacré morceau de tension).
Non là dessus rien à redire, si je peux trouver au début du film un petit ventre mou avant que le récit ne démarre réellement, Kim Jee-woon maîtrise parfaitement le reste de son métrage, et en s'imposant comme une référence de fluidité dans sa mise en scène. Forcément, comme la plupart de ses autres films, on trouve une certaine influence de cinéastes occidentaux, et là en l’occurrence c'est parfois à Tarantino que l'on pense, en particulier lors d'une très belle scène invoquant le Boléro de Ravel, et qui renvoie directement à un passage précis de
Inglourious Basterds (et même globalement le jeu d'identité rappelle parfois l'acte final du même film). Alors certes, sur la fin certains pourront être déçus par le récit qui finit de façon classique (finalement, c'est bien plus une histoire de rédemption que d'espionnage à proprement parler), mais à côté de ça il y a une vraie noirceur dans le traitement (même si, à ma grande surprise, il y a de nombreuses ruptures de ton, comme cette scène de beuverie improvisée
), ça n'épargne pas grand chose sur les horreurs faites à l'époque (la torture notamment) et surtout le final laisse sur une note assez amère, le héros a terminé sa quête mais renie tout ce qu'il avait créé jusqu'ici.
Ce travail sur le personnage principal est clairement la grande force du film, avec un héros qui doute constamment de ses choix et devant improviser en permanence en fonction de la façon dont évolue les situations, et puis Song Kang-ho est juste magistral, clairement sa meilleure performance depuis
Thirst. Ma grande surprise en revanche vient de Gong Woo, que j'avais trouvé bon mais sans réel plus dans
Train to Busan et qui ici est vraiment excellent dans un rôle de résistant voué à son pays. Un petit mot concernant Eom Tae-goo, acteur jusque là majoritairement cantonné aux troisièmes rôles et qui ici à un pur rôle de bad guy bien vénère, il vole d'ailleurs souvent les scènes où il apparaît. Et sinon, la bande-son de Mowg, habitué des films de Kim Jee-woon, déchire bien, et on a un caméo de luxe en la personne de Lee Byung-hun, que ça fait plaisir de revoir dans un vrai bon film
.
The Age of Shadows, c'est tout simplement le meilleur film de son réalisateur derrière le doublé
A Bittersweet Life/
I saw the Devil, un sacré thriller d'espionnage qui va loin dans ses intentions, et qui le fait avec une maestria dingue. Clairement Kim Jee-woon sait se faire pardonner de sa mésaventure américaine, et au passage il rappelle que le cinéma coréen n'a pas fini de faire parler de lui. Vivement le prochain.