[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Ghost dog : La Voie du Samouraï - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 13 Fév 2016, 06:49

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L’ascète samouraï

L’inimitable grâce avec laquelle Ghost Dog se déplace dans la ville résume à elle seule la place de Jarmusch dans le cinéma indépendant américain : présent, mais intouchable, presque inaperçu des autres qu’il évite avec l’habileté chaloupée du connaisseur. Spectre bienveillant, doté d’un code et d’une philosophie d’un autre temps, empruntant les véhicules de luxe, les voies de traverses et conversant au gré des vents et des pigeons qui les traversent.
Ghost Dog est une aberration, un poème finement ouvragé dans une ville en prose, un esprit lettré dans un corps de gangsta. Hors temps, il vit à un rythme qui n’appartient qu’à lui, comme l’ont toujours fait les énergumènes qui jalonnent le cinéma de Jarmusch, qu’ils soient marginaux (Stranger than Paradise), taulards (Down by Law) ou vampires (Only Lovers left alive).
Aux personnages qui l’entourent, voire au spectateur de rejoindre cette lente danse : Forest Whitaker ne parle presque pas, et s’il le fait, c’est aux enfants, ou en citant, en off, les préceptes du Bushido qui dictent sa conduite.
L’insolite mélange des tons, des conversations décrochées aux morts violentes, de la mafia au goût de la glace, fait le charme presque irrésistible du film. Tout repose sur son protagoniste, à qui rien ne résiste, et qui incarne une nouvelle forme de super héros, parvenu à une forme d’ataraxie fascinante.
Chez Jarmush, le cinéma procède par alchimie : c’est la cohésion entre un caractère atypique, une vision (souvent urbaine) et une musique qui déclenche l’hypnotique adhésion du spectateur. La ville, banlieue résidentielle, est à double face, peuplée de lunaires bienveillants le jour, qui retapent des bateaux ou devisent en français sur le plaisir de vivre, livrée à une mafia vengeresse la nuit, partition tragique où le grotesque guette face aux figures tutélaires du genre. Aux commandes du score, RZA livre une copie impeccable et en totale osmose avec l’esprit du film.
On reconnait aussi la patte du réalisateur par les maladresses qui émaillent souvent sa filmographie : quelques insistances et répétitions (les dialogues franco-anglais avec Isaach de Bankolé, la place accordée aux cartoons) et une tendance au name dropping lors des conversations un brin didactiques sur la littérature notamment.
Tout cela ne suffit pas pour rompre le charme : Ghost Dog fait partie de ces personnages uniques qui, à la manière des chevaliers médiévaux, lors d’un passage fugace en ce bas monde saturé de compromissions, laissent la marque d’une morale et d’un héroïsme, suscitant le goût rare et précieux de l’admiration.
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Tout en haut du monde - 8/10

Messagepar Nulladies » Sam 13 Fév 2016, 06:53

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Pôle danse.

On va finir par parler d’exception culturelle tant l’animation française parvient à tirer son épingle du jeu ces dernières années, de Phantom Boy à Avril et le monde truqué, pour ne citer que des exemples récents.
Tout en haut du monde est un enchantement : aux antipodes de la 3D rutilante qui domine le marché, il décline ses paysages en aplats fauves, avec une simplicité du trait confondante. En adéquation avec sa forme, c’est la pudeur qui domine dans cette histoire qui mêle aventure, émancipation féminine, quête géographique et filiale.
L’héroïne, Sasha, fait tous les apprentissages : de la vie de labeur, à travers une très belle séquence de sommaire qui la voit s’initier au rude quotidien de serveuse, elle qui sort des salons aristocrates du St Petersbourg de la fin du XIXème siècle ; de l’aventure marine à travers la quête du pôle nord, de l’expérience du deuil et de l’adversité climatique.
Sans emphase, par la grâce d’une mèche blonde qui court le long du visage où de couchers de soleils sur la banquise, Rémi Chayé atteint un point d’équilibre d’une rare délicatesse : aux thèmes essentiels de tout récit initiatique se superposent les beautés saisissantes de décors grandioses. C’est une leçon essentielle du cinéma d’animation que de rendre ainsi palpables le froid, la vague et le découragement d’un équipage face à la ténacité d’une jeune fille solaire et téméraire.
Pour parfaire la composition, la musique, sur un thème de violoncelle ou empruntant à Syd Matters deux de ses plus beaux titres, dit toute l’élégance d’une telle entreprise.
Une splendeur à défendre.
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Deadpool - 3/10

Messagepar Nulladies » Dim 14 Fév 2016, 07:48

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 21

Collège Francis Lalane, cours de français, vendredi de 15h35 à 17h30, vous savez bien, les dernières heures de la semaine où qu’ils sont bien fatigués.
Atelier d’écriture.
Groupe de Bryan Feneck, Coralie Mustelle, Kevin Furray et Pierre-Alexandre Roccenchart.

