Au cours de ces dernières années, il y avait de mon côté une certaine fascination pour la carrière d'Alejandro González Iñárritu. Car le bonhomme, depuis ses débuts, cumule les bons films ou, dans le pire des cas, des essais clairement pas dénués de qualités, et à mon sens, c'était une évidence qu'il allait un jour passer au cran supérieur et livrer un authentique grand film. Si ce chef-d’œuvre n'est pas venu avec
Birdman, bon film au demeurant mais passablement limité par sa plus grande qualité, à savoir sa mise en scène en forme d'unique faux plan-séquence, il sera arrivé finalement un an plus tard avec
The Revenant, plus grand film de son auteur haut la main et accessoirement l'un des meilleurs films sortis ces dernières années sur un grand écran.
Ce qui étonne déjà avec
The Revenant, c'est à quel point, scénaristiquement et formellement, le film creuse un fossé vis à vis des œuvres précédentes d'Iñárritu. Certes, on y retrouve quelques thématiques communes, comme la vengeance de
21 Grams ou la problématique du langage de
Babel, mais ce sixième film s'impose d'emblée comme une pièce unique, qui dévoile une nouvelle face de son réalisateur, qui prouve qu'il est capable de frapper là où on ne l'attend pas. Survival dément, histoire vengeresse qui fait mal, introspection mystique et religieuse et surtout film sur le deuil,
The Revenant est tout ça à la fois, dans un écrin visuel qui ne peut que remporter l'adhésion tant chaque scène, chaque plan du métrage sent le cinéma à plein nez. La réussite est donc avant tout scénaristique, tant le destin de Glass à l'écran aurait pu être traitée de façon plus convenue. Quitte à s'attirer les foudres de ceux qui en attendaient qu'un simple survival, Iñárritu préfère faire de son film quelque chose de nettement plus ambitieux, de plus dense, à tel point que certains éléments du métrage, notamment les rêves du personnage, pourront évoquer selon les spectateurs des interprétations bien différentes (là où beaucoup critiquent ces fameuses visions comme des éléments dont le film pourrait se passer, une séquence comme celle de l'église est, à mon sens, le pivot même sur lequel se repose le métrage pour fonctionner d'un point de vue émotionnel).
De survie et de vengeance, il en est bien question mais
The Revenant est surtout un film qui traite de la mort, de la façon dont elle frappe chaque homme (la mort, omniprésente, se ressent à chaque plan dans l'ambiance naturelle pesante), de l'absurdité de survivre et de se venger (soulignée par une réplique de Fitzgerald), de l'acceptation de la mort (Glass doit abandonner de multiples corps pour avancer dans sa quête), ou encore du caractère divin de cette dernière (le pitch de Fitzgerald sur la subjectivité de la notion de divin, mais surtout la phrase énigmatique "La vengeance appartient au Créateur"). En cela,
The Revenant est un film à rapprocher d'une œuvre plus modeste mais très sous-estimée, à savoir
The Grey de Joe Carnahan, avec qui il partage cette ambiance mystique mais aussi et surtout cette quête qui n'amène qu'à la mort, alors que le film entier traite de survie. Tout est là dans
The Revenant pour rappeler la mort, que ce soit à travers la composition musicale aux accents de requiem ou à travers la photographie naturelle de Lubezki qui magnifie les paysages tout en les rendant lugubres.
Et comble de l'extase, il s'avère qu'Iñárritu signe là sa plus grosse réussite formelle. Non seulement on évite le pari technique un peu superficiel d'un
Birdman, mais surtout on en vient à oublier la caméra tant cette dernière épouse les décors (avec un sens du cadre qui évoque directement le cinéma de Tarkovski, rien que les premiers plans renvoient à L'Enfance d'Ivan et Le Sacrifice), pour un sentiment d'immersion maximum. J'ai rarement été autant peu conscient de la mise en scène d'un film dernièrement (surtout qu'elle n'évite pas les morceaux de bravoure, à l'image de quelques plan-séquences techniquement impressionnants), ce qui me donne le sentiment que
The Revenant est plus un film qui se vit, plutôt qu'il ne se regarde, et ce sentiment est d'autant plus prononcé que toute l'intention de mise en scène va dans ce sens, avec une caméra qui épouse à la fois un regard divin tout en restant au maximum à hauteur d'homme, quitte à s'approcher comme rarement d'un visage humain pour en capter le moindre sentiment, la moindre détresse. Toute la séquence de l'ours, pari technique tellement incroyable qu'on se demande ce qui est réel ou non, est bâtie sur ce principe, et des plans comme celui où Glass retrouve le corps de son fils donnent réellement l'impression d'être avec le personnage pour partager ce moment.
Une intention risquée qui se repose néanmoins sur un casting irréprochable. Quand bien même ce n'est pas le plus grand rôle de la carrière de Leonardo DiCaprio, ce dernier offre une prestation tout en justesse, et physiquement éprouvante pour un résultat qui mérite clairement les louanges faites ces derniers mois. Tom Hardy y est tout aussi bon avec un rôle plus nuancé qu'on pourrait le croire (à la seconde vision, je me suis surpris à éprouver de l'empathie pour ce personnage qui ne souhaite finalement qu'un bout de terre pour prospérer) mais c'est davantage le personnage de Domhnall Gleeson (je le répète, un grand acteur à venir) qui surprend, personnage apparemment en retrait qui est finalement l'image même d'une civilisation, d'un ordre qui n'a pas de prise sur cette terre indomptable. Je pourrais continuer longtemps à parler de ce film, mais ce serait encore une fois extrêmement subjectif tant j'ai plus tendance à considérer
The Revenant comme une expérience à part entière. Rares sont les films qui m'ont fait oublier pendant plus de deux heures que j'étais devant un écran, désormais
The Revenant fait partie de ce cercle très fermé.