[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Bonnie et Clyde - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 23 Avr 2016, 05:25

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Robin Blood.

Il est particulièrement intéressant de constater que l’un des films séminaux du Nouvel Hollywood ne prend pas à bras le corps son époque, mais un passé traumatique, celui de la Grande Dépression. Période trouble déjà magnifiée par Ford dans Les Raisins de la Colère, et ici l’objet d’une investigation nouvelle : il ne s’agit plus de déplorer le sort des victimes, mais d’illustrer la réaction possible face à l’adversité : la réponse à une violence (économique) par une autre : criminelle.
Bonnie & Clyde fit beaucoup parler de lui en son temps pour cette représentation frontale, mêlant glamour, érotisme et meurtres. Nouveau-né de l’ère post code Hays, on y découvre des symboles phalliques explicites, une jeune fille dévergondée et des impacts sanglants sur les corps, dans une furie que la mise en scène restitue avec vigueur : cuts, ralentis, montage frénétique permettent à Penn une déclaration d’indépendance sur tous les fronts.
Il serait pourtant réducteur de s’arrêter à l’audace de la forme ; car si le film semble épouser la cause de ses personnages par son goût de la provocation, il se révèle bien plus subtil dans le traitement des hors-la-loi. Certes, leur statut inspire la sympathie, à la lumière de la séquence permettant aux expropriés de cribler de balles les panneaux des banques. S’ils ne vont pas jusqu’à réactiver la geste d’un Robin des bois, les gangsters clament haut et fort le militantisme de leur action, contribuant à leur légende qui les accompagne. Sur ce point, le fil est tiré avec la célébrité qui enivrait déjà Billy the Kid dans Le Gaucher : le hors la loi fascine, il venge les opprimés.
Pourtant, les deux protagonistes sont loin d’incarner un idéal héroïque. Le glamour de Faye Dunaway n’occulte pas son inconscience, voire son attrait malsain pour la violence (qui reprend un peu des traits de la psychopathe de gun Crazy) ; plus original encore, l’impuissance de Clyde et leurs échecs sexuels écornent leur aura, une habitude chez Warren Beatty qui, comme dans John McCabe par exemple, prend plaisir à démythifier les figures de légende. L’idéalisation n’est pas de mise : non seulement, la violence repousse, mais la communauté qui se forge autour du couple ne fonctionne pas. On retrouve le pessimisme de Penn, aussi à l’œuvre dans La Poursuite impitoyable ou Little Big Man : la collectivité est malade, et la cohabitation impossible. Les conflits avec la belle-sœur, les trahisons, et les adieux à la mère jouent sur cette partition complexe et instable. La scène de kidnapping du croque mort est en cela éloquente : de la violence au dilettantisme, elle semble un temps mettre en place une bulle utopique avant que le rappel de la mort ne fasse voler en éclat les illusions.
Road movie, Bonnie & Clyde est surtout le trajet d’une fuite en avant : c’est la mélancolie d’un adieu au monde, et le sourire juvénile qui se crispe avant de s’effacer. Abattus comme des lapins, les amants braqueurs ne sont ni des martyres, ni des ennemis publics : ils disent avec toute l’ambiguïté possible la nouvelle ère d’un cinéma qui s’intéresse aux figures troubles et à la façon dont le système les ingère, ou les expulse.
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Little Big Man - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 23 Avr 2016, 05:27

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Confusions d’un enfant du siècle

