La Grande Frousse (aka la Cité de l’indicible peur)
(Jean-Pierre Mocky – 1964)
L’inspecteur Triquet est sur les dents ! Mickey le bénédictin, un dangereux faussaire, vient de s’échapper de son exécution et semble avoir trouvé refuge dans le petit village de Barges (le bien nommé) en Auvergne. Menant l’enquête parmi de bien étranges villageois, Triquet ne dispose que de trois indices : l’homme qu’il recherche est un ivrogne, il est frileux et il n’aime pas le cassoulet…
Avec un tel synopsis on aura du mal à croire que le film est l’adaptation d’un roman de Jean Ray avec Harry Dickson, la Cité de l’indicible Peur. Et on aura tout bonnement du mal à croire ce que l’on voit à l’écran tant Mocky cultive avec frénésie le n’importe quoi. Avec bonheur ou pas, c’est la question. Pour ma part j’ai écarquillé les yeux pendant dix minutes, me demandant si j’allais continuer ou pas puis… j’ai poursuivi avec un certain plaisir le déroulement de l’enquête foireuse de Triquet au milieu de ce village médiéval tout aussi foireux. Le genre de film que l’on aura du mal à placer dans la catégorie des nanars ou dans celle des petites comédies réussies. Qu’importe, si on aime les films à la Hammer, avec des ambiances nocturnes orageuses, d’odieux crimes et des craignos monsters…
Bouh !
… et surtout si on aime les personnages croquignolets et les situations décalées, on est largement servi. Petit panorama de la faune qui hante la sinistre ville de Barges. Tout d’abord Chabriant (Raymond Rouleau), le maire en fourrure du village, affublé d’un horripilant sourire en bandoulière mais aussi d’un tic de langage que l’on ne met pas longtemps à détecter :
Je suis le maire, quoi !
M. Franqui, joué par Francis Blanche, scrute de ses jumelles les passants tout en bavardant avec une réplique de Sainte Urodèle, celle qui d’après la légende est parvenu à tuer la bargeasque, immonde bête que certains prétendent avoir vue rôder dans la lande :
Mais aussi le boucher (René-Louis Lafforgue), homme rude dont le terrible secret va laisser le spectateur dans la stupéfaction la plus époustouflifiante, ou encore la secrétaire du maire (Jouée par Véronique Nordey, alors l’épouse de Mocky) bien trop jolie pour être honnête, M. Gosseran (Jacques Duffilho) le jardinier farceur, M. Clabert (Victor Francen) le docteur alcoolique ou le brigadier Loupiac (Jean Poiret), lui aussi affublé d’un tic et qui va seconder comme il peut l’inspecteur Triquet dans son enquête :
Et je passe sur le pharmacien, le bourreau décapité, le chef de gare et le contrôleur bègue. Avec une telle faune on peut se dire que le film a tout pour être parfaitement insupportable au bout d’un quart d’heure et pourtant, il faut bien reconnaître que Mocky, en plus de sa capacité à restituer une ambiance nocturne réussie, a su dégainer l’arme ultime pour donner du liant à l’ensemble : les dialogues, ici concoctés par Raymond Queneau. Incongruités, jeu sur les répétitions, sur les sons, on est dans du pur Queneau et c’est souvent du pur plaisir d’entendre ces dialogues ciselés à la virgule près être restitués par ces comédiens dans l’ensemble très bons. Tout cela sent bien sûr l’artifice mais c’est un artifice qui, coulé dans un univers en toc, finit par marquer voire enchanter l’esprit et peut faire comprendre pourquoi ce film, après avoir fait un bide à sa sortie, a été redécouvert en 1972 sous son véritable titre (la grande Frousse, « titre racoleur et crétin à destination des beaufs » dixit Mocky dans ses mémoires, ayant été imposé par les producteurs) avec cette fois-ci le statut plus flatteur de petite perle méconnue. Pour les spectateurs contemporains qui seraient des amateurs de Twin Peaks, la Grande Frousse a en tout cas sans doute tout pour les divertir.
7/10
+
– Les dialogues de Queneau
– Des personnages WTF parfaitement assumés par les acteurs.
– Un décor et une ambiance nocturne réussis.
-
– Clairement, le film a un aspect « trip » qui peut rebuter.