[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Soy Cuba - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 31 Mar 2016, 05:24

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Drown Sugar

Parabole révolutionnaire, Soy Cuba est certes un film de propagande : lorsqu’un soviétique traite de la chute de Batista, l’objectivité n’est pas de mise.
Divisé en quatre histoire distinctes, le film prend la forme de récits intimes dont les diverses démonstrations convergeront vers les raisons de l’épopée finale. De ce fait, Soy Cuba est effectivement un long poème polyphonique dont les voix d’abord séparées se joignent dans un chant collectif à la gloire de la révolution.
La démonstration pourrait être pesante, et ne manque ni de lyrisme, ni de didactisme : les américains sont bien les colons qui prostituent l’île et exproprient ses classes laborieuses, tandis que les militaires, gras et cigares au bec, foulent du talon la jeunesse éprise de liberté.
Mais, comme on l’avait déjà constaté dans Quand passent les cigognes, Mikhaïl Kalatozov accorde le primat à la forme, ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être renié et par Cuba, et par l’URSS lors de la sortie du film.
Poème visuel au long cours, le film s’organise le plus souvent au fil de plans-séquences virtuoses qui semblent tout simplement s’affranchir de toute contrainte technique : la caméra s’envole sur les toits, pénètre les immeubles, s’immerge dans une piscine et restitue l’ampleur des scènes collectives. La durée des scènes elles-mêmes est indexée sur la métamorphose violente des individus : une femme qui danse jusqu’à la frénésie, un paysan désespéré par son expropriation, ou un autre dans les décombres de sa maison bombardée : la caméra ne lache pas en dépit d’un mouvement de moins en moins lisible, et ce dérèglement (qui rappelle souvent celui obtenu par Paradjanov dans Les chevaux de feu) conduit à l’aliénation des individus qui les mènera sur les voies de la révolte.
Nul besoin de s’attarder sur la démonstration pour être happé par l’œuvre : hypnotique, frénétique, sensuel, Soy Cuba est un hymne qui parvient à appliquer la prosopopée de son titre : faire parler l’île, qui, à intervalle régulier, chante sa grandeur, sa richesse et ses larmes.
Puissamment organique, la matière visuelle se distribue selon un réseau symbolique très fort : les éléments détruisent lorsqu’ils sont maitrisés par l’homme au pouvoir (le feu de l’incendie, la terre qui explose, l’eau des lances à incendies sur les manifestants), apaisent et nourrissent lorsqu’ils sont en contact direct avec le peuple (la récolte, la transformation par le feu, la cascade qui cache la famille de paysans).
Les envolées sont donc sur tous les plans : visuelles, spatiales, musicales et lyriques. La longue descente des marches, écho au Cuirassé Potemkine, file les liens entre Histoire et cinéma, comme ils existaient dès les origines avec l’épopée : exalter l’action humaine et l’inscrire par le sublime dans la légende.
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Point Break - Extrême limite - 6/10

Messagepar Nulladies » Sam 02 Avr 2016, 05:43

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Bodhi troubles

Le culte tient finalement à bien peu de choses, quand on y pense : des belles gueules, une époque, la mode qui va avec, et on vous emballe un petit polar un peu mal fagoté sous les oripeaux d’une classe nouvelle.
Point Break a clairement vieilli : il porte en lui toute une imagerie 80’s assez pesante, des filtres bleus aux personnages caricaturaux, des chemisettes aux chevelures d’un goût douteux, des répliques testostéronnées au jeu globalement pathétique des comédiens. On peut s’en amuser, vibrer au son de cette B.O qui suinte bon l’Amérique, et ne pas attendre grand-chose d’autre. Utah, coincé du fondement, livre une partition crypto gay qui ne dit pas son nom, et qui de fait ne va pas desserrer la couenne deux heures durant. Bodhi, gourou en plastique, serait plus convainquant dans une pub pour les laboratoires Schwarzkopf que dans son discours alter du pauvre.
Seulement voilà, reconnaissons-le, il y a aux commandes une femme qui a quelque chose à dire avec sa caméra. Dès l’immersion dans les bureaux du FBI, on peut faire fi des dialogues éculés pour se concentrer sur la mise en scène, et tout fonctionne : nervosité, fluidité, occupation de l’espace. On retrouvera cette tension lors de l’assaut de la maison, par un savant montage entre l’extérieur et l’intérieur, qui conduit à des malentendus et un carnage que seul le spectateur savait évitable. Cette omniscience parfaitement gérée, Kathryn Bigelow la prolonge dans une course poursuite traversant jardins, maisons et vérandas, avec une efficacité redoutable, durant laquelle on est prêts à tout oublier, tout pardonner.
Finalement, ces chutes dans le vide, ces braquages masqués, ces motos et ces vagues, ces discours moisis ne sont que des prétextes, des leviers pour la naissance d’une grande cinéaste, qui s’exprimera par la suite avec une retenue de plus en plus maitrisée. Il semblerait qu’il fallait en passer par là. Une trajectoire passionnante, et un retour aux sources d’une véritable leçon de mise en scène, capable de transcender les limites de son sujet.
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Point Break - 3/10

Messagepar Nulladies » Sam 02 Avr 2016, 05:44

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Genre les arcanes du blockbuster chapitre 23.