Qu’un cinéaste au regard aussi acéré et lucide qu’Arthur Penn s’empare de la question indienne est une véritable aubaine. C’est évidemment l’occasion d’un regard qui va, à la suite des Cheyennes de Ford, réhabiliter les natifs de l’Amérique, mais surtout le faire avec la finesse de ton et le sens de l’équilibre qu’on lui connait depuis ses débuts.
Tout le récit s’appuie sur la figure intenable de son protagoniste, dont le nom indien dit déjà tous les paradoxes. Jack Crabb (Dustin Hoffman au sommet) est interrogé comme la figure de l’ancien colon par un bien-pensant des 70’s qui aura pourtant tout à apprendre de lui. A lui seul, il représente un siècle d’Histoire, et surtout, la relecture de celle-ci.
Little Big Man, c’est un peu la version satirique de Forrest Gump : le regard décalé sur une histoire brûlante, et, loin de l’hagiographie, le révélateur d’une nation construite sur la contradiction et la tartufferie générale. Par ses allées et venues entre indiens et colons, Crabb multiplie les casquettes, l’escroquerie étant tout de même ce qui caractérise les plus les seconds, que ce soit sur le terrain de la religion, la morale, la médecine ou la politique. La grande réussite du film est de parvenir à instiller l’humour dans cette dénonciation. Le personnage de Faye Dunaway par exemple, nymphomane directrice de conscience, ou la période pistolero de Crabb qui ne supporte cependant pas la vue du sang sont d’un charme irrésistible.
Du côté indien, la tendresse l’emporte : certes, l’idéologie un peu hippie des 70’s perdure dans certains élément de l’imagerie, comme l’indien gay ou la polygamie, mais c’est surtout la bienveillance avec laquelle on traite des croyances et des rites qui est la plus remarquable. Ce peuple, qu’on sait d’emblée condamné, prend chair sous le regard de Penn et à travers les mots du personnage principal, tantôt adopté, assimilé ou rejeté par les circonstances, et la figure paternelle, qui croit à l’invisibilité par exemple, est profondément attachante, seul rempart face à la barbarie militaire du camp adverse.
Film fleuve, Little Big Man parvient aussi à restituer la longueur d’un parcours par la récurrence des personnages, la permanence des relations (filiation, rivalité, amoureuse) qui croisent et retrouvent Crabb à intervalles réguliers. Son drame est de ne pas pouvoir, ni savoir réellement choisir son camp, dans cette Amérique fondée sur un melting pot problématique. Cette instabilité, cette impossible assimilation est l’un des grands thèmes récurrents de Penn, depuis le Gaucher jusqu’à Bonnie & Clyde, en passant par La poursuite impitoyable : une virulente critique d’un collectif ne répondant qu’à une somme d’intérêts individuels mesquins et barbares.

“an enemy had saved my life from the violent murder of one of my best friends... The world was too ridiculous to even bother to live in.”

Sur le même modèle que Bonnie & Clyde, le sourire initial laisse place à la tragédie : c’est la violence d’un massacre dans la neige, et la vengeance des amérindiens dans la fameuse bataille de Little BigHorn. Il manquait au grand film historique l’ampleur épique, Penn la déploie avec majesté, avec un sens visuel proche de ce que sera La Porte du Paradis dix ans plus tard.

Puisqu’il ne peut vraiment se résoudre à tuer pour un camp ou l’autre, Crabb est dans l’impasse terrible de l’humaniste face à un monde brutal : la survie lui est-elle permise ? Oui, pour se faire le témoin et le passeur d’une histoire tourmentée et complexe. Tragique et ridicule, touchante et ample : la définition, incarnée par cette œuvre, de ce qu’est un grand film.
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Miracle en Alabama - 7/10

Messagepar Nulladies » Dim 24 Avr 2016, 06:32

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“The napkin is folded…but the room is devastated.”

Après le très beau Gaucher et sa vision décapée de l’Ouest, Miracle en Alabama semble opérer un pas de côté dans la filmographie naissante d’Arthur Penn : il ne sera pas question de la violence qui structurent les films à venir, de La Poursuite impitoyable à Bonnie & Clyde, mais d’une thérapie appliquée sur une handicapée. Point de regard en surplomb sur l’histoire du pays, comme dans Little Big Man, mais un huis clos quasiment réduit à deux personnages, rivés à une mission apparemment impossible : apprendre le langage à une jeune fille sourde, muette et aveugle.
On aurait cependant tort de considérer cette œuvre comme un film de commande dans lequel on ne retrouverait pas un style Penn. Certes, nous ne sommes pas ici face à l’étendard du nouvel Hollywood, mais les choix de mise en scène et de découpage du récit font déjà montre d’une belle audace.
Penn décide, dans la biographie de la jeune Helen Keller (figure d’autorité aux Etats Unis, sur la réussite par la persévérance) de se concentrer sur un temps très court, celui de la confrontation à Annie, nouvelle préceptrice aux méthodes peu académiques. Sorte de super Nanny avant l’heure, elle commence par établir un constat qui choque, celui des ravages du laxisme à l’égard de l’enfant, qu’on a déguisé jusqu’alors comme une tolérance face à son handicap. Comme chez Truffaut et son enfant sauvage, il s’agit de dompter une bête et de lui inculquer les limites qu’elle n’a jamais connues.
Tout le film se loge dans cette double quête : inculquer la frustration, et faire surgir le langage. Pour ce faire, Penn donne à son format toute l’apprêté d’une laborieuse leçon : répétition, lutte, refus, persévérance. Le paradoxe assez audacieux est le suivant : considérer Helen comme une personne, c’est la contraindre, aboutir à des réactions qui seront d’abord celle de la bête : coups, griffes, morsures, vaisselle brisée. Le film capte à merveille cette brutalité, durant de longues séquences d’affrontement, dénuées de toute explication autre que la gestuelle physique, rivées à un objectif : faire craquer le partenaire.
Autour de ce duo improbable, le cinéaste essaime quelques portraits assez convaincants, du frère cynique aux parents dépassés, et ajoute quelques traits d’humour afin d’équilibrer l’oppression générale, permettant notamment l’ouverture vers l’extérieur avec un vol de clé et une échelle posée à la fenêtre. L’occupation de l’espace est primordiale dans le film : la douleur du dressage par l’enfermement, l’obligation pour l’enfant d’occuper une place unique à table, la destruction méthodique de tout le mobilier sont les voies de réconciliation avec le monde qu’elle n’appréhende pas. Il semble donc logique que le miracle soit en lien avec l’eau, et se passe à l’extérieur, où l’on retrouvera la clé pour cohabiter en bonne entente à l’intérieur…Ce progrès qu’on espérait presque plus, arrive presque trop vite au vu du temps réel dans lequel on a été immergé, et ne sera pas développé : c’est sur une phase, la plus éprouvante, que se concentre le cinéaste, et la vigueur de son trait, l’authenticité de son regard, contribuent à proposer une œuvre à la fois atypique et émouvante.
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Fugue (La) - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 27 Avr 2016, 05:51

