[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Terre et l'ombre (La) - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 03 Oct 2016, 05:40

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Le silence de la cendre.

Dans Soy Cuba, le travail douloureux de la récolte de la canne à sucre était souligné par une rythmique abrutissante et presque hypnotique, répétitive jusqu’à la nausée. Pour son premier film, caméra d’or à Cannes en 2015, le Colombien César Acevedo reprend partiellement cette idée. Mais avant que de montrer le labeur des ouvriers, il donne à voir leur demeure, dans laquelle un homme revient après 17 ans d’absence ; son épouse, son fils à l’agonie, sa femme et leur petit garçon y survivent, entourés de la canne à sucre et sous une pluie de cendre due à son exploitation intensive.
L’ouverture annonce la couleur : plan-séquence fixe, on y voit le grand-père marcher le long de la route avant qu’un camion ne le dépasse dans un fracas qui n’inonde le champ d’une poussière blanche.
Deux plans cohabitent : la réalité socio-économique qui dénonce l’exploitation de travailleurs qu’on ne paie que rarement et qu’on exploite jusqu’à la mort, et cette demeure qui reste la seule mais vénéneuse possession de cette famille. Encerclés, empoisonnés par l’air viciés, dépendant d’un travail à la source même de leur mal, les actifs ne savent que faire. La mère refuse de partir, le père l’a déjà fait avant de revenir pour accompagner son fils mourant d’insuffisance respiratoire. La belle-fille ne demande qu’à s’en aller, tandis que le garçon de 6 ans tente de comprendre les motivations torturées de cette famille dysfonctionnelle.
Rares ébauches de sens dans cet univers apocalyptique, la relation avec son grand-père, à l’écart de la mort et de l’esclavage, occasionne la construction d’un nichoir ou l’envol d’un cerf-volant.
La mise en scène, très austère, opte pour une dignité silencieuse. Nul pathos, mais des portraits, souvent silencieux, de visages s’ouvrant à la relation et la solidarité face à l’adversité. Quelques lents panoramiques accompagnent discrètement de timides échanges, élargissent le plan sur ce qui pourrait être une famille, ou une équipe de travail. Le père malade s’offre ainsi une sortie, sous un drap le protégeant de l’air, pour rejoindre en cachette père et fils : à la fois fantôme et vivant, il trompe la mort quelques minutes durant, au soleil et au sourire de son enfant.
L’étouffement du cadre, très travaillé, reste néanmoins sans relâche, d’une violence muette, ponctué de cette neige cendrée dont la seule évolution sera la vision finale des flammes qui en sont à l’origine : une explosion graphique et infernale qui semble pouvoir enfin offrir aux personnages non un répit, mais au moins la possibilité d’un changement, même dans la douleur.
Parce que l’exploitation ne cédera pas, parce que le monde devenu fou poursuit sur sa lancée, le deuil et la séparation semblent être les conditions inévitables de la survie. À la fois pessimiste et profondément empathique, La terre et l’ombre aura donné, le temps d’un récit, des visages aux victimes, traqué leur capacité à sourire, regarder devant eux et relever la tête.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Chuck Chan » Mer 12 Oct 2016, 21:31

Ta critique de There Will Be Blood est la meilleure que j'ai lue sur ce film, un immense bravo !
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Jeu 13 Oct 2016, 05:01

Chuck Chan a écrit:Ta critique de There Will Be Blood est la meilleure que j'ai lue sur ce film, un immense bravo !


:oops: Merci !
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Independence Day : Resurgence - 1/10

Messagepar Nulladies » Ven 21 Oct 2016, 06:36

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 25.

Sur la table en acajou, la corbeille fruits est compartimentée : fruits secs, fruits à coque, olives, Pringles, pétales séchés, biscuits pour chien, gravier, huile de ricin, verre pilé.

