Le Placard
(Francis Veber, 2000)
J’aime beaucoup Depardieu. Quoi qu’il arrive, il vit ses rôles avec quelque chose qui n’appartient qu’à lui, qui est profondément lui – et qu’il ne se force peut-être même pas à jouer. Dans Le Placard, il a un rôle extrêmement casse-gueule, sans doute assez caricatural et peu crédible : le macho homophobe rugbyman obligé de se lier avec un « homosexuel » et qui se retrouve amoureux de lui. Et il est hilarant. Depardieu est le seul acteur à pouvoir dire sans sombrer dans le ridicule une réplique comme « tu as pris des carottes rapées ? c’est bien… c’est bon pour la santé » et c’est à hurler de rire. Depardieu est grand. Point.
Le film, maintenant. J’étais plein d’espoir au début. Pour résumer très vite : un comptable obscur (un xième François Pignon dans la filmographie de Francis Veber) se fait passer pour un homosexuel pour ne pas être licencié ; cette « particularité » suscite l’intérêt de son entourage et lui permet de s’affirmer, de renouer avec son fils et de conquérir la femme de ses rêves.
Je maintiens chaque mot de la phrase précédente : particularité, lui permet de, conquérir… Ça aura son importance.
Au début c’est assez subtil, et ça fait plaisir. Je me suis dit par exemple que le fait que Daniel Auteuil incarne ce François Pignon-là était particulièrement subtil. Parce que c’est un acteur plutôt frêle, à la voix naturellement plutôt fragile, bref, pas une caricature d’hétérosexuel. Qui serait imbu de clichés pourrait le prendre pour un homo.
Il y a quelque chose de subtil aussi dans le regard des autres qui changent, dans la façon dont certains assimilent spontanément homosexualité et pédophilie, bref, dans l’homophobie cradordinaire.
Et pourtant le film est profondément homophobe. Je l’écris et je le maintiens, là encore dans chaque mot. Homophobe et profondément – c’est-à-dire dans la dynamique qui l’anime.
Il n’y a aucun homosexuel dans ce film. Si, il y a le voisin de François Pignon, qui lui donne l’idée de se faire passer pour tel, parce qu’il a lui-même été licencié parce qu’il était gay. Mais il apparaît plutôt comme une sorte de grand-père à chat bienveillant, de mentor (ce que Michel Aumont fait très bien mais ce n’est pas le problème). A-t-il un amoureux ? Non. Une vie de famille ? Non. C’est un homosexuel asexué ou plutôt a-homosexué. Inoffensif.
À part lui, les seuls homosexuels qui apparaissent, ce sont les manifestants de la Gay Pride autour de François Pignon – des figurants, éloignés encore par le fait que la scène apparaît essentiellement via la télévision que regarde le fils Pignon.
Le Placard est un film sur l’homosexualité sans homosexuels. Plus (ou plutôt pire) : François Pignon est profondément hétéro ; la trajectoire que lui dessine le film, c’est de retrouver sa place (son trône) d’hétérosexuel ; de redevenir père et de pécho une belle fiche. Son homosexualité feinte n’est qu’une phase, un moyen pour redevenir normal (j’appuie sur ce mot, je le mets en gras et je le souligne : il incarne tout ce que le film a d’odieux). Je cite une phrase qui résume l’homophobie profonde du film : « Il a fallu que je me fasse passer pour homosexuel pour redevenir un homme. » (Tirez les fils : les homosexuels ne sont pas des vrais hommes.) Autre exemple : "On aimerait bien que ta femme revienne et que tout rentre dans l'ordre."
Le Placard est un film de l’hétérosexualité triomphante, où les homosexuels ne servent qu’à permettre aux hétéros de se conforter dans leur hétérosexualité et où les femmes sont soient des biâtchs soit des trophées. Le film se termine avec François Pignon sortant de sa voiture aux bras de Michèle Laroque (je veux un film où Michèle Laroque ne serait pas réduite au rang de médaille blonde) et où il balance un gros coup de coude de macho pour imposer sa place sur la photo d’entreprise. Happy end. Vive la France.
PS : Voilà Le Placard tel que je le rêverais : François Pignon se fait passer pour homosexuel pour garder sa place. Se faisant, il va à la Gay Pride et dans des boîtes gay pour donner le change. Comme tel il se fait insulter et tabasser. Il continue. Mais plus seulement pour garder sa place : parce qu’il y a quelque chose là-dedans qui l’attire, le titille. Le film se termine sur François Pignon embrassant son amant, voire le jour de leur mariage.