- Putain ouais.
- Et, attends attends, genre l’histoire d’amour elle lui fout des godes ceinture et tout.
- Grave.
- Avec des expériences pour être superhéros, il devient moche mais genre la gueule qu’on a vue sur les maladies en SVT, t’souviens, donc il peut plus baiser, et après il la sauve, quoi et elle fait l’effort de remettre la langue.
- Trop.
- En même temps, si elle l’encule, elle a pas besoin de voir sa gueule.
- Ta gueule, Cora. Bon ben voilà. Qu’est-ce que t’en dis, Pierral ?
- On aura pas la moyenne.
- Putain mais grave si ! On a un « anti héros », une « tonalité patriotique »
- C’était « parodique ».
- Ta gueule, Cora. Mais c’est vrai quand même, Bryan, c’était parodique. Ça veut dire quoi, Pierral ?
- Qu’il faut détourner les codes habituels du genre. Là, vous avez choisi les super héros Marvel, et il faut s’en moquer.
- Ben ouala : il sauve pas le monde, il en fait qu’à sa gueule
- Oué : rienaft des autres et tout.
- Et il les insulte.
- Et il vanne, genre mais trop tout le temps. Vanne vanne vanne vanne, moi j’te dis.
- Et on pourrait voir les seins de sa bombasse.
- Grave.
- Mais c’est mince non ?
- C’est qu’est-ce que le sujet demande, non ?
- « Ce que » le sujet demande.
- Ouais, c’est qu’est-ce que j’dis.
- Passons.
- Mais là on a quatre lignes, les mecs.
- On met du sang, des morceaux de cervelle, des ralentis.
- Et de la vanne.
- Putain mais tu dis toujours de la vanne mais on sait pas lesquelles.
- Genre tu lui fous une coloc’ marrante.
- Ah ouais, une vielle qui fait des fucks.
- Trop. Une vieille aveugle.
- Putain, une vielle aveugle black.
- Attends, attends, UNE VIEILLE AVEUGLE BLACK QUI MONTE DES MEUBLES IKEA.
- LOOOOOOOOOOL. Je kiffe, tu sais avec les noms chelous là, excellent.
- Vas-y Coralie, cherche les noms en mode furtif sur ton tél, elle regard pas la prof
- HURDAL, UNDREDAL, MORVIK…
- On pourrait pas revenir sur…
- ASKVOLL, KVIKNE
- Putain le kiff, c’est avec des K à chaque fois ?
- On aura pas la moyenne.
- Vas-y alors, dis-nous toi, l’intello.
- On a pas vraiment rempli les critères sur la parodie.
- On a qu’a foutre du méta.
- Du méthane ? Putain trop, il pète et…
- Du méta, connard. Tu sais, genre on dit qu’on sait qu’on est dans un film et tout.
- Ah ouais. Puissant. Pierral, on fait comment ça ?
- On fait un générique au début où on montre qu’on sait que c’est des clichés, genre « Réalisé par un baltringue », « avec un BG et une bombasse » « et plein d’effets spéciaux »
- MAIS PUTAIN TROP ! Eh Cora, c’est d’l’a bombe nan ?
- NORNÄS, STOLMEN…
- Laisse là, ça l’occupe.
- Donc, le héros il parle à la caméra, il dit qu’il genre pas comme les autres, t’as vu, il pette la gueule aux méchants en dansant, il tire par le cul, il…
- Oué et on lui fout d’autres hyperhéros genre X-men et il se fout tout le temps de leur gueule.
- Genre trop ils sont clichés à être gentil et tout.
- Et à la fin, on dit que c’est la fin parce que c’est fini.
- En fait, on fait de la merde, mais comme on dit qu’on sait que c’est de la merde, genre on est intelligent. C’est ça méta ?
- Voilà.
- Putain, on va cartonner alors.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Dionycos » Lun 15 Fév 2016, 18:17

:eheh: :super:
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Incendies - 8/10

Messagepar Nulladies » Mar 16 Fév 2016, 06:33

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La recherche du sang perdu.