Un sous-sol. Une table basse, des curlys, un mégot de pétard, une manette de PS3, un briquet et un téléphone.

- Salut. On s’est parlé au téléphone, je suis Bryan Feneck. Je fais du consulting pour un projet de remake de Point Break. Le boss m’a dit que son fils avait des potes surfeurs, alors…
- J’avoue.
- Bon je te laisse parler, j’enregistre.
- De toute façon Point Break c’était déjà une bête de film, alors il suffit de le mettre dans les mains des bonnes personnes, de surfer sur la vibe de l’époque tu vois, et on passe en mode hype of the moment. Les mecs, moi je vous dis, j’ai compris. Mais trop tout.
- Euh… il y a que moi, là.
- Voilà. Typique. Vision étriquée. Laisse, j’t’explique. Bien sur que c’est de la bombe de beurrer les crètes avec la gomme des pneus, de sauter sur des rochers comme dans Taxi pluggé en GoPro pour buzzer sur Ytube, je vais pas te mentir mon frère.
Mais, comment te dire, la vérité elle est ailleurs en fait.
J’avoue, je kiffe les meufs sur le yacht à côté des tsunamis numériques, et la zik en mode DJ de la teuf de gueudin, les fight clubs devant les carcasses de caisse en flammes, t’as vu chuis honnête, et la nana, l’athlète ultime si tu lui fous en plus des loches de compet, j’reconnais c’est parfait comme aç. Tu vois les mecs, ils en ont. Au jour d’aujourd’hui, on fait pas avec le dos de la louche, si tu me passe l’extension : t’as pas trois types d’extreme polyathlete : t’as celui qui y va, et t’as celui qui dive, tu vois, qui dit You got it, ou Let’s do this, ou encore mieux, We have to do this. Prends des Curlys, gros. Ils sont mous mais il reste du goût.
- Merci…gros, mais je fais un régime sans gluten.
- Et je respecte ça.
Mais là où je veux en venir, parce que les quatre chemins ça va bien trois minutes, ce qui ferait qu’on tire notre révérence en mode roi totale eclipse de soleil, c’est dans la philosophie, mec.
Y suffit pas de la jouer warrior Koh Lanta dans une pub pour Ushuaia. Faut un goal, man, et pour ça, faut des balls.
Tu l’as bien compris, la jeunesse est peut-être plus dans la rue, mais elle clique, bitch, et elle a un cœur, elle veut suivre un path, find the line, I know you know what I mean.
Et là, c’est Mother Earth qui crie famine, bro. Et les ecowarriors qui surgissent, qui font pleuvoir des biftons chez les black kids ou les diamants chez les lépreux. Qu’hésitent pas à ramasser une canette dans les Alpes et la mettre dans leur sac, avant de faire péter une colonne de camions remplis d’or. Pour les rendre à la Terre.
Parce que faut pas se beurrer et mettre la morue avant les œufs, on s’est compris : y sera question de sacrifice. (en anglais, hein, je veux dire : sacrifaïce) : si tu veux plus être un slave, sois master de ta fear, c’est pourtant élémental.
Ton bro y meurt, ta tchaï elle tombe au chant donner, mais tout est question de connexion, de respekt : on est des wanderer, en vrai. Alors on fait des bûchers avec nos morts, et sans allumettes, je te mens pas.
Et la vague, man, la vague finale, c’est la fusion ultime avec la vibration, meilleur que la dope, meilleur que quand tu déloades ton gun vers le sky : là t’es vraiment le roi du monde, mort, peut-être, mais zyva, le kiff quand même tu peux pas trouver best.

- Putain. Merci man.
- Pas de soucis mec, à ton service. Et si tu veux mon avis…
- Ouais ?
- Ben genre trop tout, quoi. Vous allez cartonner de ouf.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Jack Spret » Sam 02 Avr 2016, 11:58

:eheh: :eheh: :eheh:


"- Ça vous dirait un petit échange dans la ruelle, derrière le bar ?
- Si c’est un échange de fluides corporels, je suis pas contre. Mais alors dans ce cas, tu passes devant."
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Assassin (The) - 7/10

Messagepar Nulladies » Dim 03 Avr 2016, 05:59

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L’étrange douleur des lames de ton cœur