- Réminiscence ?
- Vengeance ?
- Recrudescence ?
- Très urgence ?
- Turgescence ?
- Tumescence ?
- Purulence ?
- Putrescence ?
- Fermez vos gueules.
- Ah, bonjour à vous aussi, chef. On était en plein brainstorm. Vous êtes nombreux aujourd’hui.
- Nouveau protocole. On perd du temps dans ces Script teams. On va inaugurer les multisessions. Dick, Rick, Nick, vous vous mettez sur le côté droit pour le nouveau ID.
- Ok chef. On était déjà dessus et…
- J’avais oublié de vous dire de fermer vos gueules ? Me semble pas. Les autres, que voici derrière moi, forment l’équipe MetaWrite.
- …. ?
- Ah oui, la nouveauté, ça vous transforme toujours en steak de tofu la première fois, bande de fiottes. Leur job, c’est de collecter des métadonnées du blockbuster pour les ventiler dans les suivants. Ils ont tout vu depuis 20 ans, et ont une base de données imparable. Ils vont vous guider. Faites bien gaffe, ils sont en visioconférence sur d’autres projets en même temps. Quand ils se tournent vers vous, c’est qu’ils vous parlent.
- Donc on note ce qu’ils disent ?
- Ouais. Vous avez le droit, à condition d’être efficaces, de proposer des trucs. Ils les intègreront dans leur base. On commence par les fondamentaux. Vous les écoutez.
- ID 1996.
- Aliens
- Star Wars
- 2012
- Top Gun
- Vous avez compris ? Vous avez déjà 50 % de vos ingrédients.
- Mais comment on…
- Putain, Rick. Faut se mettre à jour un peu. Bryan, aide-les avec les mots clés thématiques
- Connexion psychique
- Schémas
- Patriotisme
- Salut militaire
- Discours fraternel international
- Sacrifice
- Virilité
- Orphelins
- Yellow Bus.
- Chef, ils nous regardent, là ?
- Oui, mais ils parlent en même temps à la team de Transformers 5. Suivez, putain !!!
- 1h50.
- Ah, c’est court quand même.
- Oui, là aussi on fait des économies. L’idée maitresse, c’est réduction : les dilemmes, les enchainements, les plans, les stratégies, on s’en bat les couilles. Vous avec à chaque fois 90 secondes.
- D’accord. Et sinon, pour le titre on s’était…
- Résurgence.
- Oh putain j’avoue ils sont forts quand même.
- Bon, on poursuit. Esthétique ?
- Poooooooooooooin.
- Colonnes de Hummers
- Paquebot vole
- Building vole.
- Gros vaisseau mère
- Grosse Reine mère.
- Vous notez j’espère ?
- Oui oui, on arrête pas. J’ai des id…
- Tendances ? Là, c’est les trucs du moment à placer.
- Chine
- Femme
- Africains à machette
- Armée
- USA
- Répliques ?
- Let’s do it
- You need to see this.
- You really need to see this
- That’s our only shot
- That’s what we came for
- There will be no peace
- We’re not gonna beat them this time
- Pray for us
- Voyez, putain, c’est pas compliqué.
- Humour ?
- Pipi culotte
- Pipi sur vaisseau Alien
- Doigt d’honneur
- Le gratte papier du gouvernement.
- Le savant fou
- Un cul apparent.
- Voilà.
- Bon, ben on a plus qu’à remettre ça dans l’ordre
- Nan, c’est bon, ils ont aussi une trame rythmique. Elle devrait s’afficher sur vos tablettes.
- Applaudissements
- Cuivres symphoniques
- Casque qu’on enlève avec satisfaction
- Ecrans de contrôles
- Satellites
- Pourquoi ils s’arrêtent pas, chef ?
- Là ils sont sur le prochain Avengers. Mais vous pouvez prendre aussi si vous voulez.
- Bon, on rajoute alors.
- J’espère que vous avez intégré le concept. Celui qui arrive à proposer un cliché éligible à la base de données garde le poste. A l’avenir, on va numériser tout ça et on aura simplement besoin d’un rédacteur au service du logiciel.
- Putain.
- Ben quoi ? Dites-le, merde !
- On…je veux dire…
- Il va cartonner.
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Voyage à travers le cinéma français - 8/10

Messagepar Nulladies » Sam 22 Oct 2016, 05:48

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Il se souvient.