Le principal reproche que l’on peut faire à ce film est à double tranchant : celui d’être l’adaptation du puissant texte théâtral de Wajdi Mouawad, dont il ne peut évidemment pas restituer toute la portée. L’ouverture sur la tonte d’enfants soldats en devenir sur la musique de Radiohead n’arrange rien, et annonce le risque d’une lecture clinquante ou poseuse. Il n’en sera rien.
On peut évidemment être frustré de la réduction du rôle du frère, de sa mise à la trappe de son métier de boxeur, et de la reconnaissance finale, sacrément expédiée par rapport à celle mise en place dans la pièce originelle. Mais le film pouvait tellement s’embourber dans la dense matière tragique qu’il traite qu’il faut surtout saluer la manière dont il s’en tire.
Incendies restitue deux trajectoires : celle, présente, de la quête de la fille sur les traces de sa mère et l’autre, fragmentée et elliptique, de cette femme quelques décennies plus tôt dans un pays ravagé par la guerre, jamais nommé mais renvoyant au Liban. Denis Villeneuve, qu’on connait depuis pour sa maestria de mise en scène, comme dans Sicario ou son goût pour les psychologies tortueuses (Prisonners, Enemy) fait ici ses armes avec une sobriété salvatrice. La primauté est accordée au cadre et aux décors : on le voit à travers le plan d’une rue où le frère affirme à tort être en paix avec lui-même, le poignant travail sur l’espace qui donne à voir la maison familiale encerclée par les frères dans laquelle hurle la jeune veuve, ou les vues du ciel des routes sinueuses sur lesquelles roulent deux bus dans deux temporalités parallèles, l’un vers le massacre, l’autre vers sa révélation.
La puissance du film se loge dans ses ellipses et dans la pudeur avec laquelle il gère ses effets. La musique, par exemple, à l’exception des deux occurrences de Radiohead, se fera des plus discrètes, n’intervenant qu’à de rares reprises sur des motifs classiques et graves rappelant avec insistance la ligne mélodique de la 3ème symphonie de Gorecki. L’horreur d’un viol, ou d’un accouchement non désiré est habilement restituée par des manques ou des gros plans sur la structure métallique d’un lit où se promène une menotte, plans bien plus diserts qu’une complaisance dans la barbarie. De la même façon, la prise de conscience des jumeaux se résume à des inspirations brutales, ou des lignes crawlées frénétiques : l’expression des corps plutôt que des mots est un glissement très intelligent par rapport à la puissance dramaturgique du texte d’origine.

D’Incendies, il reste l’essentiel : l’ampleur aride d’une terre méditerranée, le feu barbare de la haine humaine sur un bus, le vent chaud dans les oliviers et l’eau, encerclée, contenue, mais qui tente les voies de la catharsis. Face aux éléments, les individus prennent les atours de l’universalité, ce à quoi tend évidemment cette tragédie qui réactive l’hybris antique dans le monde du XXème siècle qui croyait naïvement lui échapper. Dans cette imagerie essentielle, Denis Villeneuve parvient, avec tact et conviction, à se faire le passeur d’un texte essentiel.
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38 témoins - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 16 Fév 2016, 08:03

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Fear window

L’argument n’a rien de franchement novateur : un meurtre a lieu en pleine nuit sur une place du Havre, et la police recherche des témoins. Personne n’a rien vu, ni entendu. Jusqu’à ce qu’un résident révèle avoir été saisi par les hurlements de la victime, qu’il ne peut pas avoir été le seul à entendre.
Sur cette trame, Lucas Belvaux tisse un récit aussi efficace dans les thèmes qu’il brasse que pertinent dans son esthétique retorse. Car le film est avant tout un regard urbain, sur la ville orthonormée du Havre, si caractéristique de ces reconstructions de l’après-guerre. Sur cette place, relecture du Fenêtre sur Cour d’Hitchcock, tout le monde feint de ne pas s’entrapercevoir. Le silence est la règle, et la minéralité fait la loi. Les nombreux plans sur la ville, d’une neutralité inquiétante, mettent d’abord en valeur sa beauté géométrique, avant d’aller fouiller du côté autrement plus retors des individus qui la peuplent. C’est avec la même fascination que Belvaux filme les Supertankers du port, accumulation monstrueuse de containers, ville flottante et désincarnée.
L’irruption du personnage d’Yvan Attal, torturé à souhait, fonctionne comme celle du personnage en contrepoint dans les films de Lang, Fury ou M le Maudit : il est celui qui va aller à l’encontre du collectif, et susciter son hystérie collective.
D’un côté, l’ordre voudra se maintenir, le préfet préférant étouffer l’affaire, tandis qu’une journaliste contribuera à révéler ce procès de la lâcheté humaine.
Mais c’est surtout dans les silences que la tension s’exprime : ceux des regards, des pierres qui fusent dans ces vitres qu’on souhaiterait opaques, ces dialogues de couples qui n’avancent pas et s’engoncent dans les non-dits.
Si la fin du film est un peu déceptive, on saura pardonner au scénariste ce petit essoufflement au vu des sommets atteints auparavant, notamment dans la séquence de reconstitution du meurtre, et surtout des cris entendus par tous. La parole est de toute façon impuissante : le désir de catharsis de l’un ne pourra combler la puissance du déni des autres, et les débats qui en découlent sur la nature humaine et la vie en société sont d’autant plus passionnants qu’ils se déploient dans l’indicible médiocrité d’un quotidien qui reprend ses droits. Dans le silence et la circulation d’une ville qui ne demande qu’à laver les flaques de sang qui la souillent.
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Coup de l'escalier (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 17 Fév 2016, 06:56

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Nous allons cramer ce soir.