Qui connait un tant soit peu Hou Hsiao-Hsien saurait à quoi s’attendre : The Assassin est certes un film historique s’aventurant sur les terres très codifiées du wu xia pian, il n’en reste pas moins entièrement inféodé à son auteur, un peu comme si Apichatpong Weerasethakul nous proposait de la SF ou Béla Tarr un film sur la F1. Tous trois partagent un même attrait pour la lenteur, sève indispensable de leur esthétique comme de leur narration.
Il faut donc l’accepter, au prix de certains efforts. The Assassin n’est pas un film aisé, et sa beauté se mérite par l’expérience hypnotique propre à ces orfèvres de la contemplation. (Des tentations du côté de Morphée me furent évitées par un proche voisin de la salle qui nous gratifia de ronflements dantesques pendant tout le premier tiers du film avant de s’en aller…)
Le récit lui-même, tailladé d’ellipses et sans souci du confort du spectateur, peut nous perdre : un détail, un objet, une phrase peuvent contenir une information capitale, de la même façon qu’à un très long monologue d’exposition peuvent succéder trois quart d’heure sans un seul dialogue.
Comme souvent face à telle œuvre, il s’agit donc de se laisser porter. L’argument le permettant se situe bien entendu dans la beauté formelle de l’ensemble.
Doté d’une photographie à pleurer d’admiration, (que l’on doit à Lee Ping Bin, déjà responsable des intérieurs chamarrés d’In The Mood For Love), The Assassin est une merveille absolue en terme d’image. Cadrage sur les salles où se joue le protocole, variété des décors (une tradition dans le wu xia pian), de la forêt de bouleaux à la verdure, des toits noirs aux torches dans la nuit, la composition du cadrage est maitrisée à la perfection, et toujours en lien avec la place de chacun : dans ce ballet obscur entre assassins, gouverneurs, épouse et concubines, menace de la domination impériale extérieure, l’espace est sur-codifié.
Lenteur et politique ne conduisent pas pour autant à une froideur généralisée. C’est même là le véritable sujet du film : La protagoniste doit parachever son initiation en assassinant un homme qu’elle a aimé, laissant son sens de l’obéissance et sa parfaite maitrise des armes supplanter ses sentiments.
On comprend que la distribution française ait gardé le titre anglais, car il permet de féminiser ce nom qui n’a pas son équivalent chez nous : l’assassin. Féminin, le récit l’est par ses protagonistes, sa grâce et sa sensualité, notamment par un motif qui le structure : l’étoffe, et qui nous renvoie à la beauté de Ran ou de Kagemusha sur certains plans. Des voiles qui protègent les amants aux costumes chamarrés (il faut tivraiment rendre grâce à cette photo qui fait jaillir avec un éclat unique le jaune d’or des drapés ou le carmin des broderies), des loups qui occultent, tout est affaire de dévoilement : des sentiments, de la violence aussi.
Fugaces, les combats déchirent l’écran et s’enfuient souvent hors champ : ils disent l’inaccessible au commun des mortels d’un rythme fondé sur l’immédiateté, portés par un travail redoutable sur le son de l’arme blanche qui fend les airs.
L’apprentissage se fait donc à rebours : en écoutant son cœur, Nie Yinniang va rétracter sa lame, et se contenter d’une entaille dans l’étoffe de ses adversaires : un trait d’une vivacité imparable, qui laisse sa marque mais permet d’en survivre : un geste en adéquation avec l’initiation au regard imposée par le maitre cinéaste.
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Privé (Le) - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 12 Avr 2016, 05:30

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Taquin cherche son chat.

Le privé, c’est deux retrouvailles : celle de Marlowe, bien sûr, qui croise forcément la route de tout cinéphile averti un jour ou l’autre ; mais aussi, plus original, le retour aux sources de la carrière d’Elliott Gould, un comédien que les spectateurs assidus de Friends peuvent avoir le sentiment de connaitre personnellement tant il excelle en père relativement abruti de Monica et Chandler.
La combinaison est parfaite : la nonchalance du privé alliée à une époque qui ne lui sied plus vraiment génère un humour à la saveur singulière. Marlowe parle à son chat, refuse poliment les avances de ses voisines, hippies topless qui passent le film à s’étirer au soleil sous l’influence de substances diverses, et garde sa cravate en toutes circonstances.
L’humour l’emporte d’ailleurs clairement sur l’intrigue, assez convenue, qui voit converger deux enquêtes apparemment indépendantes, se complexifiant à mesure que le détective s’y embourbe. Chez Altman, on l’a souvent constaté, il est avant tout question d’atmosphère : c’était déjà sa façon de traiter le western dans John McCabe, ou le thriller psychologique dans That Cold Day in the Park. Le privé fonctionne grâce à ses personnages, et une époque parfaitement restituée, que PT Anderson a lui-même explorée récemment dans Inherent Vice : dans ces milieux divers, où se croisent mafieux, auteurs alcooliques et épouses délaissées, la satire le dispute à l’enquête, et l’on capte avec authenticité une époque instable, gentiment défoncée et en mal de repères. Avec ce regard presque documentaire qui le caractérise, Altman instaure d’assez longs dialogues, spontanés et justes, qu’on investisse une prison ou la crise d’inspiration d’un écrivain dans sa villa en bord de mer.
De ce mélange assez étonnant entre polar et farce assumée surgit la tonalité unique du film. Marlowe réplique avec acidité face aux beignes qu’on lui assène, finit à moitié nu dans une réunion grotesque avec la mafia locale (dans laquelle le tout jeune culturiste Schwarzenegger fait ses premiers pas) et résout une intrigue qui semble l’avoir depuis le départ dépassé.
Un œil avisé, un comédien génial, une époque singulière captée avec justesse : quelle que soit l’intrigue, tout polar respectant ces critères devient une petite pépite.
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Comment c'est loin - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 15 Avr 2016, 06:00

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Les oisifs se lâchent pour se nourrir

Sur 2010, Orelsan nous balance cet autoportrait :

J’viens d'Caen, ça s’entend, j’ai l’accent Bas-Normand
J’parle lentement, j’ai un coup d'barre depuis mes 14 ans

