L'Année du Dragon - Michael Cimino (1985)
"This not the Bronx, or Brooklyn. Not even New York. Chinatown White can be very easy or very hard."
Dans la chronologie de la filmo de Michael Cimino,
L'Année du Dragon fait figure de rédemption après l'échec du pharaonique
La Porte du Paradis, un tel gouffre qu'Hollywood ne lui pardonnera pas complètement encore aujourd’hui, entre les cinq ans qui séparent ces deux films se cachent pas mal de travail en tant que ghost-writer sur des films comme
The Rose qui auront permis néanmoins a Cimino de garder un pied dans l'industrie, jusqu'au jour où le nabab Dino DeLaurentiis vient frapper a sa porte pour adapter un best-seller sur l'univers des triades aux Etats-Unis, après pas mal de réticences (il n'aime pas vraiment le livre et surtout son point de vue qu'il juge artificiel) et l'assurance de pouvoir réécrire le film comme il l'entend, Cimino accepte (en sachant que derrière c'est l'occasion de faire de manière détournée un projet de western sur les asiatiques a l'origine de la création des chemins de fer au Far West, il en sera fait d'ailleurs mention au court d'un dialogue) et se retrouve de nouveau derrière une caméra mais en devant prendre sur lui qu'il s'agit d'une commande. D'ailleurs sa plus grande peur était son relatif malaise de devoir tourner dans un environnement urbain et de se tenir a un genre qu'il n'a jamais abordé de près ou de loin, pourtant il va réussir non seulement a s'adapter mais a réaliser pour moi son plus grand film, une œuvre lucide et passionnante sur la thématique majeure de son œuvre : l'importance des communautés au sein de la nation Américaine après 200 ans d'existence. En choisissant la communauté asiatique, Cimino a pris le risque de dévoiler une vérité qui n'a pas plu a la presse américaine, celle d'une société qui a choisi de vivre comme si elle n'avait jamais quitté son pays d'origine : tout le monde parle chinois, joue au mah-jong dans des caves, dort a plusieurs dans des appartements insalubres et bien sur possède son propre réseau criminel qui a réussi a durer pendant des années par sa discrétion (comme le perso de Stanley White, beaucoup de journalistes ricains ont traité Cimino de mytho car ils pensaient réellement que la triade n'est qu'une pure invention
). Bien au contraire le film est d'une crédibilité a toute épreuve, on sent qu'il y a un vrai travail de recherche où Cimino prouve qu'il est un fin anthropologue, mais aussi dans sa volonté a faire glisser sa caméra dans les lieux les plus secrets de cet univers et de plus jamais le film diabolise ce peuple (ce n'est pas étonnant de voir que le film a été très bien reçu en Asie, même Woo cite volontiers le film comme une de ses influences pour
le Syndicat du Crime), a plusieurs reprises l'on a des exemples de citoyens honnêtes comme le flic infiltré ou l'ouvrier dans la fabrique de soja qui se met a parler d'honneur a Stanley White.
Parlons de Stanley White qui est l'une des raisons pour lesquelles ce film est bien a l'image de son auteur (bien que l'apport du co-scénariste Oliver Stone est loin d'être négligeable), un être arrogant et brutal (mais pas complètement détestable pour autant, aidé par ce sentiment de sympathie qu'évoque naturellement le Rourke des premières années), vétéran du Vietnam qui a développé un racisme jamais voilé envers les asiatiques mais surtout une obsession sur la question de l’appartenance a la nation américaine, ce qui le pousse a un comportement contradictoire : il assume ses origines polonaises mais pourtant il a changé son nom, comme si être Américain voulait dire embrasser forcément le modèle anglo-saxon, or pour Cimino je pense que l'Amérique est avant tout un pays d'idées et certainement pas d'origines. De plus, son trauma vietnamien est exploité a bon escient, White s'est visiblement bien reconstruit en termes professionnels mais peine a avoir des rapports humains normaux avec ses proches et voit finalement son job comme le moyen de gagner la guerre que son pays a perdue. Un caractère obsessionnel qui sera au centre du film et suffit a lui seul d'en faire une grande œuvre, un homme seul contre tous qui va remuer ciel et terre, risquer sa peau et celle des siens au mépris de tout pour affronter ce qui semble une organisation bien trop tentaculaire et sournoise pour être stoppée sans mal, provoquant l'ire de sa Némésis, le distingué Joey Tai (qui d'autre que le trop rare John Lone pour l'incarner) que rien dans son allure désigne comme étant le "grand méchant" de l'Histoire, il sait parler, a fière allure et cache très bien son jeu, a tel point qu'au départ on peine a comprendre tel acharnement sur sa personne, mais c'est a force de provocations de plus en plus intenses que l'affrontement prend des allures homériques, dès lors Cimino en revient au sacro-saint western où le duel final aurait pu garnir n'importe quel grand film du genre avec cette sublime séquence nocturne sur une voie de chemin de fer (d'ailleurs, il est amusant de voir que Cimino a précisément choisi cet endroit pour faire écho justement aux asiatiques morts sur les chemins de fer dont je parlais plus haut). D'ailleurs, quand je dis que l'Année du Dragon est un pur film noir, ce n'est pas complètement vrai, puisque il arrive a injecter des passages qui n'auraient pas dépareillé dans Heaven's Gate par leur ampleur, notamment ce passage absolument superbe dans les plaines thaïlandaises qui sonne un contre-point a ses longues virées étouffantes dans les bas-fonds de Chinatown par ses cadres blindés de figurants et ses paysages magnifiques.
En termes de réalisation, force est d'admettre que Cimino n'a jamais été bridé par son cadre urbain, j'aime beaucoup son utilisation du scope notamment dans les intérieurs (l'appartement de malade de Tracy Tzu désigné par le réal himself, offrant le plus beau point de vue que j'ai pu voir de New York au cinéma) et se permet même de sonner un vrai peps a ses rares séquences musclées avec une caméra très vive et une violence qui fait toujours mal, bref il a vraiment compris le truc sans ciller, chapeau. D'ailleurs, j'ai été impressionné d'apprendre qu'une bonne partie du film a été tourné en studio (l'exception qui confirme la règle chez Cimino), notamment pour les scènes de cortège de rue, c'est juste crédible de bout en bout (je crois Cimino sur parole quand il dit que ce new-yorkais de souche de Stanley Kubrick n'a même pas remarqué la supercherie quand il lui présenté son film
). Au final,
L'Année du Dragon dans cette lignée de films de vieux routards des 70's qui ont su trouver le truc pour rester fidèles a eux-mêmes tout en comprenant que le cinéma entrait dans une ère plus commerciale, dommage que par la suite n'ait pas réussi a parler davantage au public car Cimino était encore loin d'avoir tout dit....
10/10