[Nulladies] Mes critiques en 2015

Modérateur: Dunandan

Lobster (The) - 6/10

Messagepar Nulladies » Jeu 26 Nov 2015, 06:41

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Société profasciste des animaux.

The Lobster fait partie de ces films qui font les frissons de l’annonce de la sélection, quelques mois avant le festival de Cannes : un pitch singulier, un casting de rêve prêt à se compromettre, et la machine à fantasme est lancée.
De fait, toute la force du projet réside bien dans son exposition : découvrir avec le personnage les mécanismes de cette dystopie dans laquelle le célibat est un crime, et l’amour réduit à une compatibilité physique, le plus souvent une tare (myopie, saignement de nez, infirmité…). Yorgos Lanthimos a toute les cartes en main, et sait les distribuer avec une avarice efficace : la passivité mécanique de Colin Farrel, le glacis d’une photo froide sur un hôtel carcéral participent à la mise en place d’un effroi non dénué d’humour noir.
Alors que le protagoniste a 45 jours pour trouver l’amour, on assiste aux diverses stratégies de ses compagnons d’infortune pour échapper à la solution finale, celle d’être transformé en animal. Idée saugrenue et poétique, finalement assez peu exploitée, si ce n’est dans le défilé exotique qui peuplera la forêt de la deuxième partie, et dans la compagnie du chien, qui fut un jour le frère du personnage principal.
Le récit atteint son sommet dans la tentative de construire un couple avec une femme dénuée de tout sentiment. David imagine que feindre l’indifférence sera plus facile que cacher des sentiments qu’il a réellement. Se construit alors une relation glaçante, petite fable à l’intérieur de la grande, où le couple est un univers proprement concentrationnaire, et le personnage contraint à choisir entre une norme inhumaine et une révolte inconfortable.
Le film aurait clairement dû s’arrêter là, mais nous n’en sommes malheureusement qu’à la moitié.
En passant du côté des Solitaires, David réapprend un nouveau code, en miroir du précédent : ici, on tranche les lèvres de ceux qui s’embrassent, et on va semer la discorde chez les couples formés par le programme fascisant. La démonstration est plus qu’appuyée, et notre héros, un peu veule et ne cherchant qu’à survire, s’y soumet avec la même passivité qu’auparavant. Léa Seydoux, regard dur en chef de rebelles sous bâche plastique, est aussi peu convaincante qu’elle l’était en vamp dans Spectre, et on se serait volontiers passé de sa présence. Beaucoup trop longue, la deuxième partie du film s’enlise, ennuie fermement et tente laborieusement de grossir les noirs traits de la morbidité.
On aurait sans doute mieux accepté cette absence assumée de message si le film n’avait été si démonstratif sur sa deuxième moitié. L’absurdité, oui, la satire d’une société qui nous promet, voire nous force au bonheur, certes. Mais en inventant de nouvelles règles encore plus arbitraires, le réalisateur semble s’enfermer dans un autre totalitarisme, celui de sa propre écriture : à trop vouloir accabler ses personnages, il ne laisse plus grand-chose émerger. La gratuité de sa cruauté l’emporte sur le fond, et accouche d’une fable noire finalement assez prétentieuse.
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Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours (Le) - 8/10

Messagepar Nulladies » Sam 28 Nov 2015, 06:29

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Lenteur et décadence.

