[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

[Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Sam 02 Jan 2016, 07:05

C'est parti...
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Poursuite Impitoyable (La) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 02 Jan 2016, 07:06

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Un bruit de foule, trop saoule et qui souille…

The Chase commence comme bon nombre de films, sans nous préparer à son véritable sujet. Film d’évasion, il suit dans un premier temps le périple de Bubber Reeves, incarné par un Robert Redford qu’on s’attend à être la star de l’intrigue, accusé à tort d’un tort d’un meurtre commis par un comparse.
Le montage parallèle se met alors en place avec sa ville natale qu’il va probablement tenter de rejoindre. C’est l’occasion pour Penn, deux ans avant le coup d’éclat de Bonnie & Clyde, d’un premier panorama sur la société supposée représenter l’ordre en contrepoint au criminel. La ville se résume à un homme, Val Rogers, dont le nom est sur toutes les lèvres et toutes les enseignes, et qui possède par sa fortune toutes les institutions. Le shérif, sont employé contraint dont le seul désir est de pouvoir racheter sa terre spoliée, est campé par Marlon Brando, qui parvient à restituer avec force cet héroïsme castré, entre une épouse compréhensive et une justice impossible à rendre dans un monde corrompu jusqu’à la moelle. Accusé d’impartialité par les uns, mis sous pression par les autres, il n’a d’autre choix que de passer du représentant de l’ordre au justicier.
Car la ville est une jungle sauvage : les forêts ou les décharges dans lesquelles se terre le fugitif semblent des havres de paix en regard des tableaux que Penn dresse de la société texane. L’arrivée imminente de Bubber Reeves a tout du révélateur, et chacun semble avoir à se reprocher quelque chose par rapport à ce retour : des parents démissionnaires, harcelés par les vénéneuses bigotes du quartier ; son épouse, désormais maitresse du fils du magnat local ; et, surtout, la foule, ravie de voir surgir une ébauche de frisson pour ce samedi soir qui s’annonce différent des précédents.
Penn filme la décadence avec une vigueur rare : deux ans avant The Party de Blake Edwards, la fête chaotique a trouvé son pendant cynique. Beuverie veule durant laquelle on révèle les infidélités, les relents racistes et le capitalisme triomphant, la société chorégraphie avec une lucidité ironique sa chute sans fin. Le travail sur le groupe, le passage d'un individu à l'autre occasionne une mise en scène très maitrisée, qui ferait presque penser à celle de Tati dans Playtime, à la différence près qu'elle est ici au service d'un propos ravageur.
Sur ce terreau délétère, la mise en place de la phase suivante est désormais attendue : celle du lynchage. La foule grandit, et fédère désormais la ville entière qui vient assister à la tragédie intime, voire la souiller. Le refus du shérif à se laisser corrompre par la mère du fugitif est aussitôt rendu public comme un signe de partialité devant une foule filmée avec effroi, avide de spectacle, chewing gum et soda aux lèvres. De la même manière, le triangle amoureux se voit interrompu par la vindicte populaire et un incendie cathartique qui rappelle le formidable Fury de Lang, ou la vision du Sud de Mississippi Burning.
La justice n’existe plus, seule la haine s’exprime, annonçant le pessimisme noir de Peckinpah dans Les Chiens de Paille. Et si le shérif mène à bien sa mission, c’est pour involontairement perdre celui dont il garantissait la sécurité sous l’égide d’un Etat totalement démissionnaire.
Penn n’était pas tendre avec son film, dont le montage final ne le satisfaisait pas. S’il accuse certains petit excès démonstratifs, c’est pourtant un formidable brûlot, très théâtral, sur la victoire de la médiocrité par le plus grand nombre, et celle du renoncement face à l’intégrité morale, et une représentation éclatante du changement de ton qui commence à se manifester à Hollywood au tournant des années 60.
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Madame Bovary (2015) - 3/10

