Requiem for a teen.
L’entrée en cinéma de James Gray se fait par un geste aussi fort que naïf : dans une salle obscure, face à un western dont la pellicule finit par brûler. La symbolique est ambivalente : fin du classicisme ou des illusions pour le jeune spectateur qui fuit le monde réel ?
A ce visionnage frontal et en scope s’opposent en effet les prises de vues que son quotidien, placées sous le signe de l’occulte : les lettres d’absence de son lycée qu’il planque, et les visions furtives, par l’embrasure d’une porte, de l’agonie de sa mère, ou celles, clandestines, de son frère à qui l’on a interdit de rentrer, que ce soit dans l’appartement familial ou le quartier tout entier.
Little Odessa est un film sur la clandestinité et les voies tourmentées de la rédemption. Le retour du grand frère (Tim Roth, magnifique d’intensité) est lui-même d’une ambivalence toxique : de retour dans son quartier natal, mais missionné pour en exécuter un habitant ;sur la voie de la réconciliation avec sa mère, mais pour lui dire adieu ; pour endosser son rôle d’ainé, mais dans une initiation au crime.
Ces éléments à l’essence tragique, une constante dans la filmographe de Gray, visent à faire s’allier des pôles magnétiquement opposés : les frères, comme dans La nuit nous appartient, ou la tradition et la trahison, thème de The Yards.
Mais on l’a dit : le classicisme est mort. Si l’universalité des thématiques persiste, leur traitement s’en voit décapé. En cela, le personnage de Joshua en est l’archétype : un tueur dont la violence est devenue le seul moyen d’expression. Avec son père, avec sa petite amie, avec un gardien de Zoo : la main qui se resserre autour d’un cou ou le flingue en guise de réplique, il ne sait plus parler, et c’est dans le mutisme qu’il s’accordera quelques trêves, en compagnie de son jeune frère : la ville, une digue, la neige, le calme avant l’hécatombe.
Les chants sacrés et l’image iconique de la mère mourante le disent à leur manière, ajoutant une certaine beauté sur ce tableau noir : Little Odessa est un requiem qui n’épargnera personne, trouant jusqu’aux échanges, saturés de malentendus, pour rendre possible la propagation du mal.
Car cette possible rédemption tourne surtout à l’épidémie, véhiculée par un homme éteint qui traine dans son sillage la haine et la mort, même contre son gré. Avec lui, l’esthétique se fait naturaliste, donne du poids aux corps et nie toute sublimation possible du statut des gangsters.
Le jeune frère est sorti, il a arpenté la ville et a cru pouvoir se ménager une trajectoire libertaire : à la combustion du celluloïd qui ouvrait le film répond une autre toile, celle d’un linge sur une corde, spectacle d’ombre chinoise qui sera cette fois perforé pour conduire à une mort qui n’aura plus rien de symbolique.
Au soir des illusions, lorsque la mort fait ses comptes, ceux qui restent le comprennent avec douleur : rester vivant est le pire des châtiments.