[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Southland Tales - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 06 Mar 2016, 08:31

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The Rock and mole suicide

Œuvre malade, Southland Tales l’est à plus d’un titre. On pourrait s’acharner sur ses symptômes en y voyant l’un des grands ratages cinématographiques du début du millénaire, à l’image du megazeppelin qui l’occupe sur sa fin : une baudruche gigantesque s’effondrant sur elle-même. Et pourtant, de cette catastrophe surgit un souffle tout à fait singulier et attachant.
On peut sans peine imaginer ce qui a conduit Kelly à pareils excès : l’enthousiasme suscité par Donnie Darko, la certitude acquise d’être le nouveau génie de son temps ont sans doute laissé libre cours à une inspiration débordante et très mal canalisée. Il en résulte cette farce apocalyptique, recyclant les thèmes déjà vus auparavant (le voyage dans le temps, la fin du monde, jusqu’à l’œil crevé par une balle) et leur donnant une ampleur maladroite.
Presque rien ne fonctionne véritablement : la comédie satirique est plombée, le montage ne parvient pas à cacher les dizaines d’heures de rushes charcutées. D’apocalypse, il est effectivement question : c’est surtout celle d’un projet trop ambitieux qui cite la Bible et la télé-réalité, fait des incursions du côté d’Enki Bilal à la sauce Moby dans des visions futuristes pour le moins bordéliques.
Tout pourrait être évidemment pris au troisième degré. La longue exposition, particulièrement laborieuse, semble déjà assumer ses manquements : on sent bien le résumé d’épisodes qui n’ont pu être filmés, et, à coup de story board ou d’infographies low cost, une tentative d’explication révélant surtout au spectateur le continent qu’il a manqué.
A partir de là, deux options : fustiger les manques et s’irriter pendant deux heures et demie, ou tenter de déceler les intentions, et se laisser aller à la grâce de séquences isolées.
Le dilettantisme, voire la bouffonnade de certains passages aident à la décontraction : le jeu de The Rock, le contre-emploi assez savoureux de Sarah Michelle Gellar, l’esprit pop du clip interne de Justin Timberlake ou les saillies philosophiques des stars complètement à l’ouest sont autant d’indices sur le sérieux général de l’entreprise, qui pourrait trouver sa quintessence dans l’affirmation suivante (qui, au passage, semble aussi un écho amplifié de ce que disait Donnie Darko de Back to the Future) :
“Scientists are saying the future is going to be far more futuristic than they originally predicted.”
Si le discours supposément parodique fonctionne souvent mal, c’est dans les détails que le film s’en sort : les noms propres, assez géniaux, la façon dont la majorité des enjeux tombe à plat semblent se mettre au diapason de la médiocrité ambiante : le scénario de deux décérébrés devient réalité, les infiltrations des groupes et agents doubles ou triples se multiplient au point de former un mille-feuille indigeste qui à lui seul justifie une tabula rasa généralisée.
C’est là le plaisir et la limite de la trajectoire : on nous l’annonce depuis le début, il s’agira de raconter la fin du monde, et celui-ci est suffisamment imbu et insupportable pour qu’on s’en réjouisse. Reste à déterminer sur quel pied danser. De danse, il est d’ailleurs beaucoup question, corps entrainés dans la mélodie des heures dernières, envol au-dessus d’une ville monde pour être aux premières loges du bouquet final : dans ce dilettantisme, Richard Kelly loge une émotion complexe, ambivalente, mais bien réelle. Gangréné par son énormité, décrédibilisé par toute son imagerie SF (le Fluid Karma, les écrans d’info, les visages grimés) et une CGI absolument atroce, la machine résiste tout de même.
Double fin du monde, donc : de l’univers construit, et de l’œuvre qui devait le donner à voir, et qui subira un échec cuisant, comme s’il prolongeait au-delà du fictif ses obsessions. Tout est récupéré, mal digéré, mais assumé : « Ladies and gentlemen, the party is over. Have a nice apocalypse. »
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Mr Jack » Dim 06 Mar 2016, 21:36

Une des pires bouses que j'ai vu de toute ma vie, ce film.
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You have to believe.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Mer 09 Mar 2016, 05:53

Mr Jack a écrit:Une des pires bouses que j'ai vu de toute ma vie, ce film.


C'est une bonne nouvelle pour toi, t'as dû échapper à un paquet de merdes bien pires.
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Millennium Actress - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 09 Mar 2016, 06:31

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Une trêve : l’histoire du temps.