On pourrait voir Le coup de l’escalier, (dont le titre original, Odds Against Tomorrow, est bien plus programmatique) comme une interminable exposition, celle d’un braquage qui ne commencera que dix minutes avant la fin. Dans ce déséquilibre, qu’on retrouvait déjà quelques années plus tôt sur la trame de L’Ultime Razzia de Kubrick, se loge tout l’intérêt du film : déterminer la psychologue tourmentée des protagonistes, acculés à ce choix radical qui se pare de toutes les couleurs sombres du tragique. Chez Robert Wise, l’épaisseur du personnage est un élément incontournable : c’était déjà le cas dans le magnifique Nous avons gagné ce soir, avec un Robert Ryan tout aussi émouvant, mais sur une partition qui invitait alors à la compassion. Le personnage qu’il campe ici est autrement plus complexe, puisque le film traite aussi du racisme. Obligé de faire équipe avec un noir, dont on suit en parallèle les tentatives pour échapper à cette solution du braquage, le dur vieillissant révèle une idéologie détestable tout comme il accuse des signes de faiblesse, dans son rapport à la jeunesse ou à la gent féminine.

All mens are evil, entonne une femme dans le cabaret où le chanteur noir gagne un salaire qui ne suffit pas à combler ses dettes issues d’une addiction au jeu. En effet, aucun des personnages ne semble pouvoir sauver l’autre, et l’association des trois désespérés (le vieux flic évincé, l’ancien militaire raciste et le noir endetté) ne présage pas un coup flamboyant. La ville filmée par Wise prolonge cet état de fait : elle semble se résumer à des rues barrées par des façades trop hautes, de l’asphalte luisant de pluie et des impasses obscures. Les gros plans sur les visages sont sans concession : on cherche à révéler la fragilité des êtres qui jouent au durs ou singent l’enthousiasme de celui qui promet la fortune. Même le jazz, censé apporter divertissement et swing dans la ville nocturne, s’imbibe d’alcool et de désenchantement dans une superbe séquence revisitant tous les clichés afférant à la musique.
La mécanique tragique est donc en marche : c’est une poupée qui flotte parmi les déchets sur une grève industrielle, la statue d’une vierge devant laquelle on prie silencieusement, la disposition des protagonistes dans un espace qui ne cesse de les rappeler à l’ordre. Trop grand pour leur fragilité (le trajet qui les mène au casse est en cela révélateur), étouffant (l’appartement de Ryan), vertigineux et oppressant (la très belle séquence du manège) ou trop exigu (le couloir de la banque), il ne sied jamais.
Mais il ne s’agit pas pour autant de disculper les individus face à des forces qui les dépasseraient, et c’est là toute l’intelligence pessimiste du cinéaste : chaque personnage est responsable, de sa bêtise ou de sa naïveté, de son racisme (anti noir, certes, mais anti bourgeois aussi du côté du noir qui fustige les tentatives d’intégration de son ex-épouse). La démonstration sur le racisme prend d’ailleurs le pas sur le reste et sera déterminante dans la résolution de l’intrigue. Une certaine insistance sur le sujet leste légèrement la fin du film, comme elle le faisait pour La porte s’ouvre de Mankiewicz, mais on sait à quel point il était alors courageux d’aborder ces délicates thématiques.
(Spoils) A ce titre, la mort des deux personnages principaux, carbonisés et impossibles à différencier, est tout à fait remarquable d’ironie.

Chant du cygne du film noir, Odds against tomorrow solde les comptes : la famille, le couple, l’honneur ou la camaraderie ne sont pas en mesure de contrer les pulsions vénales et autodestructrices de l’homme, dans un univers qui le tente et le dévore conjointement. Et chaque élément de résolution sera un pas de plus vers le pire, comme le résume lucidement le personnage d’ Harry Belafonte : Yeah, yeah, I know I got rid of the headache. Now I got cancer.
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Nouvelles aventures d'Aladin (Les) - 1/10

Messagepar Nulladies » Jeu 18 Fév 2016, 15:06

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 22

Paris, salle de conférence. Vue sur Seine. Dans la corbeille sur la table en acajou, des fraises tagada, un kebab, des cartes Pokemon, des pompot’ et une chaine en or.

