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PANIQUEJulien Duvivier | 1947 |
8/10•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••« Le vilain canard va rôtir » Maudit soit celui qui porte avec fierté sa différence et mort à celui qui ose braver la norme en se moquant des murmures qui fleurissent sur son passage. Pas assez jouasse au goût de son boucher, lequel encaisse pourtant sans vergogne le billet que l'indésirable lui tend, avare en «bonjour» lorsqu’il croise les adultes et jugé trop avenant envers les enfants, le barbu solitaire du coin inquiète.
Pas étonnant alors qu’une étincelle rusée suffise à embraser la furie d’une foule catatonique attendant son heure pour caillasser l’indigne rejeton qui refuse de se plier aux us et coutumes de la vie en communauté. Menée par un jury de fortune représentant ce qui se fait de mieux dans nos petites sociétés méticuleusement hiérarchisées, elle peut enfin déverser le trop plein de connerie humaine qu’elle concentre.
Dix ans après Fritz Lang qui mettait en scène, dans Furie, cette méchanceté gratuite presque libératrice, que l’effet de groupe peut engendrer, Julien Duvivier compose avec *Panique* une fable sociale particulièrement éprouvante. Outre son final désenchanté, c’est son réalisme dans sa plus simple expression qui prend aux tripes : qui remettrait en question les comportements de tous ces gens ordinaires auxquels chacun peut s’identifier ?
Ces commerçants bien certains d’être les gracieux porteurs d’un exemple à suivre, ces flics tout contents d’avoir pu boucler leur affaire sans trop d’efforts, ces petits frappes qui profitent de l’anarchie occasionnée par un règlement de compte public pour rassasier leur faim de violence ou encore cette pauvre pimbêche prise dans les filets d’un esprit trop dominant, nous les avons tous croisés, nous les avons tous été. Qui peut en effet se targuer d’avoir en toute circonstance eu l’esprit lucide, de ne s’être jamais fourvoyé à propos de quiconque. Se tromper est humain, se rendre compte de son erreur l’est aussi. Encore faut-il retrouver la raison assez tôt.
De ce pitch universel, Duvivier tire un film thématiquement puissant mais pas seulement. Visuellement, *Panique* est également d’une belle richesse. A l’image de cette caméra qui choisit de ramper sous une estrade pour rendre compte d’un mouvement de foule, la mise en scène du cinéaste, classique la plupart du temps, misant sur une photographie précise, sait aussi faire preuve d’audace. Le dernier acte ne dément pas sa folle ambition : désireux d’aller au bout de son ouvrage, et de quitter son audience sur une belle note d’intention, il propulse sa caméra sur des toits parisiens pris au piège d’une folie éphémère mais puissante.
Presque aussi intense que la partition de Michel Simon, prodigieux acrobate du verbe, subtil archer du geste, sans qui *Panique* n’aurait probablement été que Frayeur. Mesuré et pourtant passionnément investi, il est l’élément clé du film, celui en qui Duvivier croit plus que quiconque pour dérouler son propos. Le pari est gagnant, à n’en pas douter : l’irascible Mr Hire, le mystérieux Docteur Varda est le personnage versatile qu’il fallait pour rendre compte d’une justice populaire à la fois exagérément brutale et pourtant si crédible. Détestable mais charmeur, certainement plus mesuré que tous mais pourtant si rigide lorsqu’il est question d’interaction sociale, il est l’illustration parfaite du misanthrope qui sommeille en chacun de nous et ne demande qu’à se réveiller...