Il m’aura fallu attendre 4 longs métrages de Satoshi Kon pour trouver la synthèse parfaite de son œuvre, le point d’équilibre qui mette à profit son talent pour les transgressions narratives, les labyrinthes des mises en abymes et sa capacité la plus élémentaire à émouvoir.
Loin des vertiges de Palmiens de Perfect Blue, des délires baroques et hermétiques de Paprika, bien au-delà de la tendresse un peu légère de Tokyo Godfathers, le réalisateur commence par voir ses ambitions à la baisse en terme de récit : il s’agira, ni plus ni moins, que de restituer la vie d’une grande actrice japonaise, d’un homme qu’elle poursuivit toute sa vie avec pour quête de lui rendre une clé, ainsi que celle de son cœur. Un conte, en somme, sous les atours d’une saga traversant les époques et, partant, les genres cinématographiques investigués par les studios nippons, des grands Kurosawa (on jurerait croiser des plans de Ran ou Kagemusha) aux mangas les plus récents, du chambara à la SF.
Sur cette linéarité, narrée par la protagoniste à l’occasion d’une interview rétrospective, le scénariste greffe une forme autrement plus sophistiquée : les auditeurs sont présents dans les flashbacks, faisant cohabiter deux temporalités, celle du récit et celle du souvenir. La distance est donc maintenue en permanence : on voit par exemple le journaliste avec son caméscope dans un palais de samouraïs. Et c’est de ce dispositif, qu’on pourrait considérer comme une coquetterie, que surgit justement l’émotion du film. Toutes les séquences de souvenirs sont autant de tournages potentiels, réduits autour du même groupe de comédiens, adjuvants et opposants, rivale féminine et admirateur transi. La répétition du schéma narratif réitère à l’infini les enjeux, modulant le même motif émotionnel comme celui d’une mélodie universelle dont les variations subtiles s’égrènent au fil des époques.
L’animation épouse parfaitement la fluidité de l’écriture, particulièrement travaillée dans l’art des transitions : une porte, une chute, un panoramique sont les occasions de passer d’une temporalité à l’autre, d’une fiction à un nouveau réel, sans jamais épuiser la formule.
La morale est limpide : la quête aura plus importé que le but à atteindre, qui, somme toute, n’est que la mort. Au sein de cette nostalgie face à la fuite du temps, Satoshi Kon affirme avec maestria l’un des accès à l’immortalité : l’art de conter.
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Box (The) - 6/10

Messagepar Nulladies » Mer 09 Mar 2016, 06:34

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Boite arythmique

Certaines leçons semblent tirées par Richard Kelly après le désastre Southland Tales, lorsqu’il lance The Box : le pitch, tiré d’une nouvelle de Richard Matheson (un auteur majeur, qu’on ne connait malheureusement que par le biais du cinéma, notamment pour son scénario de Duel ou Je suis une légende), est en effet relativement simple : on dépose chez vous une boîte dotée d’un bouton, qui vous permet, au cas où vous le pressez, d’obtenir un million de dollars. En contrepartie, une personne que vous ne connaissez pas mourra.
L’exposition du drame est un contrepoint total à la folie des films précédents : bien ancrée dans la Virginie de 1976, elle semble dans un premier temps une étude de mœurs. On retrouve certains invariants de son cinéma, comme les infirmités ou le rôle important accordé aux parents et au patriarche, notamment par la présence pour la troisième fois consécutive d’Holmes Osborne, véritable colonne du cinéma de Kelly.
Le dilemme et le choix opérés constituent sans doute la meilleure partie du récit : le cinéaste équilibre habilement la décision du couple et ses conséquences morales lors d’un rehersal dinner, nouvelle occasion d’un bain de foule à la steady cam qu’il affectionne tant. Les sourires tristes de Cameron Diaz et les progressifs dérèglements de la chorégraphie sociale mettent au jour une mécanique grippée, une tragédie larvée où l’être humain révèle son immuable égoïsme.
Ce point de départ, ainsi que la dissertation sur les raisons d’un tel test par son instigateurs, suffiraient à nourrir tout un film. Déterminer si l’humanité est capable de tenir compte de son prochain, expliquer en quoi le concept de la box résume sa vie entière (le chez soi, la télé, la voiture, le cercueil), et enfermer les postulants à la fortune dans une autre cage, celle du châtiment final : c’est là déjà tout un programme.
Mais Kelly ne se refait pas et greffe sur cette trame des complots, la Nasa, la NSA, les maîtres de la foudre et une ambiance vintage dans l’esprit des Envahisseurs. La référence autobiographique explique en partie ces excroissances (son père fut effectivement le designer des caméras de la mission Mars Viking Lander dans les années 70), mais n’empêche pas d’empeser l’équilibre général. La tonalité apocalyptique, présente dès Donnie Darko, reprend sa place, et donne lieu à une enquête et une propagation des enjeux initiaux qui les affadissent. S’il était parvenu à se limiter, notamment dans le recours aux effets spéciaux (les passages liquides, notamment, autre constante dans son esthétique), Kelly aurait pu nous livrer une fable plus acerbe, qui marche un temps sur les traces d’Eyes Wide Shut avant de s’essouffler sous le cahier des charges du thriller fantastique. Comme toujours, le scénariste assume cette surenchère, lorsqu’il fait dire à son personnage principal à qui on demande pourquoi tant de mystères : « I like mysteries. Don’t you ? »