- Bon, mes fiottes, on est plutôt en forme côté carton made in France.
- On a scoré dans la SF pour jeunes geeks…
- On a ramassé chez les racistes de tous bords…
- Et on s’est servi chez les handicapés.
- Donc, c’est bien, mais si on était là pour s’autosucer, autant rester à la maison avec de l’assouplissant, hein. Bryan, c’est quoi le projet d’aujourd’hui ?
- Un film familial. Un conte de Noël, genre.
- Oh putain non chef, pas…
- Ta gueule Kevin.
- Mais on sait pas faire ça en France, y’a que les ricains ! regardez la bande annonce du Père Noël avec Rahim, vous comprendrez.
- Il a raison, c’est horrible
- Il nous faut du remix, du bling-bling.
- Regardez les rappeurs, chef. Aujourd’hui, leur audience est dans les cours de récré.
- Ouala. Là ça commence à sentir la thune, ton idée.
- Bon, en conte on va prendre un truc qui peut faire caillera. Genre Aladdin, en mode berbère, comme ça les arabes peuvent voler sans qu’on nous emmerde.
- Pas mal. Mais enlève un d à Aladdin sinon les kids pourront pas le retrouver dans les moteurs de recherche.
- Et on prend l’idole des bacs à sable, Kev Adams.
- Bon ben voilà, c’est plié. Qu’il écrive aussi le scénar pour que ça fasse jeune. Vous avez une semaine.

La semaine suivante.

- Bon, le chef s’est pas déplacé, hein. Vous avez quoi ?
- Kev a participé à une séance d’écriture.
- Ah bien, ça.
- Ouais, enfin, il a envoyé un texto. « Vazi un remix de ouf, tu me mets en mode BG clip façon bollioud et une bonasse big natural stp »
- Ah ouais quand même. Et Julie, t’as quoi ?
- Vous allez kiffer : j’ai bossé ma race. Alors voilà, parodie, les mecs : les méchants bossent leur rire machiavélique, des fois ils partent dans des monologues qui veulent rien dire, on interrompt la musique solennelle avec un bruit de disque rayé, on met des sosies de Jamel et Darmon…
- Ouais, ok, t’as revu Mission Cléopâtre, en fait.
- Bingo ma couille. Parce que le public d’aujourd’hui, il était pas né au moment de sa sortie.
- Nice job comme ils disent. Mais bon, on fera moins subtil pour s’adapter à l’air du temps.
- Et pour notre branleur sous néon, Bryan ?
- Bon, alors en fait…
- Ma pute, dis-le si t’as rien foutu…
- Nan c’est pas ça mais franchement, les CM1, moi je connais plus. Alors j’ai eu une idée.
- Je crains le pire. Dis-moi que c’est resté légal.
- T’inquiète. Je suis allé dans les classes et j’ai organisé un concours autour d’Aladdin pour récolter des idées.
- Bien vu. Et ?
- Bon, comme ils savent plus écrire en primaire, on a fait des dessins, mais y’a de quoi faire, je vous ai fait un diapo.
- Putain ils ont de la ressource quand même ! Une flute dans le cul, excellent !
- Et un méchant qui pue de la gueule ! le kiff !
- Ahahah, ramener un Giant de Quick dans le désert !
- Et un gros black sans bite, j’adore !
- Et putain, les homos en prennent pour leur grade quand même, non ?
- Ouais, mais c’est normal. Jusqu’à 8 ans, tu considères ça comme une maladie, et je crois que Kev est assez d’accord. On garde.
- J’aime bien aussi l’idée que t’es une couille molle si t’arrives pas à baiser une femme parce qu’elle est trop moche. C’est plein de vraies valeurs sur l’amour. On dirait du Black M.
- Bonne idée, tiens, qu’il fasse un featuring.
- Bon, faut pas se leurrer, on risque de se faire allumer par la critique. Faudra gérer ça sur les réseaux. Les gamins qu’on fait des dessins, tu leur fait créer des comptes sur Allociné pour monter la note du film, OK ? Et en guise de bande annonce, tu leurs fous surtout des clips avec le mot CACA en relief dedans.
- Dément. On est brillants, quand même.
- MDR ! On va cacartonner !
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Alegas » Jeu 18 Fév 2016, 15:11

Nulladies a écrit:- Bon, faut pas se leurrer, on risque de se faire allumer par la critique. Faudra gérer ça sur les réseaux. Les gamins qu’on fait des dessins, tu leur fait créer des comptes sur Allociné pour monter la note du film, OK ?


:eheh:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar elpingos » Jeu 18 Fév 2016, 15:21

:mrgreen:

Sinon pas du tout d'accord

Nulladies a écrit:Mais enlève un d à Aladdin sinon les kids pourront pas le retrouver dans les moteurs de recherche.