Messagepar Nulladies » Lun 04 Jan 2016, 10:12

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L’incomprise

Les chances de rater une adaptation de Madame Bovary sont nombreuses. Certaines sont plus excusables que d’autres. Qu’on ne parvienne à saisir l’essence profondément littéraire du roman de Flaubert en est une, car c’est probablement l’une des grandes limites de la transposition à l’écran d’un tel monument : que faire du style, que faire de la subtilité inimitable de l’auteur pour fustiger sans jamais sortir du bois la bêtise, les aspirations de la petite bourgeoisie de province et les médiocres rêves d’une prisonnière de la vie ? Chabrol lui-même s’était plus ou moins pris les pieds dans le tapis, et ce n’est pas Sophie Barthes qui va remettre les pendules à l’heure.
On pourrait dans un premier temps lui accorder le mérite de ne pas livrer une copie scolaire et de tenter de s’affranchir du modèle par quelques audaces : un changement de classe sociale, l’absence de l’enfant semblent redistribuer discrètement les cartes, tout comme la place démesurée que prend Lheureux et l’obsession d’Emma pour ses toilettes, occasionnant un véritable défilé de haute couture magnifié par une photographie de haute volée. Les étoffes sont chamarrées, et la course vers les dettes prend le pas sur toutes les autres problématiques. Homais, pourtant l’une des plus géniales inventions de Flaubert, n’est qu’un figurant, et toute la question du rapport à la littérature balayée en trois répliques, cédant le pas à une thématique consumériste.
On ne niera pas la qualité de la reconstitution historique, le travail sur les costumes et une certaine élégance de la mise en scène, mais tout cela est au service d’une telle pauvreté d’enjeux que le sentiment de gâchis l’emporte très vite.
Le coup de grâce est asséné dès la première scène, flashforward sur lequel on reviendra en épilogue, à savoir la mort d’Emma par empoisonnement. Sophie Barthes choisit de faire expirer son héroïne dans la forêt, seule, dans une superbe robe en accord avec les feuilles mortes qui font un lit harmonieux pour l’héroïne. Soit radicalement l’inverse du roman, où la protagoniste meurt entourée, ravagée par les conséquences physiologiques de l’arsenic, et privée de la fin romanesque dont elle avait rêvée, l’une des très grandes scènes du roman, contenant sa morale acide et d’une modernité fracassante. Ici, la réalisatrice l’affirme avec inconscience ou courage, mais elle le hurle : elle n’a rien compris au roman.
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El Club - 4/10

Messagepar Nulladies » Lun 04 Jan 2016, 10:13

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Décombres et brouillard.

El Club a toutes les cartes en main pour affirmer sa puissance : un sujet fort, la réunion clandestine de prêtres exfiltrés pour pédophilies et mis à l’écart du monde, une bonne sœur geôlière qui les surveille sous les oripeaux de la prière et de la vie monastique, et l’irruption d’une victime venue demander des comptes.
Dans la lande embrumée d’un Chili fantomatique, tout le manichéisme est rendu caduc par l’attention portée aux personnages : les confessions de la victime comme des bourreaux, l’arrivée d’un représentant de la « nouvelle Eglise » ne permettent pas d’établir la cartographie morale attendue : tous semblent être des êtres détruits, baignant qui plus est dans la rhétorique théologique la plus rance, prête à justifier le pire ou éluder dans les voies impénétrables du Seigneur les béances les plus abjectes de l’humain.
Pablo Larrain fait des choix radicaux et les assume : une photo d’une laideur savamment entretenue, des mines patibulaires, un huis-clos étouffant qui ne s’ouvre sur la communauté que pour noircir encore davantage le tableau… Rien ne nous sera épargné, ni les confessions répétitives des abusés ou des violeurs, ni une curieuse incursion dans le milieu des chiens de course. Le tout, c’est devenu une manie cette année avec Mia Madre de Moretti, sur la musique d’Arvo Pärt…
Si la séquence initiale choque au bon sens du terme, parce qu’elle mêle la violence verbale à un geste décisif radical, elle a aussi le défaut de brouiller les pistes sur la suite du récit. A partir d’elle, tout ne sera que répétitions jusqu’à la nausée, laideur dilatée et noirceur poussive. Larrain ne sait plus sur quel pied danser, et semble instiller l’absurde dans ses échanges, notamment par l’arrivée du nouveau prêtre qui condamne des pratiques dont il reste pourtant complice sans qu’on y comprenne grand-chose.
Le tout s’embourbe assez rapidement, au détriment de l’intérêt du spectateur, et surtout de son empathie, dérivant vers une obscure machination de vengeance aussitôt récupérée par de non moins opaques thématiques de pénitence et d’absolution.
Il ne suffit pas de contaminer l’écriture par la destruction psychologique des personnages pour faire mouche, d’autant que le cinéaste ne rechigne pas à recourir à des ficelles grossières (toute cette histoire de chiens) qu’il tente de noyer dans une posture plus indé, voire littéraire ou théâtrale lors de longs et fastidieux dialogues. L’équilibre ne prend pas, et l’on oscille entre l’ennui et l’irritation, otages de cette entreprise un peu fumeuse, probablement sincère dans ses intentions, mais inefficace et maladroite.
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American Ultra - 6/10