Il était temps : après les volets américains et italiens par le maitre archiviste Scorsese, Tavernier reprend le flambeau pour éclairer notre patrimoine national. Son Voyage à travers le cinéma français, fleuve de 3 heures et quart, opte pour une subjectivité qui désactive toute possibilité de muséographique poussiéreuse.
Comme il l’a expliqué avec force à l’issue de la projection, (et un franc parler qui a permis aux pénibles interventions sur le modèle du « je suis étonné de ne pas avoir vu mentionné Untel » de se modérer), il n’évoque pas le muet et s’arrête aux années 70, lorsqu’il commence à devenir lui-même cinéaste.
Le film se construit au fil de ses souvenirs de cinéphile, de ses premiers chocs visuels à son entrée dans le métier, notamment comme assistant de Melville. N’hésitant pas à évoquer ses plaisirs coupables, comme son fanatisme adolescent pour Eddie Constantine, ou à dénicher des cinéastes peu connus comme Edmond T.Gréville et Jean Sacha, il fait autant œuvre de mémoire sur les chefs d’œuvre qu’il parvient à susciter de nouvelles découvertes.
Le parti pris est aussi celui de la lenteur. En assumant ses choix qui laissent de côté des auteurs gigantesques comme Ophüls par exemple, dont on ne voit qu’un extrait, il accorde près d’une demi-heure à Jean Becker ou Jean Renoir, se laissant le temps d’analyses et d’extraits aussi minutieux que comparatistes : c’est dans ces passages, comme ceux consacrés à Melville ou Sautet, qu’on est le plus happés par l’enthousiaste du cinéphile, autant critique que cinéaste.
La mise en scène est ainsi décortiquée, avec un mot d’ordre d’autant plus important pour Tavernier, dont on connait l’érudition sur le cinéma américain : rendre au cinéma français ses lettres de noblesse et en révéler la puissante modernité. Les anecdotes qui parsèment son œuvre où la voix off omniprésente accompagne chaleureusement le spectateur accentuent la fluidité et la truculence de cet ensemble dont la longueur n’est jamais un handicap. Il se permet aussi quelques incursions du côté des acteurs – splendide éloge à Gabin- et des compositeurs français dont il veut qu’on reconnaisse enfin la valeur.
Le cinéphile navigue donc entre plusieurs formes d’enthousiasme : celui de voir exhumés des chefs d’œuvre, revalorisé un cinéma dont on fustige trop souvent l’inertie, et porté par un élan d’aller plus loin pour en découvrir les trésors cachés.
Une œuvre nécessaire et revigorante, qui se poursuivra à la télévision par une série de 8 ou 9 épisodes qui viendront combler les inévitables manques de ce luxuriant prologue.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Jimmy Two Times » Sam 22 Oct 2016, 07:03

Énorme ton chapitre 25 des arcanes ! :eheh:
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Doctor Strange - 5,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 28 Oct 2016, 05:38