Comment c’est loin peut être considéré comme la mise en film de cet instantané.
Ceux qui haïssent le bonhomme y trouveront du grain à moudre.
Mais pour peu qu’on affectionne ce poète loser, le film est aussi attachant que savoureux.
Orelsan, c’est la version 2.0 de l’oisif : médiocre, anesthésié, sans motivation, bien mieux connu depuis qu’il devise sur son inaction dans Bloqué avec son comparse qui l’accompagne aussi dans cette aventure cinématographique. Le projet est glissant : intrusion du romanesque, nécessité d’une intrigue, recours à des personnages secondaires et dilatation pour tenir 90 minutes sont autant de pièges faciles.
Sur ces points, le rappeur s’en sort avec les honneurs. Certes, on n’évite pas un certain formatage dans la dynamique générale (exposition – crise – résolution), mais on comprend bien vite que l’essentiel est ailleurs. Le jeu des deux protagonistes, l’écriture assez efficace des seconds rôles (le directeur de l’hôtel, le black venu de nulle part, la copine antiglamour et surtout le pote « comédien »), la capture d’un quotidien provincial où l’on s’invente des destins à plus grande échelle génèrent un mix entre VDM et Groland.
Les petits détails fourmillent, et même si l’on sent de temps à autre l’accumulation d’idées rassemblées un peu artificiellement, l’écriture garde une cohérence : à l’image du discman tombant dans une flaque d’eau, de la séquence où l’on gonfle un pneu vide, voire de la supercherie sur les faux SMS et de la façon dont elle se termine, obéissent à la même logique : une chute qui destitue, tourne en dérision et proclame la victoire de la médiocrité.
C’est surtout dans l’écriture que les énergumènes excellent : que ce soit dans la justesse avec laquelle il évoquent la glande, dans les vannes, dont certaines très drôles, les répliques fonctionnent. Les passages chantés sont eux aussi plutôt séduisants, et l’accès au work in progress est probablement ce qui donne le plus de saveur au récit : les voir tenter des punchlines, rater bien des tentatives, accumuler des débuts stériles comme dans cette séquence dans l’abribus, avant de voir surgir une ébauche de sens a quelque chose de parfaitement réjouissant.
Bien entendu, la mise en abyme finale peut sembler facile : écrire sur le fait qu’on ne parvient pas à le faire et se diriger vers une apologie de la musique est pour le moins éculé. Mais c’est bien là le projet d’Orelsan depuis le début, et la lucidité avec laquelle il se regarde le nombril, bien loin des clichés égotistes généralement à l’œuvre dans le rap, est ce qui fait de lui un artiste attachant, que ce soit dans sa musique ou dans ce film.
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Livre de la jungle (2016) (Le) - 6/10

Messagepar Nulladies » Ven 15 Avr 2016, 06:01

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Fast & Curious

Le nombre actuel de projets d’adaptation « live » est un signe du temps : puisque l’animation a atteint un degré de perfection excédant largement le cadre de l’animation, autant prétendre faire un film à l’appellation pour le moins fallacieuse, puisque nous n’avons ici qu’un seul acteur sur fond vert.
Au vu de la liberté générée et de la qualité du rendu (fourrure, eau, végétaux, expression faciales, plus rien ne semble montrer les limites de la CGI), l’idée est défendable. Quand le réalisateur d’Iron Man prend les commandes de Mowgli on est en droit d’avoir des craintes.
La surenchère redoutée n’est finalement pas omniprésente. On sent bien quelques arrangements avec le scénario pour nous en mettre plein la vue, avec de nombreuses scènes collectives, au point qu’on se croit de temps à autres face à l’arche de Noé. Le mouvement général est bien maitrisé, autour d’une dynamique fondée sur la course : le long des troncs, dans les ravins (dont une séquence renvoie de façon un peu trop claire au Roi Lion), dans la savane, le jeune enfant agile détale et la caméra prend plaisir à le suivre avec fluidité. Certains combats sont un peu épileptiques et manquent de lisibilité, et deux scènes maitresses, la poursuite du roi des singes en mode King Kong et le combat final n’échappe pas aux pesanteurs de rigueur dans les blockbusters. Le film accuse aussi quelques longueurs, mais qu’on peut mettre aussi à son crédit pour équilibrer par certains dialogues une incarnation des personnages ponctuant les séquences d’action.
La principale frustration, si l’on compare cette version au chef d’œuvre original de 1967 comédie, provient de la dimension comique, clairement réduite ici. Baloo nous fait certes un petit revival de sa chanson fétiche, mais ses apparitions sont clairement sacrifiées à l’action plus générale, voire épique, ce qui nuit un peu au divertissement enfantin.
On saluera l’ajout d’une idée assez intéressante : celle de l’instinct humain de Mowgli le poussant à créer des « astuces », opposées au monde des animaux. D’abord réprimandées, ces ébauches de civilisation (ramasser l’eau avec une écuelle, faire de lianes des poulies) pimentent le récit de trouvailles, et seront l’objet de l’émancipation de l’enfant.
Rien de bien révolutionnaire, donc. Le livre de la jungle version Favreau est une nouvelle étape dans la perfection toujours croissante des effets numériques, qui ont le mérite de rester la plupart du temps au service d’une histoire plutôt attachante.
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Room - 6/10