Messagepar Nulladies » Mar 05 Jan 2016, 06:29

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50 nuances d’excès.

A mesure que l’industrie hollywoodienne progresse dans son exploration des genres, le créneau pour trouver une approche originale se réduit : quand on prend son courage à deux mains pour renoncer aux reboots ou aux franchises, il s’agit désormais d’aller piocher dans tout ce qui a été fait auparavant.
American ultra, c’est donc la combinaison d’un Jason Bourne, d’une romcom à la Appatow et d’une bastonnade qui flirterait du côté des Raid ou de Kick-Ass. En veux-tu, en voilà, mixons le tout et voyons ce que ça donne.
Le résultat est plutôt plaisant, reconnaissons-le. Par ce couple de paumés en attente de révéler leur sexytude, ces pontes de le CIA caricaturés comme on peut l’être dans les sitcoms, (on remarquera à ce titre l’important cheptel venu des séries, Spin City, Arrested Developpment ou 70’s show, et qui insuffle un comique assez séduisant), Nima Nourizadeh trouve une alchimie qui permet au mélange de prendre forme. L’aspect comédie n’est jamais trop forcé, la dérision suffisante pour qu’on accepte à peu près tout et n’importe quoi sans qu’on bascule pour autant dans la parodie vaine.
Si la dimension romantique est plus dispensable, dans la série « malgré le destroy et avec lui, vendons la soupe habituelle de la demande en mariage », les séquences dévolues à l’action sont bien menées, notamment dans cette découverte hébétée du junkie sur ses propres talents, pouvant dézinguer un hostile avant de s’en excuser. La séquence finale, qui voit tous les rayons d’un supermarché exploités au service de mises à mort les plus baroques est un petit plaisir à lui tout seul, qui des ampoules aux boites de conserve, des poêles à frire aux marteaux, varie avec une euphorie méchante les exécutions.
On l’oubliera vite, parce que le film n’ambitionne rien de plus que sa propre efficacité. Mais, sur ce terrain souvent si décevant des films d’action, c’est déjà un grand mérite.
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Electra Glide in blue - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 06 Jan 2016, 07:12

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Contusions d’un enfant du siècle.

La petite pépite obscure qu’est Electra Glide in Blue restitue un parcours initiatique, celui d’un flic qui va redéfinir toute l’imagerie américaine.

Ambition
Le portrait initial de John Wintergreen est sans concession : avec son expression frôlant celle d’un attardé mental, sa musculation permanente et son rapport à l’autorité, tout est étudié pour nous le rendre détestable. Voulant quitter sa moto de patrouille pour les bureaux des inspecteurs où « on pense », le flic semble le seul à croire en lui. Droit dans ses bottes, vétéran du Viêt-Nam, on remarque tout de même qu’il ne suit pas ses collègues qui franchissent allègrement la ligne jaune, mais sans que se dessine pour autant le portrait d’un héros auquel s’identifier. A ce titre, sa première affaire, celle d’un suicide qu’il veut à tout prix définir comme un meurtre, le rend pathétique dans son désir de romanesque, et l’on croirait déceler en lui les symptômes d’un bovarysme de la subculture américaine de la deuxième moitié du XXème siècle.

