Vintage daydream
Ratio nostalgie
Reconnaissons-le : il n’est point nécessaire d’être un fanboy de l’univers de Star Warspour se prendre au jeu qui, depuis presque deux ans, agite la planète ciné. Fébrilité planétaire, teasers plus qu’émoustillants, un réalisateur bien malin aux commandes : le moins qu’on puisse dire, c’est que la phase préliminaire de cette relance fut un succès.
Le défi était de taille : il s’agissait de trouver ce juste milieu permettant de gommer les erreurs de la trilogie seconde, pourtant du démiurge Lucas, entièrement dominée par les technologies trop nouvelles et une naïveté confondante, inféodée à la domination du jeu vidéo et au récit fondateur duquel elle se voulait le prologue. Lucas était prisonnier, et l’est d’ailleurs toujours, qu’on constate ses retouches numériques permanentes aux rééditions de son écrasante progéniture.
J.J. Abrams était le choix parfait, le gendre idéal du genre : un enfant de la saga, un héritier digne, un geek plein de gratitude pour la génération précédente, trouvant l’équilibre entre la tradition (Super 8, Star Trek) et la modernité (Lost, Cloverfield).
En situant la suite 30 ans après les faits, précédents, c’est bien du temps réel qu’on traite : les comédiens originels auront vieilli, et avec eux leurs premiers fans. La nouvelle génération découvrira non pas les racines du mal (comme dans la prélogie de Lucas), mais les conséquences d’une épopée fondatrice, malicieusement et solennellement annoncé dès la bande annonce par un Han Solo annonçant que « tout est vrai », porte-parole d’une génération d’initié ravie de réactiver le mythe.
Les raisons du plaisir
Le réveil de la force n’arrive pas seulement après 6 opus, mais dans un contexte où le blockbuster fait la loi. Il lui faut redonner ses lettres de noblesse à un univers et se distinguer, si possible, de tout ce qui gangrène la production hollywoodienne, moribonde en terme d’inspiration SF, à l’exception notable du sémillant Gardiens de la Galaxie il y a quelques années. Mais là où le Marvel se distinguait par l’humour et la dérision décomplexée, Le Réveil de la Force prend à bras le corps les thématiques qui ont fait sa trilogie originelle : celles, avant tout, d’une tragédie familiale.
C’est bien là l’une des réussites majeures de cet épisode que de resserrer les liens, dans tous les sens du terme : les destins sont ceux d’individus, et non des palabres politiques qui empesaient considérablement les épisodes I à III.
Abrams sait ce qu’il fait, et sur quel terrain il s’engage : ce n’est pas pour rien que sa protagoniste se trouve être une pilleuse d’épaves : c’est non seulement l’occasion de splendides prises de vues sur les vaisseaux de l’empire ensablés, mais aussi une mise en abyme de la place du réalisateur lui-même face au monument. Jouant des allées et venues entre les deux générations, le récit est habile à plus d’un titre : il renouvelle comme il cite à tour de bras, jusqu’à la caricature assumée, d’un droïde détenteur d’une donnée essentielle à une nouvelle étoile noire, plus grosse et solaire ; mais c’est pour mieux solder les comptes, lors d’une séquence qui se révélera LE spoil du film, et qui fonctionne comme un chiasme mythologique sur la passerelle fondatrice de la filiation tragique, vers une nouvelle phrase séminale : "Je ne suis pas ton fils".
Le sabre des origines est passé comme un relai, et les bases de la nouvelle trilogie sont posées avec un soin méticuleux, qui sait émouvoir autant qu’il ravit les nostalgiques.
Rock around the blockbuster
Que dire enfin du film épique de SF attendu ? Qu’il réjouira presque toutes les attentes. A une ou deux séquences près (la libération des poulpes cyclopes, assez laide, et un très petit ventre mou après l’entrée en scène de Solo), la vigueur est bien présente. Abrams film au ras du sol, virevolte dans les airs, cite le space opéra des origines et lui donne la fluidité requise, sans tomber dans la modernité à outrance qui rendait si laide la seconde trilogie. Certes, la CGI est bien présente, mais on se prend à déceler du latex tendrement 80’s dans la riche galerie des créatures, et l’aspect usé des vaisseaux, la rouille et la poussière renvoient à cette nouvelle tendance fortement bienfaitrice qu’a initié Mad Max Fury Road (et avec qui il partage aussi cette salutaire mise en avant de la femme) : celle d’une retour possible d’un certain grain, d’une authenticité presque naïve et touchante. Le retour de la nature (particulièrement diversifiée, du désert à la neige, de la forêt pour un très beau combat nocturne à l’océan final) en est l’un des beaux signes visuels.
Le pari est donc emporté, et haut la main. L’épisode VII renvoie à sa juste place les trois premiers, de la même façon que la Renaissance ignora le Moyen Age pour s’abreuver aux sources de l’Antiquité. Un sursaut de vigueur qui trouve dans le passé vintage une puissance agréable, et dans tous les sens du terme, , un réveil de la force.