Un nouveau Park Chan-wook, c'est dans le pire des cas l'assurance de se retrouver devant une pellicule visuellement aboutie, où le moindre plan est pensé au millimètre près pour étonner la rétine. Après son expérience américaine, l'esthète coréen revient dans son pays natal le temps de signer un mélodrame gothique/baroque manipulateur qui s'avère être, sur bien des points, un film qui fonctionne en binôme avec
Thirst, avec lequel il partage l'influence évidente de la littérature romanesque, ainsi qu''un traitement particulier dans la façon de le retranscrire à l'écran. Librement adapté d'un ouvrage que je n'ai jamais lu,
The Handmaiden a su me surprendre de par sa façon étonnante de raconter une histoire qui, somme toute, s'avère être classique sur bien des points. La construction en trois parties bien distinctes s'avère être la grande force du métrage, puisqu'elle permet de se focaliser sur des personnages particuliers et de revoir des scènes déjà vues auparavant sous un tout autre angle. Les apparences sont parfois trompeuses, et Park Chan-wook l'a très bien compris en dédiant les deux premières parties de son film à cet adage. Ainsi, il est étonnant de voir à quel point le réalisateur coréen renverse des situations pourtant bien établies, et leur fait dire tout autre chose seulement grâce à des angles de vues différents et des informations supplémentaires.
A première vue, cela pourra paraître comme du cinéma de petit malin, mais Park Chan-wook surprend en pensant sa mise en scène pour accentuer cet effet de manipulation. Avec
The Handmaiden, on est loin de la belle coquille vide, tant la réalisation crée du sens de façon jusqu'au-boutiste. Ainsi, un micro-détail tel qu'une servante se cognant le pied contre un mur en arrière-plan devient un moyen pour le cinéaste de situer temporellement une scène, pendant qu'un surcadrage s'avère être une façon de se jouer du spectateur, en lui faisant croire que le plan est là uniquement pour isoler dans le cadre deux personnages, alors que finalement l'enjeu de ce choix est de cacher une information vitale au public. Les deux premières parties de
The Handmaiden ne fonctionnent donc quasiment que sur ce principe franchement jouissif dès que l'on se rend compte de son existence, et comme
Thirst l'écriture des personnages n'est pas en reste puisque l'empathie est vite créé avec les deux personnages féminins, dont la relation est à la fois touchante, tragique et drôle. En parlant de rire, il est à noter que de la totalité des films de Park Chan-wook,
The Handmaiden est certainement celui qui maîtrise le mieux le registre comique. Si le changement de ton n'est pas forcément une habitude du réalisateur (contrairement à un Bong Joon-ho), il s'avère ici plutôt bien utilisé, avec notamment quelques gags inattendus et une gestion fabuleuse du hors-champ (le plan qui ouvre la séquence de la pendaison, une façon caractéristique de Park Chan-wook de créer le rire par l'image). A cela s'ajoute les délires habituels du cinéaste coréen, où le sexe peut prendre ici une direction autant touchante que malsaine, encore une fois, ceux qui ont appréciés la tension sexuelle de
Thirst ou
Stoker devront sûrement y trouver leur compte.
Du coup, entre une écriture étonnante (qui utilise très bien la contexte d'occupation japonaise, notamment à travers le jeu de la langue), une mise en scène virtuose (ces travellings de malade et cette façon de filmer des dialogues en plan-séquence avec la gestion du flou
), une composition musicale de qualité (j'ignore qui est la compositeur, mais c'est sublime), une direction artistique irréprochable et un casting franchement inspiré (mention spéciale à la coréenne toute mimi
et à Ha Jeong-woo toujours ausis bon),
The Handmaiden avait tout pour s'imposer comme un des meilleurs films de son réalisateur. Pourtant, et à ma plus grande déception, il s'avère que la troisième partie s'avère être franchement indigne par moment de ce qui a précédé. Raccourcis scénaristiques foireux (l'évasion de l'asile et les retrouvailles), scènes étirées pour pas grand chose et traitement grandiloquent, le film se conclut sur une note sacrément amère qui, en plus, gâche certains aspects jusque là très réussis du film (la représentation du sexe d'une part, mais aussi le délire autour du sous-sol, qui était très bien en hors-champ et dont la révélation s'avère foireuse). Un troisième et ultime acte douteux qui gâche en partie le fort potentiel du métrage, qui aurait pu aisément figurer parmi les grandes réussites de Park Chan-wook. En l'état, il reste un film aux qualités indéniables, à l'ambiance indissociable de son réalisateur mais à qui il manque une conclusion aussi réussie que les deux premiers tiers.
EDIT revision : à ma grande surprise, l'acte final passe bien mieux à la revision. Clairement j'ai été déçu à la découverte parce que l'acte est moins fort que les deux précédents, mais rien qui ne gâche le film au final. Même le dernier plan passe beaucoup mieux puisque j'ai finalement compris l'intention de Park Chan-wook.