Désillusion
Alors qu’il met le pied à l’étrier, John trouve en Harve, un inspecteur, un mentor possible : on passe de Zipper, son partenaire bas du front, à la figure héroïque tant convoitée. Après les longues litanies sur les motos et les girls, place à un discours sur l’achievement personnel (« My religion is myself »). Le traitement de la parole est fascinant : monologues ineptes, recours à des phrases toutes faites et des formules éculées, tout concourt à montrer des individus vidés, épuisés par un modèle auquel plus personne ne croit depuis longtemps. A ce titre, la longue intervention de Jolene, la girl next door à qui il n’est pas coutume de tendre le micro, est une formidable explosion cathartique : elle y révèle ses frustrations (évidemment, elle se rêvait star à Hollywood), mais aussi l’impuissance d’Harve, et fait voler en éclat toutes les facettes du cowboy et de son cadre si codifié.

(la suite du texte contient des spoils)

Rédemption
Puisqu’il y a bien pire que lui, le spectateur est subtilement invité à changer de regard sur Wintergreen : sa bêtise peut s’avérer une naïveté tout à fait salvatrice dans ce monde corrompu où l’on tabasse les hippies, on piétine des preuves ou on se remplit les poches. Face à ces minables, l’individu plie, mais ne rompt pas : les conséquences en seront catastrophiques, puisqu’il y perdra son modèle, son partenaire, et le poste qu’il ambitionnait. On serait tenté de comparer cet homme à l’Idiot, puni pour son humanité trop grande et pour le regard qu’il pose sur elle. Car Wintergreen aboutit au constat le plus tabou qui soit dans l’Amérique triomphante : la solitude est un mobile de meurtre bien plus puissant que le dollar. Cette psychanalyse décapante est dévastatrice, au point de lui refuser le droit de rester parmi les siens.

Punition
Le retour à la normale, une vie plus modeste mais en accord avec une morale définie, est donc impossible. C’est la splendide séquence finale, qui voit Wintergreen sombrer avec ceux qu’il a contre son gré supprimés, pour un malentendu comme seules les tragédies les plus sournoises savent en ourdir.
Le plan final, travelling arrière interminable, laisse au beau milieu de la route un motard chevauchant le bitume souillé de son sang ; la prise de vue déploie ce décor tant affectionné par Ford, et désormais rincé de tout idéal ; un épilogue ayant toute l’intensité poignante d’un requiem pour une nation.


Reco d'oso, big up pour l'ours ! :super: :super: :super:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar osorojo » Mer 06 Jan 2016, 08:48

Hell yes ! 8) :super:

Le genre de film que tu n'oublies pas, surtout si tu le mates sans en savoir trop ! :mrgreen:
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Ombre des femmes (L') - 7/10

Messagepar Nulladies » Jeu 07 Jan 2016, 07:06

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Les jeunes adultes errent.

C’est à un cinéma étrangement atemporel que nous convie Philippe Garrel. Par la forme d’abord, un noir et blanc velouté qui ne cherche pas à donner l’illusion d’appartenir à une époque révolue qu’on verrait comme l’âge d’or du cinéma, et une vision de la ville ou des mœurs qui pourraient indifféremment appartenir aux quatre dernières décennies. Par le sujet, l’éternelle partition douloureuse de l’amour, de la fidélité et de la définition fluctuante de ce que veut dire aimer, s’engager ou se désunir.
Tout semble modeste ici : la durée du film, 70 minutes, le jeu des comédiens qui ne cherchent jamais à trop en faire, le statut de leurs personnages, vivotant pour se consacrer à leur passion, le documentaire. La mise en abyme est certes évidente, elle n’en est pas moins riche : cette quête de vérité, par les entretiens avec la génération des résistants en voie d’extinction, symbolise autant qu’elle occulte le rapport des jeunes adultes à leur propre existence : qu’est-ce qui, du mensonge ou de la vérité du sentiment, fait d’eux des êtres vivants ?
L’infidélité semble être l’épreuve à partir de laquelle on saura se définir, et sur laquelle le cinéaste différenciera avec une cruauté lucide la différence entre les hommes et les femmes. Sans pathos excessif, il dissèque la lâcheté de l’un, le courage de l’autre, l’aménagement confortable du mari partant du principe que « les hommes sont comme ça », et confronté à la douleur de savoir que sa femme peut aussi aller voir ailleurs.
L’ombre des femmes est un marivaudage qui aurait occulté sa dimension comique, au profit d’une certaine ascèse dans laquelle se loge pourtant une évidence assez confondante. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais d’établir un constat non dénué d’une certaine part de tendresse, voire de bienveillance pour la fragilité humaine, et particulièrement masculine. La femme, mère en puissance, est celle qui sait, qui initie et qui décide, tandis que l’homme croit toujours pouvoir s’en sortir par des détours qui ne font qu’enliser la situation. Ce chassé-croisé, admirablement restitué par des comédiens d’une grande justesse, ne révolutionnera ni l’histoire du 7ème art, ni les vérités sur l’amour. Mais il en dit avec tact et sans effets de manche de nombreuses inflexions.
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Bienvenue à Gattaca - 5/10