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Light Spirit

Dans l’optique de redonner un coup de fouet à une chantilly qui peut avoir sérieusement tendance à s’affaisser, l’ouverture à des dimensions limitrophes n’est pas complètement stupides. L’infini des mondes – le multivers, donc - devient un nouveau terrain de jeu, dans lequel temps et espace deviennent modulables, autant d’occasion de pousser à fond les curseurs du numérique au risque d’un WTF généralisé, mais assumé.
Ne nous leurrons pourtant pas trop longtemps : un nouvel arrivant dans la galaxie Marvel n’est pas la garantie de nouveauté. Une nouvelle fois, Doctor Strange reste gangréné par son à chier des charges : romance vaine, humour light, saupoudrage de clichés ; ici, le Nepal et le folklore d’initiation dans un temple avec encens, capuches et entraînements sur le mode « Petit Scarabée, dis à ton corps que tout est possible et tout sera possible pour ton corps ». Ajoutons à cela les raccrochages bien pesants à la phase N du MCU (oh oh, ce petit truc brillant vert est donc une pierre d’infinité, ça faisait longtemps), des personnages au charisme d’un hygiaphone à la sécu un mardi matin, et une trame générale qui, accroche toi à ton siège fidèle spectateur, consiste à, dis moi pas que c’est pas vrai, je te le donne en mille, sauver le monde.
Dimension miroir, dimension noire, d’avant le temps, promesses d’immortalité, tout cela ne dépasse pas les dialogues qui, eux, nous font bien prendre conscience de la durée d’un film pourtant raisonnable –et pour cause, il ne raconte pas grand-chose. Le méchant, censé être une dimension à lui seule, ne peut s’empêcher d’avoir des yeux, une bouche et une voix caverneuse, les voyages dans les multivers continuent à se faire sur le modèle du vortex coloré (CGI + psychédélisme = risques épileptiques ou nauséeux) ou du kaléidoscope : on aurait tant aimé, tant qu’on est à quitter notre tristement connue dimension, découvrir quelque chose de nouveau…
Finalement, on comprend vite que tout est laborieusement cousu autour de certaines séquences maitresses, de la même façon qu’on écrit les James Bond après avoir déterminé les cascades nouvelles qui en seront les climax.
Reconnaissons un certain charme à ces deux principes fondamentaux que sont l’affranchissement de l’espace et du temps. La séquence d’ouverture et l’affrontement sur New York occasionnent de belles prises de vues, qui souffrent évidemment de la comparaison à Inception. Bien entendu, il s’agit d’en mettre toujours plus, et la surenchère, alliée à la rapidité proche de la bouillabaisse par instant, annihile comme souvent la possibilité d’une réelle fascination. Les façades de plient à l’envie, ça part dans tous les sens, et on finit souvent par arrêter de suivre. Quand on fait un film où l’on peut modifier le cours du temps, l’idée d’y instiller de la lenteur dans les scènes maitresses pourrait lui donner ce cachet unique qui le ferait sortir du lot.
Pour ce qui est du temps, l’habituelle facilité consistant à voyage à travers lui permet des grossièretés scénaristiques qui désactivent bien des enjeux (on pourra toujours revenir en arrière si jamais…), mais permettent aussi une idée assez amusante dans la lutte qui oppose le héros au big boss final. De même, l’idée d’un combat apocalyptique sur une ville en train d’exploser à l’envers est assez séduisante.
Tout n’est donc pas à jeter, mais tout ce qui pourrait donner un brin d’individualité au film impitoyablement broyé par des intérêts d’une franchise en pilotage automatique. Un dernier exemple, la cape : amusante et presque cartoon, cet accessoire quasi personnage n’a le droit qu’à deux ou trois apparitions, alors qu’elle semble au cœur de la construction du héros. Il y avait là de quoi exploiter un charme à l’ancienne, qui aurait vu Disney ré-exploiter ce qui a fait son génie il y a bien des décennies.
Doctor Strange permet donc quelques menues réjouissances, mais n’est finalement qu’un maillon supplémentaire d’une chaine de plus en plus pesante, et dont le spectateur tire le boulet avec une lassitude qui ne cesse de s’accroître.
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Ma Vie de Courgette - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 28 Oct 2016, 05:40

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Résilience surveillée.

A mesure que se déploie une animation d’auteur, celle-ci investit des champs nouveaux : l’étude de mœurs pour adulte avec Anomalisa, la philosophie contemplative dans la Tortue Rouge, l’étude esthétique avec Tout en haut du monde… Autant de preuves que ce genre ne se limite pas à un divertissement enfantin de masse dans lequel on glisserait par intermittence des éléments parodiques ou ironiques destinés aux adultes.
Ma vie de courgette, réalisé en stop motion pendant près de deux ans, obéit à la même ambition : aborder de front des questions difficiles, comme l’enfance en foyer, l’abandon ou la mort des parents, et les mécanismes délicats de la reconstitution.
Le parti pris est pourtant de ne pas directement s’adresser aux adultes, en laissant la parole aux enfants, en filmant à leur hauteur, et les laissant exprimer à leur manière les failles qu’ils ont à combler.
On comprend dès lors bien des choix esthétiques de cette fable qui ne cherche jamais à établir une illusion réaliste. Au contraire, la simplicité épurée des décors, la rigueur austère d’une mansarde, l’insularité du foyer ou le caractère magique d’une montagne enneigée semblent directement émerger de la représentation que s’en fait l’enfance. De la même manière, les marionnettes animées s’imposent en premier lieu par leur artificialité ; c’est par la voix, l’interaction avec les autres et les ellipses qu’elles vont prendre vie, sous les yeux de spectateurs dont l’empathie va se construire progressivement.
L’animation est donc une sorte de défi tout à fait pertinent : en établissant certaines barrières préliminaires (une facticité assumée, le refus de la virtuosité, un discours épuré, des mouvements légèrement saccadés), Claude Barras établit la pudeur nécessaire pour aborder sans s’y fourvoyer un sujet aussi sensible. Céline Sciamma, à l’écriture, retrouve l’âge délicat de ses personnages de Tomboy et joue elle aussi sur les manques, la touchante maladresse propre à cet âge.
La dynamique fonctionne : les façades se craquellent et l’émotion surgit. Certes, l’écriture reste celle du conte (la tante vénale, le flic paternel, autant de figures toujours aussi extrêmes qui permettent de restructurer l’imaginaire enfantin), mais la justesse et l’authenticité l’emportent, notamment dans les éléments symboliques et silencieux qui établissent par mosaïque la communauté : la météo émotionnelle des enfants, des gestes ou des tics comme la raie qui cache le visage de l’une, l’attachement aux lunettes de ski de l’un, à une cannette de bière de l’autre, le rituel d’une fillette croyant voir venir sa mère dès qu’une voiture s’arrête… En abyme, les dessins de Courgette dans ses courriers soulignent cette quête de l’adulte aux commandes : retrouver ce geste primitif, à l’image de Picasso dans ses traits, pour laisser parler l’émotion de l’enfant, dont l’adulte à tant à apprendre : par sa fragilité, certes, mais surtout par les élans irrépressibles qui le mènent à la guérison.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Ven 28 Oct 2016, 05:41