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Sea, death and sun.

On en oublierait presque, avec les grandes œuvres de Penn, que le cinéaste s’est aussi frotté à ses contemporains : ce fut évidemment le cas avec son plus beau film, La poursuite impitoyable, satire féroce qui se prolonge un peu ici, dix ans plus tard, dans une société fortement modifiée. La fugue nous plonge dans le milieu qu’a reconstitué PT Anderson dans Inherent Vice : le LA des 70’s, avec tout le folklore qu’il suppose, de la libération sexuelle de la jeunesse au vieilles cougar siliconées.
Le film suit l’enquête classique d’un privé sur les traces d’une fugueuse, occasion donnée d’explorer les plateaux de tournages et le milieu des cascadeurs. Gene Hackman, comme toujours impeccable, procède à une double investigation : sur cette jeune adolescente et sur sa propre vie, miroir désabusé de cette fougue, temps des décisions et des prises de conscience puisqu’il s’agit de déterminer où en est son couple.

Pragmatique, doué de raison, son personnage (qui, dans l’intro, refuse d’aller voir Ma nuit chez Maud de Rohmer en fustigeant ce cinéma ennuyeux) va faire l’expérience d’une enclave particulièrement déconcertante : ayant retrouvé la fugueuse Melanie Griffith en Lolita solaire, il vit un moment dans son monde, havre étrange, éden décadent, permissif et mortifère, où se mêlent éros et thanatos. Tout semble se déliter, et le retour à la normale pourrait presque en être frustrant. Mais le thriller va reprendre ses droits, notamment par une belle mise en abyme du regard : l’enquête se poursuit grâce à des écrans, que ce soit les rushes ou la coque vitrée du bateau, donnant accès à un monde immergé et effrayant où les poissons se nourrissent des yeux des noyés…
Cette saturation de la mort dans un monde prétendument libertaire est la marque du regard noir de Penn : qu’on soit Bonnie & Clyde ou Billy the Kid dans le Gaucher, toutes les figures sont des morts en sursis.
La complexification du récit sur sa fin n’en fait pas seulement un bon polar : c’est davantage dans les retours sur soi que la dynamique narrative interesse : le privé qui revient au bercail, et la façon dont il digère ce qui s’est passé dans cette parenthèse où les moments de vérités n’étaient finalement que des mensonges. Car le bilan se fait aussi du côté du protagoniste : si le final, sorte de relecture de la scène culte de La mort aux trousses en version balnéaire, nous apporte son lot de résolutions et son bain de sang, l’essentiel est ailleurs.
Dans un aveu : I didn’t solve anything, et dans le mouvement circulaire d’un bateau, métaphore amère d’un monde qui prolonge indéfiniment son agonie.
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Missouri Breaks - 6/10

Messagepar Nulladies » Mer 27 Avr 2016, 05:52

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Duel au sommeil.