Aladin avec un seul "d" est bien l'écriture française, le "dd" c'est chez les anglo-saxons... Donc bon pour le coup ils ont au moins eu raison.
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Ave, César ! - 5/10

Messagepar Nulladies » Dim 21 Fév 2016, 06:50

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Boulevard des groupuscules.

Un petit vacillement opère à la découverte de ce nouvel opus des Coen bros, dont la filmographie bien garnie nous fait vibrer depuis plusieurs décennies déjà : et si le syndrome Woody Allen guettait ? Si cette installation dans le champ des sorties, certes moins régulières, finissait par se laisser gangrener par la paresse et l’autocitation ?
On savait depuis la bande annonce sur quel pan de leur œuvre les frangins allaient faire vibrer l’une de leurs nombreuses cordes : comédie, bouffonnade, et satire, dans la lignée d’un Lebovski ou Burn after reading, le tout dans un contexte déjà visité dans l’un de leur sommet, Barton Fink.
On a beau savoir que la légèreté a droit de cité dans leur cinéma, et qu’elle est souvent le levier vers des questions plus graves qui avancent joyeusement masquées, ce nouvel opus souffre de nombreuses maladresses pour qu’on lui accorde trop grand crédit.
Certes, les questions traditionnelles à leurs obsessions affleurent ici et là : un débat théologique dont ils ont le secret (rappelant l’écriture incise d’A Serious Man), une coexistence de forces opposées (le capitalisme clinquant contre l’idéologie militante des communistes, la joie en technicolor contre l’éblouissante bombe atomique), une direction d’acteur permettant contre-emplois (jolie performance d’Alden Ehrenreich) et scènes écrites au cordeau (la répétition entre ce dernier et Ralph Fiennes), et enfin quelques petites saillies absurdes, comme une réunion marxiste ou la rencontre avec un sous-marin soviétique.
Tout cela estampille sans conteste le label Coen, auquel s’ajoute une caution autrement plus ambitieuse, celle de marcher dans les pas des ainés en recréant les morceaux de bravoure de l’âge d’or hollywoodien. Savant exercice d’équilibre que de laisser aller son enthousiasme dans le pastiche tout en maintenant la distance propre à la tonalité générale du film, et qui ne fonctionne pas toujours. Il est un peu grossier de procéder toujours de la même manière, à savoir une immersion dans le genre avant de le briser par une chute brisant l’illusion (avec Scarlett et sa couronne, Clooney et sa réplique, etc.), facilité qui s’applique finalement au film entier. D’autant que certaines citations sont de bonne facture : le western acrobatique et surtout la comédie musicale avec Tatum fonctionnent admirablement, tout comme l’ampleur pompière du péplum. On ne peut en dire autant du ballet aquatique de synthèse et du parallèle entre la grâce de la vedette à l’écran opposée à sa rustrerie à la ville, antienne déjà éculée depuis Chantons sous la pluie ou Roger Rabbit.
L’hommage est joliment chromé, et l’on parvient à distinguer clairement deux pistes, celles de l’émerveillement des héritiers post-modernes, et leur insolence polie à vouloir gratter le vernis de cette époque qui avait tout de la chape de plomb. D’autres, comme Ellroy, l’ont fait bien mieux avant eux, et surtout, on en vient à se demander s’il ne conviendrait pas d’aller directement revoir les modèles pour retrouver intact le plaisir qu’ils tentent de réactiver.
Parce que tout l’emballage est paresseux, la structure branlante, échafaudage malhabile qui ne cherche même pas à faire cohabiter au nom d’une cohérence générale cette succession de sketches et de guests. Il est tout de même assez désolant de constater qu’on puisse nous faire du remplissage sur un film d’1h46, comblant les vides entre les morceaux de bravoure, notamment par le personnage de Mannix, dont la vie familiale ou les possibilités de reconversion sont tout sauf utiles à la trame générale.
La comédie est un art délicat, et s’il est des artistes qui peuvent donner des leçons sur sa subtile alchimie, les frères Coen en sont de fiers porte-parole : le recours qu’ils ont ici au cabotinage assez pénible de Clooney est un autre signe de fatigue et d’autocitation qu’il faudra songer à renouveler au plus vite.
Mais l’espoir subsiste : contrairement à l’annuel Allen, les frangins ont un mérite qui permet qu’on vibre à chaque annonce de leur nouveau projet : celui de jouer sur un spectre si large que tout soit possible pour la suite : ils peuvent se le permettre.
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Zootopie - 7/10

Messagepar Nulladies » Mar 23 Fév 2016, 06:41

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Wild Wild Nest.