Jimmy Two Times a écrit:Énorme ton chapitre 25 des arcanes ! :eheh:



Merci :)
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Moi, Daniel Blake - 4,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 29 Oct 2016, 05:58

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Les arcanes du film social

Un atelier d’écriture de la salle communale de Newcastle. Table en formica, chaises décaties, des gâteaux secs, une fontaine et des gobelets en plastique.

- Bon, on sait tous comment Ken fonctionne, à part peut-être toi, Mary-Rose.
- Ne t’inquiète pas, j’ai vu tous ses films.
- Bon, ça devrait aller dans ce cas. L’idée de base, c’est le travail en amont qu’on fait Hayley et Fergus : de la documentation, de l’enquête sur le terrain.
- Voilà. On fait rentrer tout ça dans une trame, on émeut par des destinées de personnages et le tour est joué.
- Faut qu’ils meurent alors.
- Attends, Robbie.
- C’est un documentaire, mais avec la possibilité d’en rajouter quand ça nous arrange ?
- On peut voir ça comme ça. Ken aime les symboles, n’oubliez pas.
- On règle tout de suite le problème du casting : l’important, c’est l’accent. Vous prenez un vieux grande gueule, mais hyper gentil, une mère isolée…
- Elle meurt, la mère.
- Robbie, on verra ça après.
- Plutôt jeune, histoire qu’on puisse en faire une prostituée, non ?
- Bien vu.
- Et un noir pour la téci touch. Chaussures de sport, petit filou au grand cœur, roi de la débrouille.
- Voilà. On les plonge dans l’enfer kafkaïen de l’administration dont l’objectif est de les dégouter du système pour les pousser à le quitter.
- Et ne plus vivre aux crochets du système, ces salauds de pauvres.
- Oui, enfin ça c’est l’état d’esprit qu’on dénonce Les pauvres, c’est les victimes.
- Oui oui, j’avais bien compris. T’inquiète, ce sera limpide. On est chez Ken Loach, enfin, Linda !
- Excuse-moi, mais justement, Ken déteste l’ambiguïté. Fergus, on t’avait demandé une fiche sur les méchants ?
- Des patrons, des blancs, grands, parfois gros, avec des cravates. Des bureaucrates.
- Bien. Robbie, pour les gentils ?
- Noirs, femmes, vieilles, un avocat en fauteuil roulant. Pour ceux qui meurent, je m’étais dit…
- S’il-te plait, Robbie, on n’y est pas encore.
- Ok. J’avais pensé à faire deux contre-motifs : un vigile, donc plutôt côté peuple, qui soit un méchant en prétendant aider la femme pour la pousser à la prostitution, et un directeur de supermarché qui ferme les yeux sur un larcin.
- Elle vole quoi ?
- C’est le moment de penser au symbole. Des serviettes hygiéniques : féminité, nécessité, intimité, humiliation.
- Bien. Tant qu’on y est : le vieux, vous m’en faites un travailleur manuel ; un charpentier, un gars de l’ancien temps face à l’ére inhumaine d’internet.
- Il construit des mobiles pour les enfants.
- Et une étagère pour leur mère, pour des livres, pour qu’elle étude, s’émancipe et sorte la tête de l’eau.
- Mais elle y arrive pas.
- A cause du système.
- Et donc elle veut acheter des chaussures à ses enfants et elle frotte des carreaux qui tombent.
- Voilà.
- Et elle meurt ?
- Robbie, tu es lourd.
- Bon, elle a froid. Et faim alors. Mais genre trop.
- Voilà. Elle fait ses courses à la banque alimentaire et là, elle peut pas attendre, elle mange directement un fruit, dans la fébrilité.
- Oui, bof. C’est pas très symbole je trouve.
- Attends, attends. Elle a TELLEMENT faim qu’elle ouvre une boite de sauce tomate, quelle mange à pleine main.
- Le truc qu’a aucun sens. Elle en foutra partout.
- Bouleversant. La dignité qui s’effrite, la perte de repère, l’aliénation par le système, la…
- Oui, oui, Hayley, on a compris.
- Bon, c’est bien tout ça. Mais ça manque un peu de révolte, non ?
- C’est vrai. Dans les bandes annonces de Ken Loach, il y a toujours des scènes comme ça.
- Le vieux, on l’a dit, il a une grande gueule. Il fait remarquer que le système est pourri.
- Il écrit sur les murs et tout !
- Oui, et les gens s’arrêtent dans la rue et ils l’applaudissent comme dans les films américains.
- Et pour la mise en scène ?
- …
- …
- Tu veux encore un verre d’eau ? Va en chercher, la fontaine est là-bas, derrière le pilier.
- Bon, je crois qu’on a fait le tour du sujet.
- [SPOILS]
- Mais alors, il gagne ou pas contre le système ?
- Ah, oui, c’est vrai. Il faut que le spectateur comprenne qu’il n’y a aucune ambiguïté. Il DOIT gagner : l’avocat, les médecins, tous les gens gentils sont de son côté.
- Mais…
- Robbie, putain !
- Nan mais il a raison, Linda. On veut du poignant pour festival, non ?
- Oui, c’est vrai. Allez, Robbie, tu as le dernier mot.
- Génial. Vous serez pas déçus. Croyez-moi, on va bouleverser.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Jimmy Two Times » Sam 29 Oct 2016, 08:42