Difficile de ne pas manifester sa déception lorsqu’on se retrouve face à une telle réunion au sommet : un duo Brando – Nicholson devant la caméra du grand Arthur Penn : les attentes peuvent évidemment être démesurées.
Après l’incursion contemporaine de La Fugue, Penn revient au western, dont il a su dès les origines décaper le glacis classique dans Le Gaucher. De ce film et du superbe Little Big Man, il garde cette tonalité originale, dans laquelle l’humour, voire le grotesque contaminent les enjeux dramatiques. La bande de Nicholson, voleurs de bétails, accumulent ainsi les bévues, tout en réussissant avec une facilité déconcertante à commettre leurs forfaits. Pour leur barrer la route, le riche propriétaire terrien victime de leurs agissements fait appel au regulator Clayton, pervers psychopathe qui va rendre justice à sa manière.
Les ingrédients sont là, les intentions toujours aussi acides et pertinentes : nulle dichotomie entre l’autorité et les hors-la-loi, peu de figures innocentes : l’Ouest doit faire avec une donnée fondamentale, celle du crime et de sa vengeance par la perpétuation de la violence.
Les paysages sont grandioses, et certaines séquences de galop dans les ravines ou les rivières parviennent à rappeler les grands moments de Little Big Man.
L’incursion de la comédie bouffonne peut être légitimée, l’Amérique naissante prenant des allures de farce morbide dans laquelle on se déguise en vielle gouvernante pour aller tirer ses ennemis dans les toilettes ou en plein coït contre un mur sale.
La sève de Penn est donc bien présente, et sa noirceur infuse la mythologie qu’il prend plaisir à contrecarrer.
Il n’en demeure pas moins que l’ensemble a beaucoup de mal à prendre : trop long, mal géré dans son rythme, Missouri Breaks s’enlise à plusieurs reprises. Nicholson se limite à une seule expression faciale, tandis que de son côté, Brando se livre à un numéro de pitre assez insupportable, quelque part entre le bouffon shakespearien et l’acteur en roue libre. La romance improbable a elle aussi du mal à convaincre, et les personnages, souvent sans âme, ne semblent que des candidats au plomb qui ne manquera pas de venir les farcir. Mis bout à bout, ces failles font clairement trembler l’édifice, et si l’on retrouve assurément la patte du grand Penn, cet opus peine à convaincre.
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Captain America : Civil War - 4/10

Messagepar Nulladies » Jeu 28 Avr 2016, 05:46

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Republic enemy.

J’ai toujours eu une petite tendresse presque inexplicable pour Captain America. Je parle des films davantage que du personnage, entendons nous, dont le charisme, rappelons-le, est proche de celui d’un pancake ayant dépassé sa date de péremption.
Un côté vintage fun dans le premier volet, une ambiance complotiste boum boum dans le second parvenait à conjuguer la surenchère propre à Marvel avec quelques singularités un peu amusantes.
Il y avait tout de même fort à craindre de ce nouvel opus qui se présentait davantage comme un nouveau chapitre d’une méga franchise avec casting all-stars, au risque de nous rejouer le tapis rouge vif des Avengers.
Marvel reste fidèle à lui-même : grosses bastons entrecoupées d’INTERMINABLES scène de dialogues largement dispensables, devisant sur un nouveau sujet qui, en creux, dessine tout de même une propagande assez tendancieuse : soit la question des dommages collatéraux, question pour le moins épineuse à l’endroit des USA/maîtres du monde. Les victimes innocentes reprochent, en gros, aux justiciers bourrins d’avoir été dans l’œil de leur cyclone, d’où cas de conscience et résolution de passer sous le contrôle de l’ONU. Sans que le dilemme soit vraiment réglé à la fin, on nous explique tout de même avec des arguments lestés de béton, de vibranium et Cie que bon, voilà, c’est quand même grâce à eux et leur sens de l’initiative au-dessus des lois qu’on vit encore dans un monde libre. Hum.
Ces débats occasionnent tout de même une réflexion méta plutôt intéressante de la Vision sur la surenchère à laquelle se condamne l’écurie Marvel : les héros se multiplient de façon exponentielle et sont autant de défis à des convoitises de méchants mal intentionnés : pas d’Avengers, en somme, pas de menace, et un monde peut-être plus en paix. Jolie variation sur l’adage selon lequel les peuples heureux n’ont pas d’histoire.
Sur le plan psychologique, on passera notre chemin, que ce soit dans les motifs à répétition du duel au sommet ou ceux, encore plus poussifs à coups de pseudo twists, du « méchant » de l’histoire, prétexte cousu de fil blanc et sans grand intérêt.
La réalisation quant à elle est très souvent catastrophique et gâche tout le boulot des chorégraphes et scénographes par un montage au hachoir accouchant d’une bouillie presque illisible, sans aucune appréhension de l’espace ou du rythme.
On le sent bien, la préoccupation première est de justifier le grand consortium et la création de deux camps. Reconnaissons une certaine habileté dans le tissage des intrigues qui brassent à peu près tout ce que le MCU met en place depuis 8 ans, et surtout, hormis les question évoquées plus haut, une petite fraicheur dans l’absence de trop grand sérieux.
Le meilleur exemple en est l’introduction de Spiderman, l’une des réussites du film, assez drôle, décalée et aussi vive qu’est volatile son représentant.
C’est là ce qui le sauve du naufrage total : Civil War est un grand bac à sable, un concours de teub un soir de biture du mois de juin où l’on se demande qui pisse le plus loin. A ce titre, la scène de l’aéroport sort agréablement du lot : à la lisière de la parodie, c’est le grand déballage, l’orgie des héros qui joue sur la combinatoire des combats avec un plaisir communicatif. Un bon petit quart d’heure sur 2h27.
Inutile d’espérer voir véritablement évoluer ces personnages, en retrouvant les aspérités qu’ils ont apparemment dans les comics, ou leur donnant de quoi se torturer réellement l’esprit, comme ce fut le cas dans le sombre Watchmen : le soupe Marvel ne s’encombre pas de tels épices.
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Georgia - 4/10