Messagepar Nulladies » Ven 08 Jan 2016, 06:59

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Eugénisme, peu de génie.

Dans la série des conversations avec mon moi jeune, Bienvenue à Gattaca se pose comme un objet problématique. Un bon souvenir de ce film vu il y a bientôt vingt ans, et qui je crois n’avait pas non plus fait grand foin à sa sortie, et une aura grandissante depuis, notamment sur Sens Critique où il jouit d’une solide réputation. Pour avoir vu d’autres films de Niccol (le réussi Lord of War, mais surtout, dans la même veine SF, les très médiocres Simone et Time Out) je ne savais plus trop à quoi m’attendre.
Bienvenue à Gattaca partage avec ces deux derniers une idée de départ diablement séduisante, celle d’une dystopie fondée sur la dictature de l’eugénisme.
Dans une ambiance rétrofuturiste et aseptisée, avant l’avènement du tout numérique, Niccol ménage de grands espaces vides, une architecture à la fois stalinienne et technologique, sans qu’on sache exactement c’est la conséquence d’une volonté esthétique ou d’un budget dérisoire. Car de la SF, on nous servira surtout un discours : à l’exception de quelques fusées zébrant (assez laidement) le ciel, tout se résumera ici à une diode rouge ou verte et des douches de flammes.
On reconnaitra à Gattaca la capacité à construire une atmosphère prenante, nimbée d’une mélancolie soutenue par le score comme souvent splendide de Nyman.
Mais l’édulcoration visuelle ne fait pas toujours mouche : à l’exception de la très belle séquence du lever de soleil sur les panneaux photovoltaïques, la photographie a tout de même bien vieilli, souvent filtrée par une nappe verdâtre du plus mauvais, et la mise en scène n’est pas particulièrement efficace. L’écriture ne sauve pas non plus l’ensemble : linéaire, assez simpliste, fondée sur des récurrences (le retour de la nage des deux frères, (et le retour du frère, tout simplement) franchement, il fallait oser…), elle ne parvient presque jamais à transformer l’essai d’une exposition assez prometteuse. Le lien entre les deux complices aurait pu recéler une complexité autrement plus fascinante, au lieu de cette binaire dichotomie à laquelle on ne s’intéresse pas plus que cette idylle en toc ; certes, l’inexpressivité des comédiens est sans doute volontaire dans ce monde où on les transforme en machines performantes : ça ne dispensait pas le réalisateur de donner chair à son récit et ses personnages. Lorsqu’on pense à des figures comme celles qui peuplent Blade Runner, l’archétype rare du film de SF qui ne vieillit pas, Gattaca révèle encore davantage ses faiblesses. Et si l’épure n’est certes pas à son programme, d’autres exemples, comme Moon ou Ex Machina suffisent à prouver qu’on peut livrer une partition foisonnante sur l’individu confronté à l’agression de son intégrité par la technologie.
Ici, Niccol se contente de quelques passages obligés de thriller bas de gamme (traverser une route pour un myope, monter un escalier pour un infirme), autour d’une histoire téléphonée de meurtre mettant en danger le protagoniste. Tout cela appauvrit considérablement tous les enjeux réels du sujet, qui reste véritablement à exploiter par un scénariste chevronné… et un cinéaste moins frileux.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar pabelbaba » Ven 08 Jan 2016, 08:17

Va falloir encore attendre un peu avant de se remettre dans les films des 90s et que ce "mauvais goût" se transforme en "cachet". Parce que, il était pas mal quand même, avec de bonnes idées.
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Sinon, oui, j'aime les nibards. :chut:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Mark Chopper » Ven 08 Jan 2016, 09:00