Dans le flot continuel dont nous inonde le marché du long métrage pour la jeunesse, il convient désormais de distinguer le mérite de ceux qui proposent l’exposition d’un nouvel univers. Zootopie n’est pas le énième volet d’une franchise, une adaptation d’un manga, d’un jeu vidéo ou de jouets quelconque, mais bien une idée originale.
Toute la première partie permet donc la découverte d’une ville où cohabitent les espèces animales, civilisées comme pourraient l’être (du moins officiellement) les hommes. Outre l’intrigue et les ressorts humanistes de l’utopie, c’est surtout la cartographie du lieu (présentée via un monorail qui reprend fortement l’une des plus belles séquences d’A la poursuite de demain) qui réserve sa petite part d’enchantement : la profusion des espèces, une répartition climatique par quartiers, occasionnant une variété des décors servis par une animation de qualité, et dans le détail, un jeu constant sur les différentes proportions des habitants. Dans la plupart des séquences, on jouera sur la richesse de ces potentialités : une course poursuite dans sourisville par deux protagonistes qui y semblent des godzillas, un jeu sur les clichés attribués à chaque espace (les paresseux, les loups ne pouvant s’empêcher d’hurler) ou sur la taille, évidemment : du sexisme dont est victime la lapine principale à l’arnaque possible avec un fenec gangsta feignant d’être un enfant en bas âge, les idées fusent en permanence.
L’intrigue est certes assez linéaire, et semble un moment ronronner avant de prendre des directions relativement intéressantes : il s’agit conjointement de désactiver les mythes inhérents l’utopie, tout en renversant les pôles traditionnels de la domination des forts par les faibles : les réflexions lancées çà et là sur la force du nombre (les « proies » étant 10 fois supérieures aux « prédateurs », la manipulation et le pouvoir par la peur sont plutôt bien amenées.
Une autre qualité est aussi à chercher dans la trempe de ses personnages : le duo de ce buddy movie lapin/renard fonctionne tout à fait, et même s’il est cousu de fil blanc, sur les traces d’un Rox & Rouky, on nous donne les moyens et le temps de s’y attacher.
Certes, quelques facilités dans la vanne censées séduire les parents dans la salle ne sont pas toujours très fines (les références au Parrain, ou à Breaking Bad par exemple), et le foisonnement des décors et des retournements peut perdre un peu les plus jeunes du public. Mais on est bien loin de l’ironie putassière devenue coutumière dans l’animation, en témoignent les bandes annonces énucléantes vues en début de séance.
Fraicheur, découverte, attendrissement : Disney reste dans la course, avec un retour à l’enfance qui peut s’avérer salutaire.
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Fureur de vivre (La) - 6/10

Messagepar Nulladies » Mar 23 Fév 2016, 06:43

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Pioneer soundtracks

Certains jalons sont plus immortels que d’autres : avoir le mérite d’être le premier à aborder un sujet, briser un tabou ou occasionner un nouvel éclairage sur un thème est une chose, cela n’occasionne pas forcément un chef d’œuvre.
La fureur de vivre est en tout point un film iconique : il porte avec lui l’éclatante naissance du mythe James Dean, la fameuse course de voitures et l’attention portée à toute une génération, celle des adolescents en passe de devenir des personnages à part entière. De belles séquences disent avec justesse la façon dont le monde des adultes se fissure, à travers le portrait pathétique d’un père en mal d’autorité, ou la violence sourde d’une visite au planétarium (à laquelle semble faire écho l’une des belles scènes du Virgin Suicides de Sofia Coppola). Le jeu sur l’espace et la nuit, qui trouve sa pleine expression dans la villa déserte servant de refuge aux protagonistes, est intéressant dans sa quête de recréation d’un monde utopique, notamment par la symbolique de la piscine vide, promesse fallacieuse d’un avenir fantasmé.
La subtilité de certaines prises de vue n’en est pas moins atténuée par le jeu général, voire une psychologie assez grossière des personnages. Natalie Wood est assez peu crédible, tant dans son interprétation que par la façon dont elle passe d’un excès à l’autre, de la bande de voyous à l’amour adulte, et le personnage de Plato plus que pesant dans ses quêtes de parents ou de frère ainé.
C’est donc un ensemble relativement déséquilibré et assez irritant que ce film dont on ne peut nier l’importance, mais qu’il s’agit de recontextualiser. Englué dans certains excès et des archétypes qui ont mal vieilli, il a les maladresses de la transition qu’il introduit. Sa musique, très présente, fait d’ailleurs beaucoup penser à West Side Story qui aura l’intelligence d’exploiter, à travers la comédie musicale, le lyrisme de mise pour traiter de l’adolescence. Ici, la sobriété n’est pas encore de mise, époque oblige, et les successeurs qui lui doivent beaucoup dépasseront sans difficulté le pionnier en la matière.
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Revenant (The) - 4,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 25 Fév 2016, 06:52