Les défauts persistent et les maladresses encombrent ; il n’empêche. Richard Kelly a disparu des radars depuis 7 ans, et ne semble pas avoir de projets. J’aurais volontiers gouté d’autres maladresses de sa part.
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Rambo - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 09 Mar 2016, 06:35

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La mécanique fureur.

Welcome to Hope, indiquait pourtant le panneau d’entrée de la ville.

Le seul Eden, c’est celui du premier plan : une étendue d’herbe ensoleillée sur laquelle des enfants jouent, du linge qui sèche dans la brise venue du lac. Une carte postale.

It's just a quiet little town. In fact you might say it's BORING. But that's the way we like it. I get paid to keep it that way.

Voilà l’Amérique post Viêt-Nam, qui ne demande rien d’autre que de gentiment consommer en ignorant tout du vaste monde dans lequel ses boys ont répandu le sang. Ses montagnes, sa forêt, sa chasse, sa police de proximité.
Et voici John Rambo, la tignasse un peu trop longue, la tronche un peu trop marquée par la barbarie d’un autre monde.
First Blood, c’est l’histoire d’un malentendu, d’une mésentente. Celle d’un pays qui ne sait pas se regarder dans un miroir, d’un homme qui n’a qu’un rétroviseur traumatique devant les yeux, d’un sheriff qui croit représenter la loi et protéger sa communauté.
Puisque vivre ensemble n’est plus possible, puisque le langage est inefficace, puisque de la civilisation, il ne reste que des caves sous néon qui sont autant d’échos de la violence passée, il reste le corps. La fuite. La nature. L’instinct. A la faveur d’un retour à la forêt primale, d’une renaissance par extraction des entrailles de la terre, Rambo laisse la machine folle parler en lui.

In town you're the law, out here it's me.

Ted Kotcheff l’avait déjà brillamment démontré dans Wake in Fright : il n’y a pas de camps, il n’y a pas de coupables : chacun a ses raisons, et au final, c’est l’homme qui se révèle : qu’elle soit apeurée ou qu’elle montre les crocs, c’est la bête qui surgit.
Nul besoin d’exotisme pour trouver les racines du mal : l’Amérique a beau exporter ses machines de guerre, elles finissent par revenir, et quand elles ne s’autodétruisent pas, peuvent finir par dévorer leurs géniteurs.
Puisqu’ils ont versé le sang les premiers (They drew first blood, répète Rambo à son supérieur), la mécanique de la réplique s’engage. Mais la progression du film vers l’action la plus franche (poursuite, cascades, explosions, gunfights, le tout sous les oripeaux d’une BO plantureuse) est d’une mélancolie épaisse. Nulle jouissance par la vengeance, mais l’effroi d’un homme déversant son désespoir sur une société qui le rejette. Tout y passe : la station essence, les boutiques, les devantures : que ce monde qui l’a engendré disparaisse avec lui, dans des gerbes de feu et de plomb.

Dans cette catharsis, une seule issue : celle d’un retour aux mots, d’une occasion enfin donnée de donner la parole à l’enfant qui gémissait jusqu’alors par l’entremise de la poudre. Et des larmes pour l’éteindre, le temps d’une confession qui dit toute l’horreur sur laquelle se construit ce que les citoyens appellent la civilisation.
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Vague (La) - 6/10

Messagepar Nulladies » Ven 11 Mar 2016, 10:35

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Le cercle des girouettes disparues.