Sa sobriété lui permet de très bien passer les années. Pour le coup, le cachet 90's est peu marqué.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar osorojo » Ven 08 Jan 2016, 09:11

C'est marrant, j'ai fait le chemin inverse. Vu jeune et ça m'avait gavé, revu plus tard et beaucoup aimé :mrgreen:

C'est vrai qu'on peut vite se sentir blasé devant une histoire qui finalement fait un peu du surplace (les enjeux sont vite définis et finalement jamais ils ne seront transcendés, le schéma prévisible du début se vérifie dans ses grandes lignes) mais le point fort de Gattaca c'est son ambiance et son visuel. Pour le coup, j'capte pas trop tes reproches sur une photo vieillissante, c'est vraiment pas le souvenir que j'en ai ^^

Mais en lisant ton texte, j'ai l'impression que t'étais pas in ze mood pour ce genre de film, si ? ^^
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Moissons du Ciel (Les) - 8/10

Messagepar Nulladies » Sam 09 Jan 2016, 07:19

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Au commencement étaient les herbes

Il fut un temps, aujourd’hui reculé, où Malick racontait des histoires. Revenir aux origines de son cinéma, avant la grande ellipse de sa carrière et son retour désormais un peu trop prolifique, permet de déterminer la naissance d’une esthétique et les origines d’une symbiose cinématographique.
Dès son premier film, Terrence Malick pose les jalons d’une poétique qui n’appartient qu’à lui. C’est d’abord le recours à la voix off, dont l’identité reste un temps mystérieuse, encore mal assurée par l’enfance et déjà un peu brisée par l’aridité de l’existence.
C’est ensuite, bien entendu, une place prépondérante accordée à la nature. Mais à la différence du panthéisme enthousiaste des terres virginales de La Ligne Rouge ou du Nouveau Monde, c’est à une terre travaillée par l’homme, à la fameuse sueur de son front biblique, que s’attache ici le jeune réalisateur. Si le film s’ouvre sur les hauts fourneaux de l’activité industrielle, bouche d’enfer devant laquelle a lieu le meurtre fondateur qui conduira le protagoniste à l’exil, c’est pour surligner le contrepoint avec les étendues fertiles du nouveau monde dans lequel la rédemption sera possible.
Les tableaux se multiplient, au son magique d’une mélodie devenue depuis l’incarnation même du 7ème art, le Carnaval des animaux de St Saëns : c’est l’infinie variation des ciels, des aubes aux crépuscules, l’herbe qui se courbe aux aléas d’un climat bienveillant, et la douce paix d’un lyrisme élégiaque. Mais Malick ne restitue pas pour autant l’Eden : omniprésente dans ces plans d’ensemble magnifiant l’étendue sans limite du grenier de l’Amérique, la demeure du maitre rappelle le monde laborieux des hommes et la distinction des classes.
Le monde se meut, et s’emballe plus rapidement que la succession des saisons : c’est là le dérèglement d’où va sourdre la tragédie humaine. Les machines investissent le champ, les avions zèbrent le ciel, et si l’homme y trouve de quoi se réjouir (notamment grâce à la découverte du cinématographe), c’est aussi dans ce labeur et cette nécessité que naissent avidité et convoitise.
L’innocence d’un amour qui se cache aux bords de l’eau pure (thème récurrent chez Malick) ne pourra perdurer, et verra le feu de la haine faire son inéluctable retour, assaillir la terre et souiller les airs. La Nature meurtrie par la folie des hommes va ainsi prendre en charge la catharsis par une apocalypse dans laquelle Dieu, bien que muet, semble encore présent : les crickets qui ravagent la récolte et conduisent à l’autodafé attestent d’un châtiment bien supérieur au humains.
Quant à l’eau, la dernière course qui en éclabousse la surface se fera sous les balles.
La parabole s’achève ainsi dans une certaine noirceur, celle d’un retour à la ville qu’on avait fuie vers des jours illusoirement meilleurs, ces fameux days of heaven. La roue tourne, et la nouvelle génération s’approprie le décor pour redéfinir une nouvelle liberté affranchie de la bienveillance de la nature, le longs d’une voie de chemin de fer, mais non moins lyrique, clin d’œil ému à la course finale des 400 coups.
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Huit salopards (Les) - 7/10