Messagepar Nulladies » Sam 30 Avr 2016, 05:45

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Les jeux vains de la liberté

Four friends est un projet ambitieux, qui sur le papier rappelle par bien des aspects Little Big Man. Certes, la temporalité en est réduite, puisqu’on se limite ici à deux décennies, mais il s’agit bien ici d’une fresque relatant par d’autres bouts de la lorgnette l’histoire américaine, des années 60 à l’aube des 80’s.
Comme souvent chez Penn, c’est aux proscrits et aux libertaires qu’on donne la parole : sont ainsi abordés les droits civiques, le Vietnam, le mouvement hippie et la libération sexuelle, dans une fougue diversement vécue par la jeunesse des protagonistes dont les différentes trajectoires vont permettre de visiter toutes les couches sociales, des bas-fonds new-yorkais aux riches demeures de l’élite décadente.
Bigarré, le film flirte avec la grande saga et la comédie musicale, tentant de nous entrainer dans le tourbillon d’une époque mouvementée, non sans décaper le vernis par des excès qui rappellent certaines séquences de Cassavettes, notamment Husbands par ces bastons nappées de vomissures diverses.
Les intentions sont louables, le propos intéressant, le travail des maquilleurs et costumiers…divertissant. Le problème majeur réside dans le casting : il est impressionnant de constater à quel point aucun comédien n’a percé après ce film, et à raison : ils sont presque tous mauvais. Hystériques, linéaires, irritants, ils desservent le film dès son exposition et, le comble pour un tel projet, deviennent de plus en plus insupportables au fur et à mesure du récit. La love story centrale, improbable et poussive, n’arrange rien à l’affaire, surtout lorsqu’elle est servie par une rengaine répétitive jusqu’à la nausée de la symphonie du nouveau monde de Dvorak et du Georgia de Ray Charles…
Et que dire des péripéties combinant incestes, meurtres, bébés et happy end lénifiant ?
Entre le soap et la contre histoire, il en résulte un film sur la fuite du temps qui se voit miné par les mêmes affres que ses personnages : il vieillit très mal.
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Froid comme la mort - 6/10

Messagepar Nulladies » Sam 30 Avr 2016, 05:46

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Sueurs roides

Opus tardif de la filmographie d’Arthur Penn, Dead of Winter a tout du petit polar un peu méchant à prendre au troisième degré pour être apprécié.
Autour d’une intrigue alambiquée, permettant à la comédienne Mary Steenburgen de jouer trois rôles différents, entre sosie et sœurs jumelles, Penn nous concocte un thriller improbable qu’on pourrait situer à la croisée de Misery (pour le volet séquestration) et d’un De Palma période eighties : le double, le vol d’identité, l’aliénation ou le fait de faire revivre des mortes emprunte autant en effet à ce dernier qu’à celui qu’il n’a cessé de piller, Hitchcock. Celui-ci est d’ailleurs explicitement cité dans une séquence où le majordome monte un verre de lait à celle qui ne sait pas encore qu’on la détient, écho évident à la célèbre de scène de Soupçons.
Difficile pourtant d’y voir autre chose qu’une commande pour Penn, qui n’affirme pas une grande singularité ici et se contente de faire le boulot avec plus ou moins d’efficacité. La gestion de l’espace occupe une grande part de sa mise en scène, et restitue habilement la claustrophobie de circonstance, du grenier à la chambre à double entrée. Les comédiens font un peu ce qu’ils peuvent, et semblent souvent dépourvu d’indications, occasionnant, surtout dans les scènes maitresses de conflit, de prise de conscience ou de coups une hystérie frôlant le grotesque, et une gestion du rythme relâchée qui prêterait à sourire si l’on ne regardait l’un des derniers films du cinéaste à qui l’on doit Bonnie & Clyde ou La poursuite impitoyable…
Pris isolément, Dead of Winter n’est pourtant pas dénué de charme : il fallait penser à cette histoire tordue, et si l’on fait des concessions à certains critères, il y a là de quoi passer un moment plaisant, à coup d’amputations digitales, de séquestrations, de pièges à ours et de cadavres au congélateur.
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Dalton Trumbo - 5/10