Si l’on prend La Vague pour ce qu’il est, à savoir un film assez didactique parce qu’il s’adresse au même public que ses personnages, à savoir des adolescents, on peut lui trouver bien du mérite. De la même manière que Le Cercle des Poètes Disparus saura émouvoir à un certain âge et probablement irriter plus tard, le film peut faire mouche dans la réflexion qu’il propose sur l’hystérie collective et le conditionnement.
La première partie est particulièrement réussie, lorsqu’il s’agit de poser les bases théoriques de ce qu’est l’autocratie. L’exposition démontre sans trop de lourdeurs que le milieu adolescent est une affirmation sans diplomatie du pouvoir du plus fort, dans tous les domaines : théâtre, sport, soirées, sexualité. L’ascendant du professeur, sa maitrise de la rhétorique et la pertinence de ses applications pratiques séduit autant ses élèves que le spectateur. Face au ras-le-bol d’une jeunesse allemande encombrée par un passé d’une lourdeur inégalable, l’enseignant ne se fait pas historien, mais coach du présent. Le montage, fluide et efficace, démontre bien la circulation des idées dans les différentes familles, et la fascination croissante pour ce qui semble être une solution miracle aux problèmes de jeunes souvent en mal de repères. Discipline, cohésion, solidarité sont les piliers d’une nouvelle religion qui suppose des sacrifices et des renversements de situation.
Certes, la distribution des rôles est pour le moins archétypale, de la prom queen destituée au loser devenu soldat performant, et l’ensemble prend la forme d’une dissertation dont on voit certes les coutures, mais qui n’en est pas moins efficace dans sa démonstration.
C’est dans sa volonté de s’acheminer vers une morale que le récit se prend un peu les pieds dans le tapis : déjà un peu plombé par des interludes clipesques rock et punk plutôt dispensables, le pathos l’emporte sur la réflexion théorique. Baston générales, suicide, lynchage, la démonstration s’emballe et peine à convaincre, trop rapide et radicale, caricaturale alors que les échanges en cours étaient réellement plus constructifs. Soucieux de bien montrer les dangers de tout ce qui séduisait de prime abord, le récit détruit tout, de la vie conjugale à la vie professionnelle de l’instigateur du projet, tout comme elle traumatise unilatéralement la jeunesse de façon à éviter toute ambiguïté.
Une telle lourdeur était peut-être nécessaire au vu du public ciblé. On se dit néanmoins que, reporté sur le monde des adultes et traité avec moins de pesanteur, on tenait là de quoi faire un film autrement plus subtil.
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M le maudit - 8/10

Messagepar Nulladies » Ven 11 Mar 2016, 10:37

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Si, c’est un homme.

La matière qui s’offre à l’analyse dans M. Le Maudit en ferait presque oublier au cinéphile qu’il raconte avant tout une histoire. Film charnière dans la carrière du cinéaste, puisqu’il s’agit de son premier parlant, et qu’il ne tardera pas à quitter l’Allemagne dans laquelle la République de Weimar vit ses heures dernières, l’œuvre est l’archétype de ce glissement d’une esthétique installée, celle du muet, vers de nouvelles voies encore à défricher.
C’est probablement la raison d’un certain déséquilibre dans la dynamique générale : une passion pour les débats discursifs, opposant dans une très longue première partie celui des notables et de la pègre, qui se rejoignent sur la nécessité de se débarrasser du meurtrier. La mise en équivalence des officiels et des criminels, jusque dans les raccords de plans, permet la première pierre d’une démonstration audacieuse, celle des distances à prendre avec les motivations du plus grand nombre. C’est là un sujet séminal pour Lang, qui ne cessera d’interroger l’individu et son rapport à la loi, son comportement collectif et sa réaction face aux pulsions, à l’instar de Furie. A ces échanges, par instant un peu longs, succèdent des séquences encore muettes, pour lesquelles on est surpris de noter l’absence de musique, probablement pour mettre en valeur le seul thème qui vaille, le Peer Gynt siffloté par le meurtrier. Là, l’image expressionniste reprend clairement le dessus, et nourrit avec force le désir d’illustrer la terreur face au pouvoir des pulsions : par l’effroi, dans un premier temps, qui règne sur la ville où l’ombre du tueur fait figure de créature de conte, par son ombre et sa présence dans les comptines enfantines. Par la façon, ensuite, dont le meurtrier lui-même se révèle être un homme subissant d’incontrôlables et monstrueux élans. A sa silhouette monstrueuse parce qu’elliptique répond la découverte d’un visage qui sera de plus en plus expressif, sous les traits d’un Peter Lorre habité, et qui révélera avec maestria la tragédie de l’homme malade et possédé.
Dans le sillage de Métropolis, M. Le Maudit est un film d’architecte, un récit dont la ville est le protagoniste principal : celle qui souffre et celle qui meurtrit ; mais à la différence de la fable d’anticipation, l’évocation est ici réaliste : c’est un panorama lucide sur les conditions sociales, la montée en puissance du syndicat du crime qui peut, par bien des aspects, évoquer celle des nazis ; le découpage de l’espace, l’attention portée aux cadrages, aux découpes orthonormées et à l’encadrement de la lumière fait l’objet d’une rigueur obsessionnelle, au cours de laquelle les lieux vont progressivement enserrer le personnage. Le tribunal populaire et criminel qui clôt le récit est en cela révélateur : dans cette mansarde étonnamment exiguë, la foule laisse se propager une haine et une hystérie collective comme seul Lang a su les donner à voir.
C’est donc cette alchimie étonnante – et, reconnaissons-le, déconcertante sur certains aspects – entre la puissance de l’image et la force du discours qui fait vibrer le plaidoyer pour une véritable justice. Fritz Lang exploite l’émotion primale de l’expressionisme et lui superpose un langage porteur de raison : certes, l’appel à l’empathie du bourreau devenu victime se perd sous les huées, tout comme la plaidoirie en sa faveur par son avocat. Mais c’est bien dans ce jeu de contraste entre la masse compacte et bestiale du nombre et de deux prises de paroles individuelles que se joue la définition de ce qui fait de nous des hommes.
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Reservoir Dogs - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 12 Mar 2016, 06:45

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Omniscience fiction.

