Showgirls de Paul Verhoeven
(1995)
S'il y a bien un réalisateur avec lequel j'entretiens un rapport de spectateur pour le moins étrange, c'est bien avec Paul Verhoeven. Sur la majorité de ces films encensés par quasiment tout le monde, je n'y vois rien de plus qu'un homme ayant eu la chance de tomber successivement sur des bonnes collaborations hollywoodiennes, ayant eu pour résultat des films dont le cynisme me laisse plus que perplexe et dont la popularité me laissera sûrement toujours songeur, comme s'il suffisait d'un peu de second degré et de violence pour transformer un divertissement moyen en grand film. Du coup, c'est à ma très grande surprise que je me surprend à aimer (et pire encore, à trouver que c'est son meilleur film haut la main) son œuvre la plus critiquée de sa carrière, celle qui était tellement choquante pour Hollywood qu'elle a instantanément été catégorisée par beaucoup comme le pire film de l'année 1995, comme si Showgirls était une bouse sans nom, sans aucune qualité d'aucune sorte. Pourtant, et comme souvent avec un film récompensé par un Razzie, il s'avère que c'est ni plus ni moins qu'une œuvre plus difficile d'accès que les autres et qui trouve sa force dans ce qui va déranger le public, que ce soit sur le propos ou la forme. Ainsi, Showgirls est certainement le plus verhoevenien des films du hollandais, avec un cynisme omniprésent qui, au contraire des précédents métrages du réalisateur, trouve ici une justification totale : Verhoeven évoque, à travers son film, sa vision du rêve américain qui, avec ses yeux européens, ne va clairement pas correspondre au cliché que l'on a l'habitude de nous servir dans des success-story hollywoodiennes.
Verhoeven filme donc Las Vegas de la façon la plus frontale possible (après tout, la ville est réputé pour être la capitale du vice), mais aussi les femmes, qui trouvent ici une place particulière en tant qu'héroïnes. Rares sont les hommes à qui l'on peut faire véritablement confiance dans Showgirls (le seul à peu près correct étant un directeur de club de strip-tease qui engueule dès que possible ses employées) pendant que les femmes deviennent maîtres de leur destinées avec leur corps, en laissant ce dernier s'exprimer par la danse. Verhoeven avait déjà affiché un attachement certain pour la chair, mais il ne l'a jamais aussi bien filmé qu'ici, avec sa mise en scène tout en mouvement fluide et en scope sublimant les chorégraphies inspirées. Clairement, Showgirls est visuellement le film le plus inspiré de la carrière de Verhoeven, à tel point qu'il est impensable d'imaginer que le film ait pu recevoir une récompense de pire réalisateur à l'époque de sa sortie. Beaucoup devaient attendre un Basic Instinct bis, et Verhoeven a clairement pris un risque en profitant de son succès pour livrer un brûlot aussi incisif sur l'Amérique et la façon de gravir les échelons (le film indique clairement que le seul moyen d'y arriver est de faire du mal aux autres et d'agir de la façon la plus égoïste possible), le tout dans une ambiance charnelle qui sert totalement le propos. A ma grande surprise, et contrairement à ce que j'ai pu lire sur le net ou ailleurs, Showgirls n'a rien d'un film gratuit, mal réalisé ou mal joué (oui, il y a de l’exagération, mais ce sont les personnages qui sont écrits comme ça, et encore une fois pour servir le propos de Verhoeven) : c'est tout simplement le film le plus abouti de son auteur, aussi bien d'un point de vue thématique que formel. Un film qui mérite clairement sa réhabilitation récente, ça ne sera pas la première et dernière fois que la daube d'hier devienne le chef-d’œuvre de demain.
7/10