De tout les projets démesurés qui ont jalonnés l'histoire du cinéma, portés par des égos démesurés et soutenus par de folles légendes sur le tournage,
Apocalypse Now tient une place de choix, et pourrait clairement s'identifier comme le plus fou d'entre eux, au point de devenir ce genre de films iconiques qui fascinent de par leur étrangeté, leur propos insaisissable ou leur beauté visuelle indéniable. Ce que
2001, A Space Odyssey était à la science-fiction,
Apocalypse Now l'est pour le film de guerre, et rien que pour ça, on peut excuser la carrière à la qualité plus qu'aléatoire de Francis Ford Coppola, qui signe ici son plus grand chef-d’œuvre, un véritable monument de cinéma. Je pourrais continuer longtemps à faire dans le superlatif en tout genre, tant
Apocalypse Now à mes yeux un total aboutissement de ce qu'est le cinéma, à la fois en tant que vecteur d'histoire et d'idées, mais aussi en tant qu'objet visuel et sonore où toutes les expérimentations sont possibles.
Dès les premiers plans, Coppola pose l'ambition formelle de son film : non content d'utiliser pleinement le système stereo surround dont il sera le porte-étendard (la première chose que l'on entend dans le film étant un hélicoptère se déplaçant de gauche à droite), le cinéaste multiplie les fondus enchaînés porteurs de sens, et au sens pictural rarement égalé (si je devais choisir les plus beaux fondus enchaînés de l'histoire du cinéma, je pourrais piocher allègrement dans ce film). De l'adaptation de Conrad que souhaitait Coppola, Lucas et Milius à la base, il ne reste finalement qu'une trame principale vite oubliée étant donné que ce qui intéresse ici, ce n'est pas tant la destination que le voyage en lui-même. Véritable plongée en enfer,
Apocalypse Now peut clairement être considéré comme le meilleur film sur la guerre jamais réalisé, son propos pouvant être relié à quasiment chacune des guerres de l'humanité, que ce soit à travers la folie, les répercussions de la violence sur les civils, ou encore les fantômes souhaitant ignorer l'évolution du monde qui les entoure (en ce sens, la version Redux me semble LA version à privilégier, tant la séquence de la plantation française ajoute à merveille un sens supplémentaire au discours de Coppola).
A en lire les déboires de la longue production de ce film, cela paraît presque comme un miracle de se retrouver devant une œuvre aussi cohérente (le bad-trip de Martin Sheen, qui n'a pas été joué) et techniquement aboutie. C'est bien simple : on a rarement fait mieux depuis, à commencer par Coppola lui-même qui jamais ne retrouvera une telle puissance de cinéma sur un long-métrage entier. On se surprend à constater qu'en terme de mise en scène, jamais
Apocalypse Now ne fait daté, la photographie est d'une somptuosité rare, et certains mouvements de caméra sont tellement précis, fluides qu'ils donnent l'impression d'avoir utilisé la technologie d'aujourd'hui (la caméra tournant sur elle-même lors de la capture de Sheen). En cela, le chef-d’œuvre ultime de Coppola s'impose comme une œuvre en avance sur son temps (chose ironique quand on sait que le film a eu beaucoup de retard de production) et il suffit de voir l'impact du métrage sur n'importe quel cinéphile pour se rendre compte à quel point, que l'on aime ou non
Apocalypse Now, la vision de ce film est importante.