En fait, c'est l'histoire d'un mec qui n'arrive pas à faire sa déclaration de situation mensuelle faute d'internet ? :eheh:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Sam 29 Oct 2016, 08:50

Jimmy Two Times a écrit:En fait, c'est l'histoire d'un mec qui n'arrive pas à faire sa déclaration de situation mensuelle faute d'internet ? :eheh:


C'est pas loin d'être ça. Et pour montrer qu'il est vraiment con, quand on lui dit de cliquer avec la souris en haut à droite, il pose la souris sur l'écran. Genre.
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Mademoiselle - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 02 Nov 2016, 06:57

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Clinquantes nuances de vrai.

S’il fallait définir l’intensité incommensurable des préliminaires et la supériorité du désir sur son contentement, Mademoiselle en serait un exemple éloquent. Explorant, comme à son habitudes, les sentiers retors de la séduction, de la manipulation et de la vengeance, Park Chan-wook fait à la fois montre d’une ambition nouvelle et d’un certain emprisonnement dans ses obsessions de prédilection.
L’ambition se situe sur le plan visuel qui atteint une indéniable maturité. En quittant pour la première fois l’époque contemporaine, le cinéaste opère un travail colossal sur la photographie et la reconstitution. Toute l’exposition qui permet la découverte d’une demeure colossale et de l’opulente richesse de la Demoiselle éponyme, riche héritière qu’il s’agit d’épouser avant de la spolier, occasionne ainsi un fantastique éventail des matières (les étoffes, le papier des cloisons, les bijoux) et des espaces que seule l’Asie sait à ce point organiser ; un trio mensonger se met en place dans lequel les places sont toutes réversibles : la demoiselle, poupée de sa femme de chambre, elle-même au service d’un prétendant vénal, intrigue aux multiples strates dont de nombreux flashbacks nous distillent progressivement les secrets. On observe, on épie, on écoute : toutes les cloisons de ce palais sont poreuses, et, du sous-sol aux draps, les soupirs eux-mêmes ne peuvent être que des masques supplémentaires.
Toute la première partie, sur les trois que compte le récit, est éblouissante : vénéneuse, sensuelle, elle emprisonne les personnages dans des tableaux anxiogènes comme le faisait Kubrick dans Barry Lyndon, et se permet quelques incursions du côté du dilettantisme des nantis, sur le modèle des catalogues de possessions qu’on pouvait croiser dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola. La voix off, murmurée, ajoute au double discours permanent, et l’esquisse d’une intrigue amoureuse sincère – un inévitable dans de telles intrigues, proche des Liaisons dangereuses – vient densifier les visages d’une aura nouvelle.
Le twist assez saisissant qui ouvre la deuxième partie nous propose une écriture sur le modèle du Rashomon de Kurosawa : il s’agira dès lors de revisiter le récit depuis un point de vue nouveau : l’exercice est ludique, et permet surtout, dans un premier temps, l’accès à un nouvel espace, celui de l’enfance de Mademoiselle, et de la personnalité perverse de l’oncle, maitre des lieux, focalisant son désir sur la lecture d’ouvrages pornographiques sont sa nièce est la voix. Nouvelle exploration du désir, à l’état de fiction, au fil de superbes scènes, tout à la fois désincarnées par une plastique superbe (la scène du mannequin de bois, les fantasmes SM des auditeurs…) et d’une sensualité trouble dans les inflexions de la liseuse, aussi éteinte soit-elle par son visage marmoréen. (À ce sujet, il est absolument primordial de voir le film en VO, par ailleurs sous-titré en deux couleurs pour nous permettre de reconnaitre lorsqu’on parle coréen ou japonais). Le regard des notables sur la jeune fille en performance, ce désir d’accès à une autre dimension du désir sans qu’on puisse briser le glacis d’une cérémonie rappelle les atmosphères vénéneuse d’Eyes Wide Shut, et conforte encore davantage l’assise d’un film décidemment impressionnant.

