Quand le gong invite Stoker à faire danser ses poings, l’homme ne se fait pas prier. A l’aube de sa retraite, à la fin d’une carrière sans coups d’éclat et poussé vers la sortie par une femme aimante qui n’en peut plus de panser ses blessures, ce dernier combat, il en est certain, est le sien, l’occasion de toucher enfin du doigt la gloire qui lui a toujours échappé. Mais c’était sans compter sur le studio qui l’a placé sur le ring, RKO rime avec série B et film noir, pas vraiment le contexte pour une success story napée de miel. Les gnons seront certes de la partie, mais le pauvre bougre va devoir les endurer, étonnamment pour le meilleur, et tant mieux pour nous, pour le pire aussi bien entendu.
C’est certainement tout le panache de cette bobine énergique qui, tout en consacrant la moitié de son temps d’antenne aux échanges de bourre-pifs, est avant tout un portrait d’homme on ne peut plus touchant parce qu’il est réaliste. Robert Ryan perche son charisme au sommet de sa stature filiforme pour rendre on ne plus réel son personnage de fort tempérament qui ne courbe jamais l’échine. Chacun de ses gestes respire l’expérience, à aucun moment l’acteur ne transparait, c’est bien le boxeur poissard qui encaisse les coups alors qu’il se fait harceler verbalement par une foule en furie étanchant sa soif de sang sans retenue.
Il est assez remarquable de constater qu’en à peine 1h10 de bobine, Robert Wise réussit à ce point à rendre réaliste le couple dont il narre l’histoire par un montage alterné parfaitement rythmé. Deux âmes sœurs qui se tuent à tenter de dompter un rêve américain qui se fait constamment la malle : en un quart d’heure de bobine tout est dit, les seuls enjeux, mais quels enjeux, sont posés. La fin semble presque annoncée alors même que l’intrigue se lance à peine. Et pour cause, l’intérêt du film n’est pas tant le traquenard dans lequel tombe le pauvre Stoker, ni même la moue tenace que lui offre sa femme en guise d’encouragement, mais bel et bien leurs retrouvailles alors même que la douleur cloue le boxeur, fraîchement estropié, au bitume. Culoté de faire des salopards qui l’ont privé de son outil de travail les sauveurs de son couple, et peut-être bien même le coup de pouce qui lui manquait pour partir à la conquête d’une autre vie, celle qu’il a longtemps fantasmé avec sa chère et tendre, sans se donner les moyens d’y prétendre.
Narration vive, mise en scène énergique, photographie brute, très contrastée, et un Robert Ryan magnétique, Nous avons gagné ce soir est une sacrée péloche, de celle qu’on a envie de distribuer à tout son entourage une fois la séance terminée, parce qu’on sait qu’elles ont été des sources d’inspiration pour tout une génération de cinéastes à venir (sans parler du canasson italien, j’ai pour ma part beaucoup pensé à Fat City de Huston qui mérite le coup d’œil si vous avez aimé l’uppercut de Wise).
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