Messagepar Nulladies » Dim 01 Mai 2016, 17:01

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Stars académiques

Le biopic est un exercice fragile, particulièrement lorsqu’il est régurgité par Hollywood : on ne doit généralement guère s’attendre à davantage qu’une jolie reconstitution, vaguement hagiographique, émaillée çà et là de quelques égratignures sur les souffrances et excès du personnage hors norme qui mérite de passer à la postérité.
Ce qui est assez précisément le cas ici.
Travail propret, académique en diable, Trumbo ne sort jamais du cadre, et n’en avait de toute façon pas l’intention. Davantage que le portrait d’un individu, le film tâche, dans le sillage de La liste noire (qui me semble-t-il fut plutôt bon, mais vu il y a si longtemps…), de revenir sur une période noire de l’histoire des USA et qui éclaboussa particulièrement le milieu du cinéma, à savoir le Maccarthysme.
Dans cette perspective historique, le film fait sagement le job, détricotant avec pertinence le réseau nauséabond établi pour débusquer les comportements anti américains au plus fort de la paranoïa de la guerre froide. Des hystériques médiatiques préfigurant les figures du Tea Party aux hommes de l’ombre, le piège de la mise au ban du système est efficace, et la propagation des dénonciations assez redoutable.
Dans cet écheveau, notre protagoniste fait comme il peut pour maintenir une pose d’auteur : répartie, provocation, survie undercover dans des scenarii minables occasionnent des scènes vaguement amusantes, souvent plombées par un regard pesant sur les ravages familiaux.
Car lorsqu’il s’occupe des individus, le récit n’a pas grand-chose à en faire d’autre que des archétypes, instruments à sa démonstration générale. Trop écrit, assez artificiel, le film ne se mouille jamais, et pense capitaliser sur ses grands noms comme Preminger ou Kirk Douglas, desservis par des clones low cost qui embarrassent plus qu’ils ne plongent dans le faste hollywoodien des sixties.
Bien sûr, Bryan Cranston ne démérite pas, mais ce rôle à oscar émeut autant que ses diverses postiches, blanchies au fil du temps, sans jamais évoquer les questions de l’écriture (tout s’écrit tout seul chez lui, dans sa baignoire) ni, déception suprême en ce qui me concerne, son unique et frappante réalisation, Johnny s’en va-t-en guerre.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar maltese » Dim 01 Mai 2016, 17:24

Ca a l'air clairement moins bien que Avé César :chut:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Lun 02 Mai 2016, 05:30

C'est aussi vain, je dirais, mais pas forcément pour les mêmes raisons...
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Bienvenue à Mister Chance - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 02 Mai 2016, 05:31

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Un roi dans le divertissement

Construit sur le même principe que le très bon Bad Boy Bubby et le plus convenu Room, Bienvenue Mister Chance s’attache à un personnage cloitré depuis sa naissance et dont on va suivre la libération : ce regard de l’étranger social sur ce qu’on nomme la normalité va occasionner un travail de critique sociale et satirique déjà éprouvé depuis des temps immémoriaux, des Lettres Persanes à Forrest Gump.
Hal Ashby prend un peu trop son temps pour faire le tour d’une question qu’on avait rapidement comprise, à savoir que le monde est devenu fou, et que la combinaison des politiciens, des médias et de l’abrutissement des électeurs peut élever au rang suprême l’imbécile heureux qui ne comprend rien à leur fonctionnement.
La satire est tout de même assez savoureuse, et permet une trajectoire qui n’épargne presque personne, évoquant pêle-mêle le racisme inhérent à la société américaine, des élites totalement déconnectées de la réalité, et un auditoire général avide de réponses, prêt à la foi la plus aveugle pour pouvoir se sentir rassuré : la manière dont on propose une lecture économique et financière des aphorismes jardiniers de Mr Chance est une réussite assez malicieuse.
Mr Chance, c’est aussi cette béance tout à fait fertile pour un scénario : l’homme venu de nulle part, sans passé, sans histoire, sans culture, et que l’on s’acharne à faire rentrer dans des cases, dévidoir à fantasme qui occasionne de belles séquences sur la rivalité entre CIA et FBI, tous convaincu que son dossier a été occulté par l’autre…
La prestation de Peter Sellers, l’un de ses derniers films qui lui valut l’oscar, est excellente, même si un peu minée par les redondances d’écriture, comme les longues scènes devant la télévision ou en dialogue de sourd avec ses interlocuteurs. Mais cette déconnexion, jusqu’à ce très beau plan final lui conférant l’aura d’un Christ nouveau, est parfaitement en accord avec la démonstration recherchée par Ashby.
Le film a tout de la fable, et ne s’embarrasse par conséquent pas de crédibilité, dérivant jusqu’à la farce franche. Tout le monde semble finalement assez désespéré face au candide : en mal de reconnaissance, en soif de pouvoir, de sexe, voire tout simplement d’innocence, la galerie des personnages se distribue sur une dynamique de plus en plus caricaturale. La démonstration est acerbe, et rejoint un peu le cynisme de Lumet dans Network : on tire sur tout ce qui bouge, avec un certain sens de la provocation, notamment dans cette scène de sexe qui résume parfaitement la situation : Shirley MacLaine atteint l’orgasme qu’elle croit attribuer à Mr Chance, alors qu’elle se contente de se masturber, jolie métaphore de cette société entièrement et aveuglément autocentrée.
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Des temps difficiles : Le making-of de Blade Runner - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 03 Mai 2016, 05:30

