Duel de Steven Spielberg
(1971)
A l'heure où le 29ème long-métrage de Steven Spielberg sort en salles, il est bon de se pencher à nouveau sur son premier essai cinématographique. Car bien qu'il soit un téléfilm à la base, Duel est bel et bien un objet de cinéma, ne serait-ce que par la façon dont il est pensé et fabriqué. Les producteurs d'Universal ont eu le nez fin à l'époque : ressortir ce film dans une salle de cinéma était clairement la chose à faire, tant Spielberg démontrait déjà des talents inouïs de mise en scène malgré son jeune âge. Encore aujourd'hui, Duel s'impose aisément comme un summum de l'exercice de style : un personnage principal, une voiture, un camion, la route typiquement américaine, une poignée de personnages secondaires, et le tour est joué. Si l'ambition de Duel n'est clairement pas sur le plan scénaristique (et encore, captiver son audience sur des éléments aussi simples mérite forcément un travail d'écriture), c'est davantage dans la façon dont Spielberg gère le tout que le film se révèle hautement fascinant.
Travail sur le son (la radio au début qui multiplie les mauvaises nouvelles), sur l'évolution du héros, sur la direction d'acteur (Dennis Weaver, étonnant), ou tout simplement sur la mise en scène (le film multiplie les plans marquants, comme celui où, pour la première fois, on nous dévoile le camion dans son intégralité), Duel est un métrage qui étonne de par son apparente simplicité, mais qui cache néanmoins, à mon sens, un véritable propos sur le lien entre l'américain moyen et l'icône automobile à laquelle il est forcément lié, et dont il doit se séparer pour pouvoir survivre (alors que, ultime paradoxe, elle lui permet aussi de survivre). Une simplicité qui découle aussi d'une courte durée, encore que je serais très curieux de voir un jour le montage télévisuel original, vu que je décèle quelques longueurs dans la course-poursuite finale qui, à mon avis, sont les fameux ajouts de la version cinéma. Forcément, avec le regard actuel, on devine les prémices d'un certain Jaws dans la façon de créer le suspens, hérité d'Alfred Hitchcock, qui était la grande influence de Spielberg à l'époque (cela se ressent jusque dans le score, très Hermannien dans l'esprit, avec plusieurs passages qui renvoient à Psycho). C'est peut-être d'ailleurs là le seul véritable défaut du métrage, propre à l'exercice de style en tant que premier film : celui de déceler derrière un cinéaste qui n'avait pas encore acquis son identité formelle et thématique, et qui se contente de bien faire. Reste que le film mérite encore son statut de référence : un exercice de style maîtrisé, et un premier film exemplaire.
8/10