Messagepar Nulladies » Lun 18 Avr 2016, 06:21

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Towards the within

Se faire un avis sur un film prend généralement les trois premiers quarts d’heure : on fait connaissance, on saisit les enjeux, les choix, on adhère ou non. La plupart du temps, le diesel est lancé et la suite ne fait que confirmer ce qu’on avait commencé à formuler auparavant.
Room échappe beaucoup à cette logique : le visionnage est une succession de montagnes russes oscillant entre ses indéniables qualités et ses défauts tout aussi indiscutables.
Récit d’une séquestration, le film commence évidemment sur le principe du huis clos, en optant pour le point de vue de l’enfant né en captivité. Cela génère une forme de naïveté sur les conditions de vie, et un apprentissage biaisé du réel qui ont pour réel intérêt leur caractère insolite : le dehors de la pièce n’existe pas, n’est qu’une illusion générée par la télévision.

La suite contient des spoils.

La relation fusionnelle avec la mère et l’organisation de l’évasion nous livrent un thriller d’assez bonne facture, mais cette tonalité a le mérite de n’être qu’une étape d’un récit plus ambitieux, celui de la naissance au monde extérieur. Lenny Abrahamson observe minutieusement ces premiers pas, et les accidents qu’ils provoquent. La principale qualité de son regard provient de sa pudeur : à grand renfort d’ellipses, il évoque ce qui aurait pu faire l’objet d’un pathos démesuré : le regard du grand père sur l’enfant né d’un viol, l’ouverture au monde par la grand-mère et sa tendre patience, et surtout, le portrait d’une jeune fille devenue mère et en proie à ses démons. De la prison à la maison parentale, la cellule se recrée, par un jeu sur les niveaux, le sous-sol, les barreaux de l’escalier, dans des prises de vues à la symbolique un peu scolaire, mais souvent juste. Une séquence particulièrement intense, celle de l’interview avec la journaliste, renverse les perspectives et dévoile la folie latente d’une femme fusionnelle avec celui qui l’a fait tenir mais qu’elle a enfermé aussi avec elle. Cette reconquête, le temps des reproches et ce lent chemin vers l’apaisement, dévoilés par touches successives, sont souvent d’une grande pertinence, aidée par des personnages secondaires (Joan Allen, la grand-mère, mais aussi son compagnon, suffisamment neutre émotionnellement pour pouvoir injecter de la normalité dans ce foyer) tout aussi convaincant que le duo de comédiens de haut vol formé par Brie Larson et Jacob Tremblay.

Voilà de quoi s’incliner. Mais c’est sans compter deux éléments proprement insupportables, qui viennent à intervalles régulier ruiner la subtilité générale : la voix off et la musique. La première consiste à donner la parole à l’enfant (surlignée par un effet d’écho des plus irritants, pour bien signifier qu’elle est extradiégétique) qui nomme naïvement les enjeux déjà pourtant clairs à l’écran. C’est lourd, poussif, et nous prendre vraiment pour des imbéciles. La deuxième opère exactement sur le même principe : expliciter les émotions, nous servir la petite soupe de la fausse innocence au début, puis le lyrisme pompier des grands moments. Cette laque indé, déjà irritante dans les débuts de Mommy, calquée sur une sorte de Sigur Ros du pauvre, puis carrément sirupeuse, conduit le film, dans ses extrêmes, à la grossièreté de Last Days of Summer, ce qui est une véritable insulte à l’intelligence dont il sait souvent faire preuve. Dommage, il est pourtant à défendre.
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Bad boy Bubby - 8/10

Messagepar Nulladies » Lun 18 Avr 2016, 06:23

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Dieu est une fureur de chamane.

Bad Boy Bubby commence d’une façon tellement glauque qu’on se croirait dans un film néerlandais, voire chez Lars Von Trier : le quotidien d’un grand enfant de 35 ans séquestré depuis sa naissance par sa mère qui lui fait croire que l’extérieur est irrespirable, et l’éduque à coup d’insultes, en le frappant ou couchant régulièrement avec lui.
C’est éprouvant, sombre, grotesque aussi : Bubby ne connait rien du monde, ne maitrise pas vraiment le langage et se contente de faire des expériences avec son chat qu’il va finir par étouffer comme sa mère et son père revenu désordonner la cellule perverse et accidentellement en ouvrir les cloisons.
Le récit s’attache donc principalement à confronter notre Rain Man souillé au monde extérieur. Les premiers contacts en font un univers décadent, qui ne semble en rien compenser l’horreur de l’incarcération.
Alors qu’on se prépare au pire dans une fable noire qui ne proposerait pas une once de rédemption, le film prend discrètement son envol : le regard décalé que pose le protagoniste sur le monde va permettre la mise en place d’un curieux cercle vertueux : Bubby ne juge pas, n’en ayant pas les capacités, et boit littéralement les paroles de ceux qu’il croise. Ces derniers, échantillons panoramique de l’humanité, commencent par aboyer, puis s’étonnent, et enfin écoutent l’illuminé.
Car c’est bien dans le rapport au langage que se joue toute la singularité du personnage : procédant par mimétisme, Bubby écoute, intègre et régurgite les répliques qu’on lui assène aux interlocuteurs suivants. Cet effet de décalage crée une partition en écho particulièrement bien écrite, et une circulation des idées, une recontextualisation de certaines saillies (comme Fuck God, par exemple) qui prennent un sens nouveau.
L’ascendant de Bubby devient dès lors une évidence : sorte de messie, à l’écoute permanente et dispensant de cryptiques aphorismes, il excellera dans les domaines où l’homme expérimente les limites du langage inféodé au sens : la musique, et la langue entravée des handicapés.
Parachuté sur une scène de concert, le personnage débite ses phrases entendues çà et là, à la manière de mantras prophétiques qui transforment le génial Nicholas Hope en une sorte de Nick Cave : cette scène, cathartique et puissante, est la plus belle du film, et annonce la métamorphose dans son éveil à l’humanité : prendre, redistribuer, susciter un enthousiasme, au sens étymologique du terme, à savoir un souffle divin.
Des abysses de la cruauté humaine à la rédemption par une modeste vie commune, Bad Boy Bubby remporte un pari de taille : nous émouvoir de ce qui est à la porté de tous. Car le miroir déformant de cet étrange chamane a permis une relecture salvatrice de ce qui fait de nous des hommes.
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Threads - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 18 Avr 2016, 06:24