On pourrait, si tant est qu’on ait l’occasion de briser la force hypnotique de l’œuvre, se surprendre à se rappeler que tout cela peut paraitre bien sage au regard de ce dont nous a gratifié Park Chan-wook jusqu’à présent.
Et c’est là que ses démons se réveillent.
À mesure que le film, qui dure près de 2h30, dévoile ses twists et clarifie la position des personnages, le charme qui résidait sur le mystère et le non-dit tend à s’étioler. Les personnages perdent de leur pouvoir de fascination plus ils se dénudent, ou plus leur violence s’affirme : la séquence de torture, totalement inutile, en est un exemple assez triste.
Mais c’est surtout sur la sensualité que l’effet est dévastateur.
(légers spoils)
Le film comporte quatre séquences d’amours saphiques, dont l’explicite et la crudité vont croissant. Et c’est, de très loin, la première séquence qui l’emporte, un moment absolument renversant où il ne s’agit pourtant que de polir une dent. Mais la lenteur, l’ambiguïté et les silences de cette scène sont d’une maitrise totale, parce qu’elle contient un inaccessible, pour les personnages comme le spectateur. Ses déclinaisons suivantes ne cessent de l’appauvrir, jusqu’à un final en forme de porno soft à la lisière du ridicule, qu’on pourrait presque trouver dans les Nuances de Grey.

Certes, il en faudrait davantage pour faire sombrer toute l’édifice. Mademoiselle semblait parti pour explorer les arcanes du désir, et ne se révèle finalement qu’un thriller. De luxe, certes, et au service duquel la forme est souvent virtuose, ce qui, en somme, ne fait qu’accroitre notre propre frustration.
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Etrangleur De Boston (L') - 8/10

Messagepar Nulladies » Lun 07 Nov 2016, 06:48

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Fragments d’une chronologie du barbare