Il faut 7 minutes et 40 secondes au jeune premier Tarantino pour apposer sa patte unique au 7ème art, au cours d’une séquence dialoguée qui déclare avec autant de fracas que de nonchalance toute sa filmographie à venir. Un groupe d’hommes autour d’une table, le rythme ciselé d’un échange au cordeau, et ce mélange inimitable de vanité, à coups de dissertation sur la pop culture (Madonna et son Like a Virgin ou des vertus du pourboire) et d’une violence latente au vu des lascars en présence. Le spectateur le sait et le sent : à tout moment, un flingue peut s’inviter dans le débat et prolonger la crispation de certains sourires.
La brutale ellipse qui succède le confirme, avec toute la tonalité d’un épilogue : le bain de sang et la supplication prennent le relai, pour un huis clos de gangsters pur et dur, avec son lot d’images éternelles, comme celle d’un homme au sol braquant son rival debout, puis d’un triangle dans les mêmes dispositions, d’une mare d’hémoglobine prenant une place du plus en plus conséquente, de costards cravate et d’une radio diffusant des titres imparables des 70’s.
A ce stade, Reservoir Dogs serait un bon petit film un peu méchant, affublé d’une certaine raideur dans l’écriture volontairement théâtrale et quelques excès dans les aboiements des chiens éponymes.
Seulement voilà, le non moins canin réalisateur, lui-même candidat au rôle de macchabée en sursis, ne va pas en rester là. S’il est conscient de s’inscrire dans une tradition, celle du film de braquage, et de le faire avec peu de moyens, c’est de ces limites qu’il va extraire toute sa force. Du braquage, on ne verra rien, si ce ne sont les conséquences dramatiques et les discussions préparatoires. La construction est en tout point remarquable : alternance entre le huis clos tragique, chaque ébauche de solution conduisant à un blocage supplémentaire, et flashbacks disséminés à la manière d’un puzzle pour donner chair et classe aux personnages qu’on sait condamnés. En résulte un court récit d’une étonnante densité, à l’équilibre ténu, entre hystérie sanglante et discussions à rallonge (sur Pam Grier, notamment, annonçant le futur Jackie Brown), mais toujours pertinent.
Tarantino capte comme personne la complicité un peu vaine et dilettante de ses personnages, et ne cesse d’affirmer son plaisir dans l’écriture : par la dilatation des dialogues, certes, qui prendront plus d’ampleur encore dans Pulp Fiction, mais aussi toutes les mises en abyme sur la fiction. On la voit dans cette recherche effrénée de la vérité, à savoir l’identification de la balance, et les mensonges qu’elles occasionnent, comme le scénario élaboré par Mr Orange pour justifier le meurtre de Mr Blonde, ou cette superbe digression sur ses répétitions pour raconter la parfaite histoire qui lui permettra d’être crédible dans son rôle de taupe. Multipliant les couches narratives (le souvenir, la mise en forme de l’histoire, sa narration et la mise en place d’une séquence de flashback la mettant en scène, lorsqu’il se retrouve face aux flics tout en leur parlant en tant que voix off), Tarantino devise jusqu’au vertige. Et s’il n’existe pas de Mr Red, c’est bien parce que ce patronyme concernera tout le monde : le sang va éclabousser tous les personnages.

Pop et méchant, séducteur et nonchalant, Reservoir Dogs est aussi incisif qu’un rasoir sur une oreille : il dévoile au monde un chef d’orchestre hors pair, qui joue autant avec ses personnages que ses spectateurs. Et ce n’est qu’un début.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Chuck Chan » Sam 12 Mar 2016, 22:16

Sympa ton retour sur la filmo de Kelly. Comme tu dis, c'est un réal qu'on attend depuis quelques années, en espérant qu'il délivre le chef-d'oeuvre qu'il a frôlé avec Donnie Darko.

