Inception de Christopher Nolan (2010) - 7/10
Alors qu’il est à l’apogée de sa carrière après le succès monstrueux de The Dark Knight le chevalier noir, Christopher Nolan décide de donner vie à un projet qui lui trotte dans la tête depuis une dizaine d’années. Une ambition assez folle, une création toute personnelle qui mélange les genres entre le film de braquage ultra moderne et l’œuvre d’anticipation, le blockbuster et le film concept : un film sur les discordances de l’esprit où une simple idée peut tuer ou noyer dans des limbes infinies. Inception se marie autour de la conciliation entre les idées et les rêves : le subconscient devient alors une aire de jeu factice pour créer et voler des idées. Car outre voler les idées, l’étape la plus délicate est celle de rentrer dans l’esprit d’une personne pour en inséminer une dans son inconscient : « l’inception ». Et Mr Cobb est l’investigateur de cette mission périlleuse, entouré d’une équipe à la Ocean Eleven. S’il réussit, il pourra retourner aux USA et revoir ses enfants (des charges pèsent sur lui là-bas). Inception est un film courageux, aussi opaque que ludique dans sa dynamique narrative, parfois hermétique au mystère et qui malgré sa détermination à garder une once de rationalité dans la stratification de son récit, se révèle être un voyage passionnant dans un environnement luxuriant et naturaliste à la James Bond où les rêves s’emboitent les uns dans les autres.
D’ailleurs outre la mission en elle-même, l’objectif premier est celui de ne jamais perdre pied, autant pour le personnage que pour le réalisateur. L’illusion est un jeu dangereux qui ne vaut pas la réalité, quitte à ce que le songe devienne une triste authenticité. Là où Mulholland Drive faisait du rêve l’antre de la rédemption de son hôte, Inception matérialise le rêve comme un paradoxe, une douleur matricielle qui renferme la culpabilité de l’être aimé. A partir de cette motivation Inception gagne en puissance émotionnelle et prend un tout autre visage et construit la déconstruction d’une romance passée: Cobb est torturé par le fantôme de sa défunte femme, qui revit de ses cendres dans le monde des rêves. Inception n’est plus simplement distant ou organique, la course poursuite s’écarte pour voir germer en lui une quête initiatique vers le pardon et l’absolution de soi (Cobb ou Robert). Au premier coup d’œil, on se rend bien vite compte qu’Inception ne joue pas sur le même terrain qu’un Paprika de Satoshi Kon.
La fantaisie, la folie frénétique, ce kaléidoscope de couleurs criardes, il n’y a rien de tout cela dans le film de Nolan même si Inception regorge de surréalisme (toute la séquence à Paris) ou d’idées qui parcourent son récit : se tuer dans le rêve pour se réveiller, la création d’un totem pour délier du vrai du faux, le temps qui passe se dilate dans le rêve, le changement trop fréquent d’architecture qui attise la sécurité du subconscient comme peut le faire un vaccin, la gravité et son parallélisme entre les différents rêves : toutes ces choses font qu’Inception puise beaucoup d’enjeux scénaristiques dans un espace-temps aussi restreint que gigantesque. Cependant, nous sommes confrontés à un métrage de Christopher Nolan : c’est assez paradoxal de voir un réalisateur aussi hanté par la maitrise et le contrôle de son univers s’attaquer à un décorum aussi labyrinthique et sentimental que le rêve et ses projections spectrales. C’est ce qui fait la force et la faiblesse de l’art même de Christopher Nolan, chose déjà présente dans Le Prestige : Nolan est artisan fascinant mais un faible magicien, un perfectionniste obsédé par le doute de l’erreur et de l’introspection.
Certes dans Memento il avait déjà usé de son savoir-faire pour structurer la mémoire et ses failles mais Inception est un cran au-dessus dans la complexité, ce qui le rend parfois étouffant. Asphyxiant même, car Nolan laisse peu de place à l’imaginaire, à l’interprétation purement sensorielle du spectateur et fabrique Inception comme un rollercoaster à la respiration vacillante. On se demande même parfois quel est le véritable intérêt des rêves dans la fondation de tout cet univers, excepté celui d’être une véritable mise en abîme du cinéma de Nolan. Mais tout comme dans Batman Begins et The Dark Knight, c’est l’artisanat Nolanien qui prédomine avec ce cinéma du mouvement, une mise en scène élégante qui ne succombe jamais au spectaculaire pyrotechnique, cette science qui agence autant le récit que la genèse de son univers, cette capacité à insuffler un souffle épique à une histoire parfois inutilement explicitée grâce à un montage alterné en osmose totale avec la bande sonore gargantuesque de Hans Zimmer qui font d’Inception, un film puissamment contrôlé, aussi divertissant que réfléchi.