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Nuclear Winter is coming

L’apocalypse nucléaire est l’un des grands fantasmes du cinéma, qui, comme tout art d’expression populaire, retranscrit les angoisses de son temps. En 1984, la BBC commande ce téléfilm qui sur bien des points reprend La Bombe de Peter Watkins, formidable faux documentaire sorti 20 ans plus tôt.
La bombe atomique est généralement dans la fiction le paroxysme dramatique, une fin après laquelle on ne voit rien, ou une menace qu’on va entreprendre d’éradiquer. Threads fonctionne totalement en contrepoint : par une esthétique documentaire, le film suit une famille banale dont la vie (une jeune fille tombe enceinte et décide donc de se marier) occupe les trois premiers quarts d’heure du récit, avec en toile de fond, via la presse ou la radio, des échos de plus en plus insistants sur l’actualité internationale.
De ce point de vue, Threads est le complément indispensable à l’autre chef d’œuvre sur la guerre nucléaire, Point Limite. Quand ce dernier se situe dans la War Room et montre les dirigeants face à ce terrible recours, Threads est filmé à hauteur d’individu, de citoyen. Les gens vivent avant de mourir, et ne sont pas de simples figurants sur la carte géopolitique internationale. Le spectateur suit les victimes, s’identifie et prend la mesure de ce que signifie la menace atomique.
Car le film se veut le plus informatif possible. S’il a recours à la fiction, c’est pour donner des noms et des visages aux victimes. Mais là où un film conventionnel aurait tout misé sur le pathos, Threads opte pour un traitement résolument documentaire. On insiste beaucoup sur l’organisation préventive, sur les mesures en vigueur (pour mieux montrer à quel point tout cela n’a plus grand sens après l’explosion), les messages diffusés à la population, avant de passer à la voix off et aux cartons prospectifs sur ce que serait l’hiver nucléaire. Cette froideur de ton, ce découpage abrupt est la grande force du film : parce qu’on donne du crédit aux chiffres avancés, l’illustration par les scénettes relève de la démonstration tout en prenant la chair de personnages auxquels on a pu s’attacher.
La prospective finit par s’emballer, et les ellipses se multiplient jusqu’à imaginer la décennies suivant les attaques : éveiller les consciences passe aussi par cette exploration minitieuse des conséquences sur les retombées, les radiations, et le retour à un âge quasiment médiéval du pays, jusqu’à un appauvrissement du langage et une société ou règnerait une loi de la jungle, mais devenue empoisonnée jusque dans son sol.
Par l’horreur, le désespoir et l’effroi, ces deux heures auront parfaitement illustré la fameuse phrase prononcée par l’une des manifestantes accusées d’être à la solde des russes : « You cannot win a nuclear war ».
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Ali - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 18 Avr 2016, 06:26