Messagepar Nulladies » Dim 10 Jan 2016, 06:33

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8 hommes en polaires

On pourrait gloser des heures sur chaque nouvel opus de Tarantino, attendu comme le messie par les uns, avec les crocs par les autres.
On pourrait aussi simplement dire qu’il fait des bons films, et qu’en cinéphage ayant vibré toute sa vie durant devant un écran, il tente de rendre la pareille à ses semblables.
On a cru un moment que Les 8 salopards était un projet hors-norme : ce n’est pas le cas. Certes, Tarantino est désormais suffisamment sûr de lui pour faire ce qui lui chante, et se permet en cela une gestion du rythme ou un travail de l’image qui participent avant tout d’une passion personnelle, qu’on partagera ou non : sur certains aspects, son film est à prendre ou à laisser, et sa principale réussite et de ne pas trop laisser le spectateur de côté.
Le projet s’articule autour de deux priorités : l’écriture, et l’image.
Entre son interminable trajet initial et l’installation de la petite communauté dans le huis clos, Tarantino fonde tout son film, et non pas son récit, sur le dialogue : on devise sur l’identité de chacun, on ancre (avec une certaine insistance poussive) le contexte post guerre civile, et l’on y va de sa petite anecdote. Le temps peut sembler un brin long, mais la promesse de lendemains sanglants fait curieusement tenir l’édifice, et une insidieuse tension se met en place.
Car l’écriture fictionnelle est avant tout une mise en abyme : chaque personnage raconte une histoire, s’invente une identité ou un accessoire narratif qui pourra potentiellement basculer au profit d’une contre-vérité. Cette machine bien huilée, fabrique de fiction, est la jubilation malicieuse du cinéaste, qui a toujours ponctué ses récits de digressions, de Reservoir Dogs et sa dissertation sur Like a Virgin à Pulp Fiction et cette fameuse destinée de la montre en or.

Mais contrairement à l’emphase baroque des Kill Bill ou Django, Tarantino modère ici ses effets de manche : en huis clos, il se concentre sur la parole et laisse la dynamique sourdre du mouvement des relations retorses entre les personnages. C’est tout à son honneur, car il prête moins le flanc à la frange habituelle de ses détracteurs, qui voient en lui un sale gosse compilateur et clinquant, incapable de se poser. On a certes le droit à quelques petites coquetteries, comme le retour sur une scène à la Rashomon, ou un long flashback permettant la relecture du début, procédés déjà maintes fois utilisés chez Tarantino, de Pulp Fiction à Jackie Brown Mais cette quasi austérité n’est pas pour autant totalement maîtrisée : le film est presque tout entier dédié à Samuel L. Jackson, qui certes le mérite bien, mais au risque d’écraser ses partenaires, qui manquent singulièrement d’épaisseur pour lui donner réellement le change. On voit, a posteriori, surtout là des candidats à la mort violente en attente de leur tour avec une certaine résignation.

On attend tout de même un temps bien long avant que n’éclate LA grande scène, de celles que Tarantino maitrise comme personne, à l’image de l’ouverture d’Inglorious Basterds ou du repas avec Di Caprio dans Django, mélange intense de tension sourde et de jubilation. Ce sera le fameux récit, savamment disposé avant l’entracte, de la mise à mort (supposée) du fils du général sudiste, visant à provoquer un duel. Morceau de bravoure, découpage, jeu, tout le talent du cinéaste est ici concentré.

Le deuxième angle est donc celui de l’image.
Filmé en 70 mm, projeté dans des conditions exceptionnelles avec prologue et entracte, le film a un cachet qui pourrait sembler factice, mais qui lui donne en réalité une âme (qui lui fera probablement d’autant plus défaut dans un format habituel en numérique). Avoir recours à du 70 mm pour un film en huis clos est tout de même particulièrement audacieux, mais le résultat est splendide car étudié au cordeau : la lumière, les contrastes, l’exploitation de l’espace, où chaque personnage occupe une place éminemment stratégique dans cet univers très proche d’Agatha Christie. Tarantino joue avec le hors champ, explore sous tous les angles cette petite boutique des mensonges aux obscurités chamarrées dans laquelle filtre une poussière volatile et des scintillants flocons.

