Hôtel du Nord de Marcel Carné
(1938)
Après les visions de Le Jour se lève et Les Enfants du Paradis, je nourrissais la crainte de ne plus jamais voir un film de Marcel Carné d'une qualité aussi haute. Pourtant, Carné a bel et bien réalisé trois chefs-d’œuvre dans sa vie, puisque Hôtel du Nord s'avère être, à l'instar des deux films précédemment cités, la quintessence même du style du duo Carné/Prévert : une histoire dramatique, où la fierté des hommes amène systématiquement à un destin tragique, le tout magnifié dans une sublime vision de la vie où les discussions du quotidien deviennent des moments précieux. Autant dire que Hôtel du Nord m'a conquis du début jusqu'à la fin, puisque j'y retrouve finalement tout ce que j'apprécie dans le cinéma du duo, qui signe ici une œuvre remarquable et pouvant être difficilement rangé dans un genre précis (il est bel et bien question d'amour, mais on s'intéresse finalement plus aux répercussions qu'autre chose, notamment sur les personnages secondaires).
Du suicide raté d'un couple pour qui la vie ne mérite pas de seconde chance, au destin prenant d'un Louis Jouvet magistral (avec Gabin, c'est certainement l'un des acteurs français de l'époque que je préfère, son regard dans la scène finale veut tout dire), le film est bourré de moments de poésie où les dialogues de Prévert touchent droit au but. Si le style de Prévert peut facilement dénoter dans certains registres, il a rarement été aussi juste que dans ce film, véritable précurseur du travail d'un Jeunet dans la façon de représenter un Paris d'avant-guerre idéalisé (ou presque) et d'iconiser des personnages banals à travers des répliques cinglantes où le bon mot est de rigueur. La mise en scène de Carné, de son côté, ne démérite pas. Le style a beau être simple, il sert toujours la scène filmée. Le choix de tourner le film principalement en studio (superbe boulot de Trauner qui recrée à merveille le quartier) permet à Carné de se donner plus de libertés, notamment à travers des mouvements de grue qui devaient être sacrément complexes pour l'époque. Un grand film, un vrai, et la preuve ultime que Carné est un très grand réalisateur, bien plus à mon sens qu'un Renoir que je trouve beaucoup trop intellectuel. Reste à croiser les doigts pour le reste de sa filmographie, en espérant trouver des films qui approchent de cette perfection.
9/10