Tu pars sur un cycle Tarantino ? Si c'est la cas, il commence bien avec ta critique de Reservoir Dogs.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Dim 13 Mar 2016, 11:10

Chuck Chan a écrit:Sympa ton retour sur la filmo de Kelly. Comme tu dis, c'est un réal qu'on attend depuis quelques années, en espérant qu'il délivre le chef-d'oeuvre qu'il a frôlé avec Donnie Darko.

Tu pars sur un cycle Tarantino ? Si c'est la cas, il commence bien avec ta critique de Reservoir Dogs.


Merci ! Oui, j'ai eu envie de redonner sa chance à Kelly, c'était un trip assez sympa finalement... Quant à son devenir, c'est un grand mystère...

Et pour Tarantino, je me refais l'intégrale (sans le dernier, déjà critiqué) , en effet, vous allez en manger au quotidien pour 8 jours ! :mrgreen:
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Pulp Fiction - 9,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 13 Mar 2016, 15:07

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Dédale & hilare

Il est presque impossible de savoir par quel angle attaquer Pulp Fiction, continent culte dont les multiples visions n’épuisent pas la saveur.
Commençons peut-être par ce qui fait sa filiation la plus évidente avec Reservoir Dogs : outre le lien fraternel des Vega, son ouverture : même diner, même conversation, à une différence de taille : si le casse à venir était prévu par la bande dans le premier, celui du second semble découler de l’échange, presque naturellement, et surgit dans un cri enthousiaste et rageur, une action suspendue et presque burlesque qui donne d’emblée le ton. Pulp Fiction, à l’image des feuilletons sur papier de mauvaise qualité dont il s’inspire, va puiser toute son originalité dans ce qui faisait le sel de Reservoir Dogs, mais restait à l’état de saupoudrage : l’humour et la décomplexion. Pulp Fiction, c’est Magnolia dénué de pathos, Short Cuts en plus pop : c’est l’Amérique.
Ici, les discussions deviennent un tour de force, la durée une arme de séduction massive, comme sur ce plan séquence dédié au fameux foot massage, ou le monologue sur la destinée de la montre paternelle. Le sérieux avec lequel on déblatère est l’une des clés de cette écriture chorale : nulle satire, mais une immersion dans les dissertations sur l’adultère, le retour de bobonne à la maison dont le garage est encombré d’un macchabée, la nature des miracles ou les coutumes locales en matière de fast food. Et on y croit. Mia le fera remarquer avec amusement à Vincent, regard lucide et malin de Tarantino sur ses propres personnages :
- They talk a lot, don’t they ?
- They certainly do. They certainly do, lui répondra-t-il.

Revoir Pulp Fiction est un festin : pour le plaisir du jeu des acteurs (en tête desquels le virtuose Samuel L. Jackson, bien sûr, mais aussi le fabuleux Travolta dans un contre-emploi d’anthologie) et l’originalité toujours vivace des situations, certes, mais surtout pour sa structure éclatée. Pour qui connait le film par cœur, c’est un jeu supplémentaire que de suivre ses méandres. Non pour remettre dans l’ordre les pièces du puzzle, mais pour savourer cette omniscience du maitre du temps qu’est Tarantino à l’écriture et au montage. Voir débouler Vincent et Jules en caleçon, connaitre le destin de ce premier alors qu’il termine le film en pleine forme, voir Marcellus en boss intouchable ou en victime procède de cette jouissance infinie des possibles de la fiction.
Car chez Tarantino, tout procède de la supercherie, assumée et revendiquée : il en va du match de boxe doublement truqué comme des fausses pistes qui saturent les trajectoires : alors qu’on s’attend à une idylle illicite entre Mia & Vincent, on doit gérer une OD. Alors qu’on anticipe le clash des boss entre Marcellus et Butch, ils finissent complices, tenants d’un secret comme le seront l’épouse du premier et son chien de garde héroïnomane.
Tout s’emboite et chaque digression, outre sa légitimité isolée, prend place dans un plus vaste ensemble : le monologue sur la montre prend tout son sens dans ce qui aurait logiquement dû être un flash-back, tout comme le chapitre sur The Bonny Situation signe un joli manifeste du cinéaste : au-delà de l’écart pris par rapport à la route originelle, du formidable comique de situation, l’intervention de Wolf (fantastique apparition de Keitel) est une mise en abyme tout à fait jubilatoire de la mise en scène de Tarantino lui-même (qui pousse l’effet de miroir jusqu’à jouer celui à qui bénéficie cette mise en scène, le mari craintif, râleur et passif) : on gère, on chronomètre, on efface, on humilie avec malice les personnages de gangsters, et on crée une illusion.
Pulp Fiction est évidemment la matrice de la filmo de Tarantino : des comédiens sur du velours, une écriture parvenue à maturité et des emprunts divers, qui se préciseront par la suite pour chaque film. On voit avec amusement le katana de Kill Bill comme l’arme ultime, préféré à une tronçonneuse, tout comme la façon dont Mia trace un carré dans l’air, ou encore le personnage de Jules, référence à la blaxploitation qui motivera toute l’écriture de Jackie Brown. On décèle aussi l’enthousiasme débordant d’un réalisateur qui ne peut se résoudre à couper tant il aime ses personnages et le temps qui leur est nécessaire à s’affirmer, et qui peut occasionner certaines longueurs, comme la nuit entre Butch et Fabienne.
Pulp Fiction aborde à peu près tout, et surtout ce à quoi on ne s’attendait pas. Il est notamment question, dans le questionnement existentiel de Jules, d’un miracle, auquel Vincent a beaucoup de mal à accorder du crédit ; le spectateur n’a pas les mêmes réserves : le miracle est indéniablement à l’écran.
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Jackie Brown - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 14 Mar 2016, 06:29

