La frime ne paie pas.
La caméra d’or récompense un premier film ; Divines, qui semble-t-il a bouleversé les mondains de la Croisette qui, écœurés des petits fours et du champagne aurait voulu donner le change par un palmarès social (Ken Loach peut aussi les en remercier), impose en effet ce constat : jeune, décomplexé, rageur, il porte en lui toutes les fulgurances de la jeunesse, qui plus est défavorisée et contemporaine.
La comparaison avec Bande de filles étant inévitable, autant s’en débarrasser d’emblée. Effectivement, c’est très semblable, et la pseudo originalité consistant à donner tous les rôles principaux à des jeunes filles occasionne la révélation de certains talents, mais aussi des recettes assez bancales. On apprendra que les filles galèrent dans leur BEP, qu’elles rêvent naïvement d’argent facile et que la rue devient l’école du crime. Scoops.
On aura tôt fait de nous avertir que Divines est un film libre, à l’image de ses personnages, qui, - frisson émoustillé du critique parisien- , « a du clitoris », et qu’il s’affranchit des codes formatés de la séparation des genres pour en proposer la relecture.
Encore faudrait-il que le résultat obtenu ait un souffle, une identité, une capacité à émouvoir. C’est tout le contraire ; Divines est un film clinquant qui accumule les fautes de goût et mange à tous les râteliers. Film social, sur les bidonvilles, la drogue et l’ascenseur en panne, il dérive vers un polar poseur et totalement improbable, voire au thriller pathétique, tout en s’offrant quelques cautions supposément arty, à renfort de danse contemporaine (« la chorégraphie des corps meurtris déplace avec pudeur la valse hésitante des cœurs timides sur le terrain d’une scène, à l’abri des regards d’un monde impitoyable », pourrait écrire Sergent Pepper) et de séquences « poétiques » flirtant avec le Kusturica d’antan (pitié, cette séquence de la Ferrari).
On est bien en peine de déterminer quel regard Houda Benyamina pose sur ses personnages : empathie naïve ? distance inquiète ? La plupart du temps, elle tente de capter cette furie sans travailler la question du point de vue. Trop attaché à restituer les explosions, dont l’authenticité est dangereusement variable. Un exemple, entre mille : le cours de BEP. Toute la simulation d’entretien est vraiment juste, et montre avec finesse comment l’institution tente, avec les meilleures intentions du monde, de formater la jeunesse pour en faire des soldats du système. Sourire, tenue, masque social. Mais la crise qui suit vient tout gâcher, où l’on explicite à grand renfort de grand guignol les enjeux déjà présents en préambule : je monte sur la table, je transforme la scène en clip de rap et je pars en claquant la porte.
Le clinquant, petit soleil de ce monde morne, semble faire autant rêver la cinéaste que ses personnages : ralentis, plans circulaires de danse entre amies ou en couple, parallèles bien poussifs (la danse, le tabassage, et le gangster qui finit par trouver les billets du spectacle en disant « Tu aurais mieux fait d’y aller », mais c’est vrai tiens, nous n’y avions jamais pensé jusque là…) : la distance qu’elle n’a pas avec son récit devient celle du spectateur avec le film.
Deux éléments viennent enfoncer le clou : tout d’abord, une gestion exemplaire en matière de ce qu’il ne faut pas faire avec la musique au cinéma. Musique classique pour le contrepoint pathétique et la caution « adulte », voire sacrée, electro bien grasse pour la jeunesse festive, et gimmicks clipesques pour jouer aux gangstas dans la téci, aveux clairs de l’absence de distance au profit d’un récit à la limite du western urbain. Une catastrophe.
Deuxième point, l’écriture. Si les dialogues fonctionnent la plupart du temps, la trame ressemble à un exercice d’application sur la notion de symbole.
(Spoils)
On apprendra que l’argent ne fait pas le bonheur, même s’il tombe du ciel lorsque vous le cherchez chez un méchant dealer qui le range au-dessus de sa baignoire. Que prononcer son prénom est le gage d’une accession à l’identité et l’émancipation. On se rendra compte que la religion, on la nique avec provoc quand on fait un deal dans une église, mais que lorsque c’est l’heure de passer à la caisse, on se met quand même à genoux pour regarder vers le ciel en demandant pardon. On se rendra compte que c’est marrant de caillasser les pompiers quand ils viennent éteindre l’incendie de la voiture de la mère du gars qui a baisé ta mère (Sic…), mais que lorsque ta meilleure amie est trop grosse pour passer par le soupirail d’une pièce en feu (re sic) et que les pompiers veulent plus venir sans la police, et bien, tu te retrouves un peu comme cet enfant qui criait au loup pour de rire et qui un jour… BREF.
La position tant questionnée de Houda Benyamina est peut-être là : vaguement du côté de Dieu, qui sait où mener son petit monde à qui on fera la leçon dans un final cathartique en carton.
La caméra d’or récompense donc un premier film : c’est censé être la reconnaissance d’un nouveau talent, non l’alibi pour une œuvre certes sincère, mais qui reste une ribambelle bruyante de maladresses.