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Anatomy of a masterpiece

3h35 dans les arcanes de Blade Runner : Dangerous Days est le complément premium du film, de ces bonus qui ont vraiment un intérêt, là où on vous sert la plupart du temps du « Oh my god he’s the most visionnary director I’ve ever seen in my entire life », etc.
Sur une trame chronologique, le documentaire nous restitue toute la genèse, plutôt laborieuse, du chef d’œuvre : les différentes versions scénaristiques, la façon dont le projet fut retiré à l’un puis donné à un autre, le design futuriste et architectural (on apprend ainsi que certains messages en japonais se cachent dans les néons, et que l’équipe du décor a pu peaufiner son travail grâce à la grève des acteurs), le casting (mention spéciale à Rugter Hauer et sa contribution légendaire à son immortelle tirade finale…) le tournage fauché, la postproduction et la réception par le public.
Ridley Scott, ayant Les Duellistes, Alien et plus de 2500 publicités à son actif, agit en véritable tyran britannique, un peu méprisant du système en équipe à l’américaine : son degré d’exigence explique le produit fini, mais peut-être aussi la mélancolie des comédiens, assez peu épanouis sur le plateau, entre l’agacement de Ford, peu habitué à une telle passivité en regard de son travail sur Star Wars et Indiana Jones, et Sean Young, inexpérimentée et terrorisée.
La partie concernant les effets spéciaux est peut-être la plus passionnante, puisqu’elle insiste sur le statut spécifique de Blade Runner, présenté comme le dernier film de SF analogique. Maquettes, surimpressions, inclinaisons des caméras, toutes ces technologies aujourd’hui dévorées par la CGI expliquent sans doute la matérialité, l’incarnation puissante du film, et le fait, paradoxalement, qu’il ne vieillisse pas…
L’autre grand intérêt est de prendre aussi la mesure des ravages du travail avec les grands studios : les exigences quant à la première version (un Deckard humain, une happy end en milieu naturel qui occasionne de piquer des rushes sur les prises de vues par hélicoptère de Shining, une voix off surexplicite) expliquent bien cette dictature du formatage hollywoodien, heureusement rattrapée par le statut progressivement culte du film qui lui permit de retrouver, grâce au director’s cut de 1992 et au final de 2007, sa splendeur originelle.
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Before I disappear - 7/10

Messagepar Nulladies » Jeu 05 Mai 2016, 06:41

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24 hour arty people.

Petite gourmandise passée inaperçue par chez nous, Before I disappear est l’extension d’un court métrage oscarisé qui permet à son réalisateur/comédien/scénariste des débuts qui font penser à ceux de Zach Braff dans la merveille Garden State.
Soit une comédie savoureusement charbonneuse, où se mêlent plusieurs influences, par l’humour un peu acide de Al Hartley et son Trust Me, portrait d’un loser total qui finira forcément par déclencher de l’empathie, notamment à la faveur d’un babysitting forcé sauce Nick Hornby dans A propos d’un gamin, voire Alice dans les villes.
Before I disappear commence comme Oslo, 31 aout, par le projet convaincu d’un suicide, avant de jouer la rupture de ton par une série d’aiguillages plus ou moins crédibles qui vont transformer les 24 heures à venir du protagoniste en dédale absurde et hallucinatoire. Sur cette trame très proche du poétique After Hours de Scorsese, Shawn Christensen compose une partition douce-amère souvent assez attachante : méandres d’un adulescent en perdition, drogue, rupture amoureuse, adieux au monde et confrontation à ce que ce dernier exige de lui sont les pulsations d’une vaste danse qui se veut résolument lyrique.
Car le film mise avant tout sur sa forme, qu’on pourrait considérer comme inutilement clinquante si elle ne faisait pas aussi souvent mouche, en dépit d’une intrigue finalement un peu trop gentillette. Très clipesque, la mise en scène est ostentatoire et concentre tout ce que le premier film peut avoir d’ambition : vastes mouvements, travellings circulaires, hallucinations poétiques, décrochages temporels, ralentis abusifs, autant d’épiphanies visuelles données au rêveur qui traverse un monde qu’il a prévu de quitter. C’est souvent joliment fait, à l’image de cette soirée masquée dans un couloir aux sons du Five Years de Bowie, ou de la comédie musicale s’emparant des joueurs d’un bowling.
Christensen connait (un peu trop) ses classiques, et l’ensemble peut paraitre un peu scolaire par moments : les citations musicales éculées (Le duo des fleurs de Lakmé, Carmen), le petit tribu 7ème art (la projection totalement gratuite du Mécano de la General au beau milieu d’une soirée underground). On lui pardonnera cet excès de zèle, notamment grâce à son sens du rythme et sa direction d’acteurs (la sœur et la nièce, excellentes) qui donnent une véritable épaisseur à son exercice de style.
Le feu d’artifice formel est tel qu’il laisse une crainte, celle de voir un auteur émergent qui aurait brulé toutes ses cartouches à la première salve. Espérons qu’il n’en est rien, car c’est un cinéaste qu’on pourrait avoir du plaisir à retrouver.
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Hommes sans loi (Des) - 7/10