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Une femme soul influence

Coincé entre la virtuosité narrative de Pulp Fiction et l’incandescence visuelle des Kill Bill, Jackie Brown pourrait être considéré comme une parenthèse un peu calme. Moins poseur que ses illustres collègues, plus ciblé dans ses références, c’est un film qui prend son temps et se moque de poursuivre le sillon qui fit la gloire de son réalisateur quelques années plus tôt.

Sur un récit presque linéaire, Tarantino déploie ce qu’il pense pour le moment maitriser le mieux, et qu’il a du trop disperser dans Pulp Fiction : la création de véritables personnages et leurs confrontations à travers des dialogues. Le recours au gros plan est beaucoup plus fréquent, les affèteries moins nombreuses, même si le goût pour les inserts sur des gestes précis reste un tic grâce auquel on reconnait les petites manies de QT. Certes, la référence à la blaxploitation est de mise, mais c’est surtout sur le terrain du polar que le récit se développe, en adaptant Elmore Leonard.
Mais l’écriture a évolué depuis Reservoir Dogs : Tarantino aime ses personnages et le fait savoir : les dialogues sont longs, les visages scrutés avec bienveillance, la garde robe de Pam Grier change à peu près aussi souvent que la couleur des bérets Kangol de Samuel L. Jackson qui s’éclatent tous deux dans l’expression classieuse de leur blackitude imparable.
Si l’intrigue est relativement convenue dans une très longue exposition, c’est bien sur l’échange que fonctionne l’essentiel de la dynamique : au carrefour des différents parti, Jackie Brown traite autant avec les flics que les gangsters et tente en outre une troisième voie qui mêlerait au magot une cerise sentimentale ; c’est ce mélange des enjeux qui fait la saveur du film, et cette primeur accordée à la femme, qui prendra toute son ampleur dans le diptyque Kill Bill. Les rôles secondaires y contribuent aussi grandement à cet équilibre général, puisque tous les personnages ont quasiment la même présence ; De Niro et Keaton s’illustrent dans des contre-emplois d’anthologie, l’un gangster diesel, l’autre flic au regard béat et jouant son rôle avec une candeur déconcertante. A l’autre bout du spectre, la peste Bridget Fonda est parfaite en chieuse ultime, tandis que Robert Forster fait figure de patriarche, voire de double du metteur en scène, par un rôle central de celui qui observe, scrute, distribue l’argent et le collecte.
C’est là que se loge la saveur particulière du film : injecter, au sein d’une intrigue qui ne cesse de se complexifier par les coups doubles ou triples qu’on anticipe, des personnages qui ressentent ; en plus des dialogues, sortes de permutations permettant à chacun des protagonistes de se croiser au moins une fois dans un échange écrit à la perfection, c’est par le recours à la musique qu’on achève de les caractériser, par cet amour du vinyle et de la soul, fantastique playlist dont Tarantino a le secret.
On décèle aussi une nouvelle thématique chez le réalisateur, celle de la vieillesse, que vivent différemment De Niro, Grier et Forster, avec passivité ou hargne, sagesse ou révolte : c’est non seulement touchant et au profit de l’épaisseur des personnages, mais c’est aussi l’occasion d’une interrogation de Tarantino lui-même et de sa cinéphilie tournée vers le passé : réactiver une icône comme Pam Grier, c’est à la fois lui rendre hommage, se désoler de son oubli (toute l’insistance des flics sur la médiocre compagnie dans laquelle elle travaille désormais…) et magnifier cette radieuse quinquagénaire qui coiffera tout le monde au poteau.
Pour toutes ces raisons, la longueur finit par se justifier, tout comme la redistribution, façon Rashomon, de la scène finale en fonction des différents points de vue, et portant à son apogée le rôle de chacun, notamment par le final mémorable entre De Niro et Fonda sur un parking : la médiocrité et l’écriture au cordeau, la comédie et les archétypes, tout se tient inextricablement.
On savait que Tarantino savait raconter une histoire. On découvre qu’il sait maintenant créer de véritables personnages en les parant d’émotions. La suite de sa filmographie ne cessera de jouer sur ces deux atouts.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Mr Jack » Lun 14 Mar 2016, 19:18