(Spoils)
Après l’entracte, l’emballement autorisé par les premiers coups de feu va déchainer les passions. Dans un bain de sang qui évoque à la fois Reservoir Dogs et la paranoïa de The Thing, le jeu de massacre l’affirme haut et fort : l’omnipotent puppet master fera valser ses pantins avec un plaisir cruel. Le western flamboyant est crépusculaire comme celui des prestigieux aînés, de Peckinpah à Léone, usant jusqu'à la parodie tendre les ralentis et les mines patibulaires. Cynique, gore, explosant autant les membres, les crânes que les cloisons dans lesquelles on avait au préalable cloués les protagonistes, le récit procède par une tabula rasa moins cathartique que ludique, un jeu de chaise radicale. Soldons les comptes, faisons taire les mensonges par l’unique vérité, celle de gerbes de sang.

Film de la maturité ? Meilleur film de Tarantino ? Non : Les 8 salopards est un film de Tarantino, qu’il a probablement réalisé avec le même plaisir que les précédents. Un film dans lequel il s’amuse, joue avec les mensonges rutilants de la fiction et le matériel prestigieux d’antan. C’est là sa limite, mais aussi la raison pour laquelle on peut l’aimer : les yeux écarquillés et le sourire aux lèvres.
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I Origins - 3/10

Messagepar Nulladies » Lun 11 Jan 2016, 06:36

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De l’ascensumophobie comme ouverture vers la foi.

Je ne sais pas trop comment je me suis retrouvé avec cette petite chose sur mon disque d…dans ma platine DVD. Une attirance pour l’affiche, peut-être, un ou deux échos lointains peut-être favorables. Comme je prends toujours soin d’en savoir le moins possible sur les intrigues, j’ai lancé le film en toute bonne foi, toute bienveillance, tout ça.
I origins a ce petit grain faussement indé qui peut séduire, et les débuts de notre amourette à blouse sont pour le moins séduisants : on y croit presque, c’est mignon tout plein, même si l’on sent bien qu’on n’est pas chez Baumbach et qu’il va bien falloir finir par nous vendre un truc.
Alors voilà que se pointe un débat sur les limites de la science et l’ouverture possible à la foi en un monde spirituel. Mike Cahill prend tout de même certaines pincettes, nous délaye sa sauce dans un cadre adulescent, avec mentos à la fraise et musique pour jeunes, un triangle comprenant une presque moche et un Michael Pitt à qui on l’a fait pas, pas du genre à se faire enfiler à l’insu de son plein gré sur le chemin de St Jacques de Compostelle.
Puisqu’au bout d’un moment, le bonheur, c’est bien beau mais ma brave dame, c’est pas ça qui vous pond un élément perturbateur, on fait intervenir un ascenseur qui va scinder le film, (et le personnage) en deux.
Et là.
Et là, mes amis, les gars ont dû organiser une conférence internationale avec Loréal, Kerastase, Schwarzkopf, Timotei et Garnier pour définir la capillotractation du siècle.
Genre : le mec est spécialiste des yeux. Hasard : son fils a les mêmes yeux qu’un vieux black (je vous passe les détails de l’enquête, même Oui-Oui a plus de mal dans les siennes) et donc, pourquoi pas aussi sa défunte dulcinée ? Ce serait incroyable. C’est statistiquement impossible. Allons donc faire un tour du côté de Slumdog Millionnaire pour nous en assurer.
Et là, donc, miracle, révélation, cieux qui s’ouvrent, me voilà en présence d’une gamine des bidonvilles qui grâce à ma persévérance et mes leçons low cost sur le life achievement (soulever un caillou sans rien trouver dessous, c’est déjà trouver quelque chose, nianiania…), va me faire passer du côté lumineux de la foi.
Parce que c’est pas les statistiques qui prouvent la réincarnation : 44% de réussite au memory de ta vie antérieure, on a vu mieux comme score.
Nan, mec, on a mieux : la preuve, c’est l’ascensumophobie.

Occasion de placer un joli mot, et d’applaudir d’une main, l’autre recouvrant la totalité de mon visage.
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