L’étrangleur de Boston sort la même année que L’Affaire Thomas Crown et partage avec lui un goût pour l’expérimentation formelle grâce à l’usage du split-screen. Les films sont particulièrement intéressants à comparer dans la mesure où les usages de cette technique n’occasionnent pas le même propos.
Chez Richard Fleischer, qui réutilisera cette approche dans Soleil Vert en 1973, il s’agit avant tout de donner à voir la propagation de la paranoïa d’une ville sous la coupe d’un serial killer. Toute la première partie du film se contente d’aligner les meurtres sans que l’enquête ne progresse : le champ est laissé libre au tueur et les différents plans à ses victimes, avant que les médias ne s’emparent de l’affaire. L’omniscience du split-screen est ici particulièrement bien exploitée : elle montre simultanément deux points de vue sur une même scène (le tueur en caméra subjective à la sonnette, sa victime lui répondant, les caméras de la presse filmant un interviewé et celui-ci qui leur fait face, l’état d’une victime et l’effroi de celui qui la découvre, etc.), ou la multiplication des images de panique dans différents foyers.
Alors que la dimension collective dicte tout le formalisme de la première moitié du récit, la seconde change la donne. Il s’agit dès lors d’un face à face entre Henry Fonda, le procureur face à l’excellent et inédit Tony Curtis dans le rôle du tueur. À rebours de la vindicte populaire jusqu’alors légitimement exprimée, les entretiens mettent au jour la schizophrénie d’un homme qui ignore sa part criminelle et perverse. Les expérimentations formelles prennent donc un nouvel angle, celui de l’exploration d’une psyché fragmentaire, et de la quête d’une prise de conscience lucide. Flashs, jeu sur les temporalités, cohabitation du présent de l’entretien et du passé revécu miment avec conviction les tourments d’un homme malade.
Cette adéquation constante entre un formalisme qui peut souvent s’avérer vain parcoure donc harmonieusement les deux pans du récit. Et lorsque l’aveu est enfin formulé, c’est par un plan frontal, dénué de toute affèterie, qui précède un carton final en faveur de la reconnaissance de l’aliénation mentale. Cette conclusion amenée progressivement, ce glissement du collectif au particulier, du sensationnalisme au questionnement de fond est la grande réussite du film, qui avec le Zodiac de Fincher ou M. le maudit s’inscrit comme un chapitre important de l’exploration de l’univers mental et carcéral des tueurs en série.
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Affaire Thomas Crown (L') - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 08 Nov 2016, 06:43

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L’intime razzia.

La fin des années 60 est décidemment une période d’ébullition. Alors que l’abolition du Code Hays va permettre aux cinéastes de sortir du cadre en matière de sexe et de violence, ces innovations s’accompagnent aussi d’un renouveau formel important. En 1968, deux films s’emparent ainsi d’une technique qui n’est pas nouvelle, mais qu’on va utiliser désormais à des fins stylistiques, le split-screen : L’affaire Thomas Crown et L’Etrangleur de Boston de Richard Fleischer.
Chez Norman Jewison, c’est dans une perspective avant tout jubilatoire que s’exploite cette originalité : il s’agit de montrer l’omniscience et la puissance du riche cambrioleur, un Steve McQueen aux commandes de tout ce qui peut l’être : les véhicules (sur terre et dans les airs), mais aussi les opérations les plus retorses, du cambriolage des banques à celui d’un cœur dur à vaincre. Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il n’a pas besoin de et argent, il se contente de répondre, en toute modestie :
“There’s me -and the system.”
La multiplicité des images permet ainsi de le magnifier en chef d’orchestre, synchronisant les actions de ses employés qui par ailleurs ne se connaissent pas entre eux et ne l’ont jamais vu. C’est aussi, lors d’une partie de polo à sa gloire, un feu d’artifice formel où le montage syncopé, les flous et les ralentis ajoutent à cette démonstration visuelle ostentatoire.
Jewison ne s’en cache pas : la forme l’emporte clairement dans ce film, et s’accorde au panache avec lequel son héros éponyme désire accomplir ses forfaits.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit : la moindre des scènes est soumise à un double jeu, une partie de poker où il s’agit non pas de tromper l’autre, mais plutôt d’anticiper le coup qu’il aura forcément d’avance. Cette malice excède le clinquant du split-screen : un panoramique à 360° permet ainsi, dans le cimetière, une livraison d’un magot dans une douceur assez virtuose.
Mais le film ne serait pas complet sans l’autre étincelle nécessaire au brasier : la femme.
Faye Dunaway encore radieuse de son rôle d’amante criminelle dans Bonnie & Clyde passe du côté réglo de la loi pour former un couple d’anthologie avec son partenaire. Faux semblants, jeu de séduction et de manipulation permettent de singulièrement pimenter cette histoire pour le moins éculée de gendarmes et voleurs. Du plus long baiser de l’histoire pour l’époque à une partie on ne peut plus tendancieuse d’échecs, Jewison poursuit la malice par une partition plus lente et sensuelle qui a le mérite de donner le change au rôle de potiche traditionnellement dévolu à la femme. Une déclaration d’amour en forme d’impasse qui pourrait se résumer dans la synthèse parfaite que Faye Dunaway formule ainsi, et qui pourrait presque évoquer le film lui-même :
“There’s no way out. You’ve done to good job.”
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