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Keep impact

Il manquait à la palette éclectique de Mann le biopic, genre dans lequel les américains sont capables du pire comme du meilleur. Sur le même principe de construction que pour Révélations, il monte un puzzle au départ assez disparate, avant que ne s’assemblent les fragments dans une dynamique au long cours.
L’entrée en matière n’en reste pas moins pesante, voire déconcertante. Etirée inutilement, notamment par des passages musicaux à la longueur déraisonnable (procédé qui reviendra régulièrement tout au long du film), fragmentaire entre plusieurs époques et enjeux (le sport, la ségrégation, les figures politiques…), elle clame un peu trop haut et fort la singularité de traitement par Mann.
Il n’en reste pas moins que celle-ci sera le plus souvent au bénéfice du projet, à rebours de la tonalité généralement hagiographique des biopics. La distance est un élément clé, et Will Smith, très convaincant, l’a fait sienne dans son jeu. Mann décrypte le personnage davantage qu’il n’admire la personne, notamment dans sa forfanterie, ses saillies verbales en contradiction avec la peur qui peut se lire sur son visage face à certains de ses adversaires. Le personnage secondaire de Bundini, interprété par Jamie Foxx, en est un autre exemple, sorte de gourou de pacotille qui profère de grandes phrases mystiques tout en cédant à la drogue, allant jusqu’à revendre la ceinture du champion pour ses doses. Ali était un être de langage et frappait autant avec les mots qu’avec les poings : le film insiste à raison sur cet aspect, faisant de lui une sorte de slammeur, un entertainer hors pair, notamment dans ses duo avec le journaliste Cosell, (Jon Voight assez méconnaissable), opérations de communication comme seul la télé américaine sait en écrire. Mann capte avec une grande finesse l’impact du boxer : sur les foules, certes, par un parcours méticuleux parmi les visages constellant l’assistance, ou la liesse lors de son arrivée en Afrique, mais surtout sur les journalistes, lors de nombreuses conférences de presse : leur rire, leurs provocations, les répliques dessinent une stimulante cartographie des sixties américaines et de leur effervescence.
Car Ali est un film profondément politique. Islam, droit civiques, média, Vietnam, incorporation convergent vers la figure du « champion du peuple », qui s’oppose au Gouvernement mais peine à déterminer sa place face à divers groupes d’influence. Aux débuts laborieux succède une alchimie convaincante, mêlant sport, société et vie sentimentale sur un montage ambitieux et souvent pertinent : Ali s’enflamme pour sa cause comme pour ses épouses successives, et règle ses comptes sur le ring.
On en oublierait presque qu’il s’agit d’un film sur la boxe, un des terrains de défi pour cinéaste : secondé par le chef op Emmanuel Lubezki, Mann expérimente : montage nerveux, caméra embarquée préfigurant la GoPro, vue d’ensemble et très gros plan : toutes les techniques sont convoquées pour honorer la fameuse danse du papillon, admirablement menée par Smith. Plus de vingt ans après Raging Bull, le septième art a encore quelque chose à dire sur ce sport.
S’il ne déroge pas à la règle traditionnelle du combat dont la victoire incertaine permet l’apogée du film, Mann remporte une autre mise : celle d’avoir dressé un portrait complexe avec distance et empathie, miroir d’une époque et d’une identité toujours difficile à appréhender : celle de l’Amérique.
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Black Cat (The) - 8/10

Messagepar Nulladies » Mer 20 Avr 2016, 05:25

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Honnie soit qui mâle y panse.

Il suffit de quelques plans pour retrouver tout l’esprit de Shindo, celui à l’œuvre dans le chef-d’œuvre Onibaba : les herbes hautes, la violence, les visages luisants de l’homme esclave de ses pulsions, et le fameux duo fille & belle-mère.
La différence, de taille, se situe dans le registre abordé : le fantastique est ici le point de départ du récit, puisque les deux femmes sont assassinées dès la séquence d’ouverture, et se réincarnent sous la forme humaine mais avec l’esprit de chat pour se venger de l’engeance des samouraïs. Shindo prend un malin plaisir à faire durer la deuxième exposition, qui détaille le mécanisme par lequel les complices attirent les proies : la jeune joue à la victime perdue dans la forêt, la belle-mère accueille chez elles, feint de récompenser le guerrier en lui offrant sa bru, ce qui conduit le mâle sur l’autel du sacrifice.
L’ambiance nocturne, la souplesse discrète des femmes, les pas de velours, une queue de cheval qui bouge et quelques sauts silencieux suffisent à suggérer, avec une grande économie de moyens, l’atmosphère enchanteresse et maudite.
La musique, à nouveau fondée sur les percussions, accentue ce sentiment de pénétrer dans un monde hors temps. Le cadrage sur les architectures, les fumerolles au sol et le visage impassible des mantes religieuses achèvent de déréaliser l’atmosphère.
Mais The Black Cat ne se contente pas du fantastique : sur ce schéma sanguinaire, exactement comme dans Onibaba surgit l’amour et le désir en contradiction avec l’ordre représenté par la mère. L’ironie tragique veut que la future victime soit le fils et mari, devenu samouraï contre son gré. Retrouvailles et deuil, affrontement et fusion des corps viendront dès lors torturer les protagonistes. L’engagement des femmes chat, en opposition avec tout sentiment humain, contribue à pervertir toute possibilité de rédemption.
Comme souvent dans le cinéma japonais, de l’alternance contrastée entre l’âpreté, la violence et la sensualité surgit une esthétique singulière. Dans un univers imaginaire jaillissent des saillies violemment authentiques, et c’est le plus souvent sous la contrainte que les êtres expriment le mieux leur humanité. La mère condamnée au silence et qui pleure de devoir affronter son fils. Ce dernier, devenu guerrier malgré lui, et que l’empereur charge de tuer le monstre qui n’est autre que l’amour de sa vie. Celle-ci, enfin, qui rompt le pacte et se condamne à mort pour pouvoir, sept nuits durant, retrouver l’amour.
Comme souvent chez Shindo, il ne faut pas attendre du dénouement un retour à l’ordre ou une possible rédemption. Après tout, le forfait tristement banal commis par les hommes en ouverture est à l’image de ce qu’on peut attendre de l’humanité : seule la mort et l’irrationnel semblent à même de répondre à cette horreur qu’est le bas monde.
Restent le silence, une architecture calcinée et l’effroi. Mais des souvenirs surgissent un autre attribut proprement félin : la sensualité et la douceur, coups de griffes salvateurs dans la nuit noire.
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Kalifornia - 3/10

Messagepar Nulladies » Mer 20 Avr 2016, 05:26

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Blabla carnage.

