Un retournement de veste total. Une révélation. C'est peu dire que j'ai pris un pied monstre en revoyant Miami Vice 10 ans après sa découverte en salles. Décontenancé et déçu par un film qui n'était pas celui que j'attendais, je n'avais osé retenter l'expérience depuis. J'avais tellement été refroidi que ça m'avait même coupé l'envie de voir son film suivant, Public Ennemies, lequel traîne sur mes étagères depuis sa sortie en DVD. Aujourd'hui, je le vois comme un sommet (incompris, tant il divise) dans la carrière de Mann, peut être même comme un film somme. Je ne dirais même pas que c'est un film qui se mûrit, car à vrai dire, j'avais tout oublié ou presque à part quelques bribes d'images.
Miami Vice, malgré son budget de blockbuster, fait le grand écart pour s'éloigner des stéréotypes du tout Hollywood. A aucun moment le spectateur n'est pris par la main. A l'instar de sa formidable introduction (20 minutes littéralement scotchantes), Mann mise plutôt sur l'intelligence de son audience pour saisir l'essence (et le sens) de son film. Parachutés dans l'univers de Sonny et Ricardo sans aucune explication, nous ne sommes pas abreuvés d'informations nous permettant de caractériser le duo. Ce qui passe pour des faiblesses d'écriture au yeux de certains, je le vois comme une nouvelle preuve que chez Mann, tout passe par l'image. La trame, aussi simple puisse-t-elle paraître, se démarque non pas par son originalité (le thème des flics undercover est un grand classique dans le genre du polar) mais par son traitement.
Miami Vice forme en quelque sorte une trilogie avec Heat et Collateral (je dirais même une tétralogie en y ajoutant Le Solitaire), autant de films qui se distinguent par leurs apparente simplicité et qui trônent pourtant au panthéon du genre. Miami Vice, dans lequel Mann atteint le paroxysme de son style, est de cette trempe. Pour avoir revu il y a peu la virée sanglante de Tom Cruise dans les rues de LA, je trouve qu'il est maintenant inférieur à cette relecture de la célèbre série des 80's. Là où Collateral use de quelques raccourcis faciles lui permettant de rester ancré dans le domaine du divertissement pur, Miami Vice se démarque par une approche anti-spectaculaire, à tel point que la frontière avec le documentaire est parfois très mince. Et ce jusque dans les scènes d'action, pourtant d'une folle intensité. Le caractère atmosphérique et sensoriel prennent ici le dessus et électrise la bobine deux heures durant.
Sur la forme, les expérimentations numériques de Mann prennent ici tout leur sens. L'amateur d'ambiance urbaine nocturne que je suis est aux anges. Miami Vice est sidérant sur le plan technique. En ayant tous les films du maître en tête, je me demande même si ce n'est pas son film le plus abouti d'un point de vue visuel. Une orgie qui éclate la rétine à de multiples reprises. Grosses cylindrées magnifiées par les lueurs de la ville ou atmosphère suffocante quand l'orage gronde, le numérique dont Mann est un fervent défenseur depuis le début des années 2000 prend ici tout son sens. Il y a presque une aura irréel et fantastique dans certaines scènes. Une griffe ultra personnelle qui n'a pas aucun équivalent à Hollywood.
Sans compter que cette science de l'image est dans le cas présent au service total du récit. Il faut surement être un amoureux transi de l'oeuvre de Mann pour se faire happer pendant deux heures sans jamais décrocher une minute mais c'est ce que j'ai ressenti. Heat est et restera le chef d'oeuvre définitif de son auteur, un fantasme de cinéphile devenu réalité. Miami Vice tient plus du fantasmagorique, et devient par définition un spectacle extraordinaire qui relève de l'irréel. Revoir Miami Vice aujourd'hui, qui est plus est dans le cadre d'une rétro, c'est comme trouver une grenade mal dégoupillée qui m'explose en pleine gueule. En revoyant Collateral, et malgré la claque visuelle occasionnée par la photo de Dion Beebe, j'ai eu du mal à effacer le souvenir de l'exceptionnelle collaboration entre Mann et le directeur de la photographie Dante Spinotti (Heat, Manhunter, Révélations et Le Dernier des Mohicans, excusez du peu...). Dion Beebe récidive et enfonce cette fois ci le clou. Miami Vice est d'une beauté à se damner. On peut ne pas aimer mais on a aussi le droit de penser que les images confinent au sublime.
Où sont donc les menus défauts? Je les cherche toujours. J'entends souvent que les love story de Miami Vice sont foirées. Il leur manque peut être un petit quelque chose mais je trouve qu'elle (oui j'ai bien dit elle, parce que celle entre Jamie Foxx et Naomie Harris est discrète, et je trouve un peu facile de tirer dessus à boulets rouges pour en faire un défaut majeur du film) fonctionne. La liaison entre Colin Farell et la sublime Gong Li est à l'image du film. Un amour sur la brèche, toujours au bord du gouffre, électrique, passionnel. Il paraît qu'il y a des scènes de cul Hollywood Night? Là non plus, je ne trouve pas. La fusion des corps est brève et sensorielle, et le visage d'Isabella (Li), qui ne laisse pourtant rien transparaître, dit tout par une simple larme qui coule le long de sa joue. Sonny (Farell) est subjuguée, ça se voit et se sent, effaçant toute éventualité d'un jeu de faux-semblants.
Ce sont toutes ces petites choses qui font que Miami Vice est grand film. L'intrigue est prenante, le parti pris réaliste scotche du premier au dernier plan, l'acting comme toujours chez Mann est au diapason. Farell trouve son meilleur rôle (et pourtant il s'en mis plein les narines pendant le tournage, petit séjour en désintox' inclus), Jamie Foxx (qu'on dit très neutre, certes) prouve une nouvelle fois qu'il est comme un poisson dans l'eau dans l'univers "mannien" et cette neutralité colle au récit, Gong Li est magnifique et pour ne rien changer aux bonnes habitudes, les seconds couteaux en jettent. Mann n'a plus rien à prouver à mes yeux. Il ne sera jamais reconnu comme un grand parmi les grands, raison de plus qui prouve qu'il se moque des conventions et des étiquettes. Il profite du moindre dollar mis à sa disposition pour livrer du très grand cinéma à ses fans. Peu importe à présent la qualité des deux films qu'il me reste à découvrir (Public Ennemies et Hacker, que je n'ai jamais vu au moment où j'écris ces lignes), Mann peut faire de la merde jusqu'à la fin de sa carrière. Du Solitaire à Miami Vice, il a marqué le cinéma mondial de son empreinte de géant.