LES HUIT SALOPARDS
The Hateful Eight - Quentin Tarantino - 2015
Les Huit Salopards n'est pas un film aimable au premier abord, c'est même un film étrange et quelque peu mystérieux à l'image de l'intriguant générique d'ouverture où les notes lentes et sombres de Ennio Morricone laissent perplexe quant au contenu du film que l'on va voir. D'emblée le film détonne dans la filmographie de Tarantino : bavard, avare en actions et beaucoup moins spectaculaire malgré le « glorious » 70 mm que ses autres films, dont le précédent Django Unchained. Le malentendu vient sans doute du fait que l'on s'attendait pour beaucoup à un western dans la lignée de son précédent film. Or, il n'en est rien, plus qu'un western, Les Huit Salopards lorgne plus du côté du film d'horreur et du film historique.
En effet, alors que les films du cinéaste sont réputés pour leur niveau de coolitude, celui-ci ne prête que rarement à rire et met régulièrement mal à l'aise notamment dans son utilisation de la violence. Car ici, la violence fait mal, très mal. Pas question de rire d'une tête explosée par inadvertance à l'arrière d'une voiture, les Huit Salopards nous envoie sa violence en pleine tronche et nous fait comprendre que Tarantino n'est plus ici pour s'amuser. C'est que ses Huit Salopards forme sans doute son premier film « sérieux ». Alors qu'il se contentait jusqu'alors de vampiriser le meilleur des innombrables films qu'il avait visionné pour organiser des compilations jouissives, Tarantino semble ici pour la première fois se confronter à l'aspect mythologique du cinéma auquel il a tant rendu hommage. A l'image des John Ford, Sam Peckinpah et même des cinéastes italiens qu'il admire et qui explorait dans leurs films l'histoire américaine dans ce qu'elle avait parfois de plus inavouable, Tarantino explore ici des heures sombres de l'histoire américaine. Le film est complètement obsédé par le fantôme de la guerre de sécession et, loin de l'image consensuel d'un pays s'étant réconcilié avec lui-même à peine la guerre terminée, le film montre les désastre de plusieurs années d'une guerre civile ayant clivée en deux la nation américaine. Il est évident que de telles plaies ne se referment pas en un claquement de doigt et toute la tension du film vient précisément du fait que l'on sent dès le début que chacun des personnages n'en a pas fini avec sa propre guerre intérieure.
Par ailleurs, alors que le film avait été vendu comme un western, c'est plus du côté du film d'horreur qu'il faut rechercher l'inspiration du film. Ainsi, les Huit Salopards est plus ou moins un remake dissimulé du The Thing de John Carpenter. Comme lui, il isole ses personnages dans un lieu confiné à l'abri d'un blizzard menaçant, comme lui, il est mis en musique par le grand Ennio Morricone mais, surtout, il est comme lui un film obsédé par l'identité. Alors que Carpenter jouait dans sa mise en scène de cette idée que dès qu'un personnage sortait du cadre, rien ne garantissait qu'il serait le même lorsqu'il y entrerait à nouveau, Tarantino élargit son cadre à outrance comme pour empêcher chacun des huit protagonistes d'échapper à l’œil soupçonneux du spectateur. Là aussi, dès qu'un personnage sort du cadre, c'est pour fomenter un mauvais coup.
Voilà sans doute le véritable sujet du film : l'identité. Chaque personnage joue un rôle, s'invente un passé, le tout pour tenter d'inventer la société d'après-guerre de Sécession. C'est cette illusion de société américaine ressoudée après des années d'affrontement que Tarantino fait exploser dans un final hyperviolent et parfois insoutenable où, isolés du monde, les personnages laissent ressurgir la haine qui est restée très présente en eux. Et par ce sujet de l'identité et du rôle, Tarantino rend aussi un magnifique hommage aux acteurs et au théâtre en offrant des rôles sublimes à chacun de ses interprètes qui trouvent, chacun, un de leurs futurs rôles majeurs. Loin d'être le film mineur que l'on pouvait soupçonné au départ, Les Huit Salopards est en quelque sorte l'aboutissement logique d'une carrière cinématographique démarrée il y a plus de 25 ans. Comme si toute l'oeuvre de Tarantino devait aboutir à ce film.
9/10
EDIT du 1/11/2016 : Je passe la note à 10/10.