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♫ Worst I was afraid, film was petrified…♫

L’attente était simple : savoir si The Revenant peut se substituer à toute la promo qui est en faite, et qui brandit comme un trophée tout le storytelling autour de ses conditions de fabrication ; à savoir la même question que celle posée avec Birdman et ses fameux plans-séquences.
Le changement de sujet laissait pourtant présager le meilleur : en s’attaquant à la nature, en simplifiant sa ligne narrative, en faisant, apparemment, de la contemplation l’argument principal, Iñárritu allait pouvoir exploiter pleinement sa virtuosité.
Bien entendu, cette dernière est indiscutable : la photographie est magnifique, les séquences d’ouverture vibrantes, et l’osmose entre les échelles d’une pertinence totale : la distribution du chaos sur la rive lors de l’attaque indienne, la violence et la fuite sont le fruit d’un travail incroyable. La plongée dans la sauvagerie naturelle n’est pas en reste : la lumière naturelle (l’un des grands hits, depuis Barry Lyndon, sur les secrets de fabrication assénés à longueur d’interview) occasionne des plans sublimes, et il est indéniable que certains d’entre eux ont pour objectif de rivaliser avec le naturaliste Malick, mais surtout le panthéiste Tarkovski que les spectres de l’Enfance d’Ivan ou d’Andrei Roublev hantent avec insistance.
Il n’est pas innocent qu’on s’attache tant à ces premières séquences : parce qu’elles sont flamboyantes, certes, mais surtout parce qu’elles cueillent le spectateur au bon moment, avant qu’il ne commence à demander où tout cela va le conduire. Contempler la nature est une chose, y instaurer un récit une autre. En greffant sur cette beauté primale un survival ultraviolent, Iñárritu opère un mélange des genres discutable. Dans Gravity, Cuarón ne perdait pas de vue son objectif premier, l’assumant au point de réduire la dimension auteuriste de son film. Ici, c’est beaucoup plus trouble. Pour saluer la grandeur et l’hostilité de la nature, Dersou Ouzala ou Jeremiah Johnson, voire le splendide documentaire Grizzly Man, disent tout. Pour délirer dans une violence contemplative et hallucinogène, on peut aller pêcher du côté du Valhalla Rising de Refn.
Ici, tout est clairement inféodé à la performance : des acteurs (oui Di Caprio est excellent, bien sûr, mais on l’a connu dans des rôles où il avait autre chose à défendre que des glaçons sur sa barbe et de la bave surgissant de ses dents déchaussées), des conditions extrêmes et une barbarie généralisée. Il suffit de voir la longueur du film pour s’en convaincre : on a bien ¾ d’heure de surplus, tout à fait injustifié par un catalogue poussif au possible de tous les sévices à subir, au point qu’on s’étonne que l’avalanche finale ne vienne pas ensevelir notre martyre.
Et pourtant, nulle empathie pour eux : leur animalité les réduit à une geste physique qui ne touche pas, ce qui rend le temps plus long encore. On a beau nous faire comprenre que la vengeance est le moteur de la survie, et recourir à des flashbacks grotesques et particulièrement mal intégrés de poésie sentimentale, rien n’y fait.
Régulièrement, on se demande l’intérêt de tels mouvements, de tels plans. La scène sur la cascade gelée, exemple entre tant d’autres : pourquoi, après l’avoir filmée, (elle est très belle, cette image, tout comme le vrombissement de l’eau, là n’est pas la question, ou peut-être si, justement), avoir suivi le parcours des personnages, revenir suivre l’eau qui s’engouffre avant le raccord ? A part prouver l’ostentatoire plan séquence qui montre qu’il peut le faire, no reason.
Le film est saturé de ce genre d’affèteries, au point qu’on finit, et c’est assez rare pour le signaler, par ne voir que la caméra. On se demande comment elle parvient à s’accrocher à un cheval au galop, on la voit plonger avec les personnages, sa vitre est embuée par leur souffle court, souillée de sang, de neige, et elle se prend même des coups dans l’affrontement final. Tout est dit : Iñárritu ne parvient pas à s’effacer au profit de son œuvre, et s’y montre en permanence, s’invitant dans la danse, dans une transgression esthétique qui écrase ses personnages et les enjeux émotionnels de son film.
C’est beau, c’est puissant, c’est éprouvant. Mais le film est comme la vengeance : plat, et il se mange froid.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Dunandan » Jeu 25 Fév 2016, 12:51

Nulladies, tu boudes le topic du classement annuel ? :mrgreen:
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