Messagepar Nulladies » Jeu 05 Mai 2016, 06:43

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(I can’t get no) Prohibition.

L’alliance John Hillcoat / Nick Cave avait si bien fonctionné sur The Proposition qu’elle se reforme ici, délocalisant le western dans la période de la prohibition, s’attachant aux producteurs davantage qu’aux mafias qui les distribue. Décors sylvestres et ambiance agricole, portés par une photographie soignée, encadrent des personnages bourrus, à la virilité affirmée et la violence latente.
Lawless accroit en outre son ambition hollywoodienne par un impressionnant casting all-stars, au risque de glamouriser et figer son atmosphère. C’est là la première réussite du film : tous les comédiens, jusqu’à Shia, si si, sont crédibles, et au service de leur personnage, (même si celui de Guy Pearce se révèle trop poussif et caricatural) dans des rôles de taiseux pour la plupart, sur lesquels le décidément immense Tom Hardy règne en empereur.
La question qui traverse tout le film est celle de la légende, et des sacrifices nécessaires pour s’y conformer. Forrest, (Hardy) le frère patriarche, l’affirme clairement à Jack, le cadet impatient d’en découdre :
We're survivors. We control the fear. And without the fear, we are all as good as dead. Do you understand? - Do you?
Tout l’équilibre s’instaure dans la gestion des différents caractères, au profit d’une alchimie fondée sur la gestion des différentes bombes à retardement : Forrest, donc, dont le potentiel violent, avec son frère alcoolique sociopathe (Jason Clarke), impose le respect à toute la cantonade. Jessica Chastain, la femme dont la douceur discrète viendra panser les plaies que suscite le fait d’être un homme dans un monde de brutes, et enfin le jeune Jack, déchainant tous azimuts ses pulsions de jeunesse, vers la gent féminine (notamment dans cette très belle scène de lavement de pieds à l’église) ou la conquête de la pègre locale.
Le film pourrait se limiter à cet affrontement des pécores face aux autorités, mais ce serait limiter sa portée réelle que de s’arrêter à cet arc du script. La finesse et la malice de Nick Cave se retrouvent dans l’intelligence avec laquelle il traite les figures héroïques : une femme maternelle et néanmoins souillée, de ses origines à cette fameuse nuit elliptique durant laquelle on inscrit un nouveau chapitre à la légende, celle d’un Forrest marchant la gorge tranchée une trentaine de miles, preuve irréfutable de son invincibilité, et sur laquelle il faudra revenir. Car le récit, s’il se prête volontiers à la dynamique classique de la surenchère (violence, dommages collatéraux, mécanique tragique), ne cesse simultanément de questionner cette brutalité de façade : par le rôle donné aux femmes, par l’absence de complaisance sur la violence, maintenue à distance et suscitant l’effroi des personnages les plus censés, ainsi que l’absurde de cette course à un contrôle qui ne peut s’achever dans un bain de sang. Sans manichéisme, mais avec une forme de sagesse indicible, Cave & Hillcoat décapent l’héroïsme habituel, que ce soit dans la bêtise un peu crasse des mâles ou dans ce dénouement presque déceptif, par lequel la fin de la prohibition laisse place à une époque pacifiée qui fait surgir l’ennui chez des êtres épris d’un romanesque fondé sur la violence.
Hillcoat, qui s’est depuis un peu trop assagi, notamment avec Triple Nine, devrait de toute urgence prendre son téléphone et contacter Cave pour son prochain opus : il s’est rendu indispensable à sa filmographie.
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