Quand j’étais gamin, j’étais abonné à Première, et il y avait des petites affiches de ciné qu’on pouvait détacher, et que je mettais sur les murs de ma chambre. C’est devenu une extension de ma culture, et comme mes ressources étaient à l’époque limitées, j’avais tout un tas d’affiches de films que je n’ai jamais vus.
Dont Kalifornia.
Lors de sa récente réédition en Blu-ray, le film me semblait donc familier, et il fallait bien que je m’en fasse enfin une idée.

Bon, n’y allons pas par quatre chemins, c’est plutôt tout pourri, mais un peu amusant tout de même, notamment pour l’éclairage qu’il apporte sur des comédiens alors à l’aube de leur carrière. David Duchovny en petit roquet à boucle d’oreille et Brad Pitt en tueur en série redneck, Juliette Lewis en répétition générale de ce que sera sa poussive prestation dans Tueurs nés l’année suivante : le couple de gentil a le charisme d’une évacuation de bidet, tandis que les méchants ploucs se disputent le titre de la prestation de l’année aux razzies.
L’intrigue est digne d’un vendredi soir sur TF6 : un écrivain fait le tour des lieux investis par les plus grands tueurs d’Amérique pour en faire un bouquin, et fait du covoiturage avec, je vous le donne en mille, un tueur psychopathe.
Tension.
Fracture sociale entre l’écrivain et les bouseux.
Voix off mode film noir.
Esthétique vaguement poisseuse dans l’esprit U-turn, caméras rivées au parechoc, poussière, maisons abandonnée sur un site d’essai nucléaire, massacre à coups de clubs de golf, tout ça.

C’est éculé, poussif, absolument tout sauf thrilling, et particulièrement pénible dans son incapacité à finir : comme dans les très mauvais téléfilms, le méchant mais 8 ans à mourir (quelle résistance à tous ces objets contondants Dieu du ciel !), et à la fin, ben c’était cool quand même cette petite histoire parce que tout le monde sait (mode Réflexion philosophique on) qu’un écrivain ne peut pas parler des tueurs sans en avoir fréquenté ni avoir lui-même mis à mort un de ses prochains (mode nauséabond off).

Bon, voilà, deux heures de perdues.
Next.
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Gaucher (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 21 Avr 2016, 05:33

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Rebel under applause.

Le gaucher, c’est l’irruption d’un personnage hors norme dans le cadre jusqu’alors assez rigide du western, qui a souvent privilégié des enjeux plus larges et des thématiques plus amples que les contradictions d’un individu.
Billy the kid pourrait dans les premières séquences faire penser au Lennie de Steinbeck : un sourire d’enfant, une façon irraisonnée de vivre les événements, incompatible avec la brutalité du monde. Lorsque la figure du premier père est abattue, le jeune homme perd à la fois l’innocence et la raison, sans se départir de sa juvénile approche du réel. Penn restitue une errance un peu idiote, assez proche de la jeunesse wasp de la fin du XXème siècle, où l’on agit sans réfléchir, avec le divertissement pour seul horizon.
Paul Newman, solaire et torturé, habité, s’écorche avec toute la splendeur des grands personnages : c’est avant tout sa fêlure qui contribue à son aura.
L’un des grands intérêts du récit repose aussi sur la construction de la légende, en cela assez proche de ce que sera Bonnie & Clyde : outre une sympathie plutôt assumée pour la figure du hors la loi, Penn étudie la figure, son baptême par la presse et les livres écrits, ironie du sort, sur un héros analphabète. A la fois grisé et miné par ce statut, Billy vit les déchirures d’une star involontaire, incapable de rester dans le cadre, en témoigne cette très belle séquence où on lui demande, pour une photographie, de rester immobile durant trente secondes.
Le western se complexifie, et les figures manichéennes se craquellent : il ne s’agit plus d’appartenir à un camp, mais de savoir, en tant qu’homme et non en tant que personnage, évoluer vers des concessions et une maturité qui permettront aux actes d’être moins radicaux. Le thème du pardon, de l’amnistie, ou du rappel à la loi hantent ainsi les liens du protagoniste avec son entourage, et les rapports avec Pat Garrett délimitent un nouveau rapport au père tout à fait passionnant.
En adoptant le point de vue du jeune inadapté, Penn crée une empathie singulière : le monde est violent, les rapaces y sont légion, à l’image de la figure de Moultrie, le biographe qui semble annoncer le formidable personnage de Beauchamp dans Impitoyable.
C’est là un des grands apports du cinéma de Penn : ce lien ambivalent au personnage, cette alliance entre distance critique et compassion, voire tendresse. Sur ce registre, Newman excelle, et le western peut se hisser au niveau de la tragédie, dans laquelle la fougue de la jeunesse, qu’on retrouvera dans Butch Cassidy et le Kid, rencontre irrémédiablement le mur de la raison, les sourires du jeu se figeant sous les pluies plombées du réel.
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