Scarface - Brian De Palma (1983)
"You know what capitalism is ? Getting fucked !"
Sorti de l'échec commercial de Blow Out et quelque peu conscient du fait qu'il a (presque) fait le tour de sa période hitchcockienne, Brian De Palma voit la décade 80 comme celle de l'entrisme par la voie du cinéma d'entertainement, où sa mise en scène doit davantage se réfléchir en fonction de scripts éloignés en apparence de ses obsessions, un choix payant qui verra naitre quelques unes des plus grandes œuvres de ce cinéaste tant d'un point de vue formel que thématique, Scarface en fait bien entendu partie.
La raison de la réussite de ce film de gangster (et accessoirement remake d'un film des années 30), c'est qu'il est la conjugaison parfaite de deux talents, De Palma ayant parfaitement capté l'essence jubilatoire et instantanée du script d'Oliver Stone, qui en adaptant le tout dans le contexte brûlant de son époque avec l'arrivée massive d'immigrants cubains sur les côtes ricaines au début des années 80 décrit avec pertinence avant tout le monde la vulgarité, la superficialité et le manichéisme de la société américaine d'alors où le mythe tant vanté du self made man s'écroule littéralement : ici pas question des valeurs nobles, au contraire, il ne faut pas hésiter a tuer son prochain pour se faire du fric et surtout les fortunes se font aussi vites qu'elles se défont. Choses qui sont parfaitement retranscrites par la réalisation de De Palma qui oscille entre ses gimmicks élégants habituels (plongées, plan-séquences, etc...) et d'autres choix qui ont valu au film d'être taxé de kitsch alors que ceux-ci collent parfaitement a l'ambiance du film, a l'instar de ces plans de grue faciles en l’occurrence qui séparent la richesse de la pauvreté (celui qui démarre sur les belles autoroutes avant de plonger dans les bidonvilles, ainsi que celui du panneau Little Havana pour mieux finir sur un petit fast-food miteux) ou de ce montage sur fond de pop 80's avec ses raccords digne de Thierry la Fronde. Oui, le film en fait des caisses, c'est justement sa capacité a mettre les pieds dans les plats pour mieux embrasser son propos qui rend Scarface toujours aussi fascinant a revoir aujourd'hui, d'autant qu'il enquille les morceaux de bravoure comme la séquence de la douche, l'émeute dans le camp ou ce gunfight final dans le manoir de Tony où De Palma laisse transpirer quelques effluves westerniennes qui ne sont pas pour me déplaire.
Ceci dit le film ne serait pas complètement abouti s'il n’était pas tenu par un interprète principal de haut vol, en l’occurrence Al Pacino, qui nous livre une performance rageuse comme il les aime en petit latino brutal, loin d'être con, adepte de la tchatche qui claque (c'est un euphémisme de dire qu'il y a un nombre incalculable de punchlines en VO) et arrive même a rendre un tantinet sympathique ce personnage minable dans ses contradictions, cherchant a la fois la crainte de ses ennemis et l'amour de ses proches (surtout les femmes en fait), sans se rendre compte que cela est tout bonnement impossible étant donné l'univers qu'il fréquente. D'ailleurs, il est marrant d'apprendre que le film avait été catalogué de raciste pour sa peinture de la communauté cubaine aux states, alors que justement le film s'attache a ne jamais prendre l'exemple de Montana comme glorieux et dépeint en parrallèle, l'idée d'un socle qui se sait se contenter du minimum pour ne pas céder aux sirènes de l'argent (la scène où Tony revoit sa mère et sa sœur est bien amenée, jamais fausse). Dernier point qui vient compléter ce tableau de rêve, la BO de Giorgio Moroder qui était le meilleur choix que l'on pouvait espérer pour illustrer cette odyssée de la superficialité avec ses sons dansants immédiats entrecoupés de thèmes plus sombres. Film ultime sur les années fric et l'idée du rêve américain qui s'offre a n'importe quel quidam pour peu qu'il ose mettre les mains dans la merde, Scarface passe le cap des années avec brio, preuve s'il en est de la modernité de son propos et de l'immense qualité de sa fabrication avec un rythme brillament géré du long de ses 3h de projection.
"This is paradise, I'm tellin' ya. This town like a great big pussy just waiting to get fucked."
10/10