T'en parles bien, du coup je suis étonné de la note relativement basse pour un film de cette profondeur, c'est linéaire qu'en apparence parce que ça brasse beaucoup de thèmes en étendant le récit au maximum. Avec la BO d'anthologie et les dialogues de fous, ça en fait à mes yeux le film le plus cool du monde. Y'a rien à jeter dans ce film, pas une minute, malgré les 2h30 (contrairement à Pulp Fiction qui parle beaucoup, voir un peu trop, et qui tire un peu en longueur et s'éparpille un peu dans des délires pas forcément utiles dans la construction narrative principale).
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Kill Bill : Volume 1 - 9/10

Messagepar Nulladies » Mar 15 Mar 2016, 10:37

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Déboires d’une jeune fille branchée

L’autre grand film culte de Tarantino, après Pulp Fiction, ne l’est pas du tout pour les mêmes raisons. Alors qu’il avait explosé à Cannes en 1994 par la maestria de son récit et de ses dialogues, c’est sur le terrain de l’image que le cinéaste conquit désormais la planète. Le cuir jaune, les gerbes de sang, le sabre : une icône se forge et marque l’histoire du 7ème art.

Tout le premier volume de Kill Bill est marqué par cette ambition : imprimer la rétine. Dès la première séquence, les couleurs saturées restituent la maison de banlieue, écrin de la wanabe housewife, des jouets dans le jardin à la pelouse trop vive, du yellow bus aux céréales explosées dans une cuisine capturée dans une plongée mémorable. Du Pussy Wagon aux confins de l’Asie, toute la palette sera exploitée, partition sanglante d’une virtuosité perverse, de l’animation au noir et blanc en passant par la nuit enneigée.

Tarantino sait néanmoins que l’image sera d’autant plus marquante qu’elle accompagnera un véritable personnage. Créer celle qui n’aura pas droit, pour ce premier volet, à un nom, est une entreprise violente. La femme est une victime, qui condense dans ses premières apparitions toutes sa singularité : une mariée, enceinte, une proie au viol à répétition, puis, chez les autres, une housewife ou une infirmière : de cette galerie de clichés, dûment exploités par l’industrie hollywoodienne, Tarantino fait le levain duquel surgiront les tueuses redoutables.

Une fois posé cette condition à l’émancipation, le premier volet opte pour une autre règle : frapper d’abord, parler ensuite. Kill Bill, qui porte pour le moment mal son nom, est un film qui accroît le féminisme déjà bien présent dans Jackie Brown : un règlement de comptes entre femmes, à la tête du talent et du pouvoir. Portraits jubilatoires (avec une mention particulière pour celui d’O-Ren Ishii) dans une galerie imparable, de la jeune psychopathe à la blonde vénéneuse, de la black athlétique à la chef de clan.

Une fois les instruments accordés, Tarantino peut lancer la symphonie : à grand renfort de plans-séquence et de dilatation du temps, de chorégraphies baroques et pléthore de candidats au démembrement. Kill Bill est un mouvement pur et cathartique. Pour parfaire sa geste et l’inscrire au registre des films d’anthologie, le cinéaste opère le syncrétisme parfait, dont on le sait coutumier depuis longtemps, en cinéphile averti, mais qui prend ici une dimension nouvelle.
La seule pause qu’il ménage véritablement dans son récit est celle de l’échange avec Hattori Hanzo, approfondissement du mythe, inscription dans la tradition du chanbara et annonce de ce qui sera approfondi dans le second volet ; c’est aussi la seule intervention d’un personnage masculin positif. Sur cette tradition, Tarantino greffe un mélange des genres unique, un maelström d’influences, du hip-hop au sabre, des ombres chinoises à l’anime. Pour parfaire l’alchimie, le recours à un ingrédient qu’il a toujours maitrisé prend lui aussi une ampleur inédite : la musique devient en effet un protagoniste à part entière. Des titres de RZA à un combat on ne peut plus asiatique (neige, kimono, bruit de l’eau sur le bois d’une fontaine…) accompagné d’un flamenco rock… Le plus improbable se pare de la patte du mythe.

Tradition et rupture : le cinéaste sait ici combiner à la perfection sa cinéphilie, son désir de distraire et les méthodes désormais rodées pour le faire : structure non chronologique, images fortes et pop culture.

La mariée était en sang : il lui reste désormais à véritablement prendre la parole. Wait & see…
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