Nous voici donc au cœur du sujet : Les Deux Tours peut se reposer sur la majestueuse exposition de La Communauté de l’anneau et se tendre vers son objectif, la première grande bataille du gouffre de Helm. Entre les deux, la narration change et toute une dynamique de l’expansion se met en place. La dissolution de la communauté permet en effet une fragmentation du récit qui voit les différents protagonistes alterner des quêtes parallèles, donnant l’occasion aux différents peuples de prendre position face aux enjeux de plus en plus amples. Les alliances permettent ainsi de rendre visite aux différents royaumes humains, le Rohan et Gondor, d’évoquer les tensions entre elfes et nains, tout comme les peuples rejoignant les forces obscures, dont l’organisation semble implacable

Le récit est non seulement choral, mais il recourt aussi aux flashbacks, notamment dans la relation entre Aragorn et Arwen, ou la fratrie Faramir & Boromir. C’est dans ces divers méandres que la version longue arrive à certaines limites : très discursive, elle plombe la dynamique générale, s’encombre de répétitions, de récapitulations inutiles qui donnent par instant le sentiment de voir plusieurs épisodes d’une série à la suite. On peut d’ailleurs s’amuser à constater à quel point la lenteur des Ents qui exaspère Merry et Pippin peut faire figure de mise en abyme sur le récit général…

L’un des points centraux de ce deuxième volet est l’arrivée de Gollum : le trio formé par cette créature avec Frodon et Sam apporte une véritable richesse psychologique : la schizophrénie de cet être consumé par l’anneau, l’empathie de Frodon et la défiance de Sam, les ravages causés par les hommes, encore eux, sur celui qui aurait pu s’en sortir permettent un écho habile à la quête générale et aux agitations des foules. La créature, entièrement de synthèse, est une véritable prouesse qui permet, pour la première fois, la coexistence d’une véritable expressivité sentimentale d’un visage avec les mouvements du corps.

La marque de fabrique de Jackson fonctionne à plein régime : les décors naturels sont grandioses et la progression dans l’espace fédère tous les personnages, des marches collectives sur la lande à la trajectoire de plus en plus laborieuse de Frodon, entre marais, montagnes et forêts profondes. La nature est toujours un protagoniste de choix, et sert d’écrin de luxe à la fantasy qui se marie avec elle à la perfection, pour des images le plus souvent saisissantes, comme l’irruption du Nazgül et de son dragon sur les murailles en ruine.

Le mérite de la longueur est bien entendu de préparer à la bataille finale, cet apogée temporaire qu’est le gouffre de Helm. L’attente est certes languissante, mais les promesses sont tenues. L’armée de dix mille uruk-hais dans la nuit pluvieuse est d’une épaisseur jamais atteinte auparavant, et l’assaut de la forteresse, les travellings le long des murailles gérés à la perfection par un Jackson omniscient, tant dans les pastilles de détail que l’embrassement épique des plans généraux.

Tout est donc réussi : le premier opus a permis à l’univers de s’imposer et aux personnages d’exister, le deuxième de complexifier l’ensemble et d’exhaler un souffle épique sans commune mesure.

Nous voilà donc prêts pour l’expansion totale et grandiose de tous ces éléments : Le Retour du Roi.
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Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 28 Nov 2015, 06:30

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Bavards du crépuscule

Alors que Les Deux Tours proposait de réels changements de directions avec la dynamique de La Communauté de l’anneau, le Retour du roi souffre a priori d’une certaine redondance avec le chapitre précédent : prolongation du trio Frodon/Sam/Gollum, répétition de la structure convergence et fédération des deux camps avant la grande bataille finale, qu’elle soit de Helm ou de Minas Tirith.
C’est donc sur le principe de l’expansion que va s’organiser ce chapitre final. Toujours puissamment organisé sur une exploration de l’espace, c’est entre les pôles de Minas Tirith, Minas Morgul et le Mordor que se poursuit la quête, dont l’emphase s’exprime avant tout par la verticalité : les prises de vues sont vertigineuses, du surplomb de la cité blanche sur la plaine ou de la montagne à gravir pour Frodon. La maitrise de Jackson est ici à son apogée, et occasionne des tableaux grandioses, de la succession des feux d’alarmes sur tout le territoire au jeu des échelles entre les individus et les imposantes structures dans lesquelles ils se débattent, notamment dans la chute de Denethor en torche humaine ou l’avancée de son fils sous les flèches d’Osgiliath. Cet équilibre entre le pathétique et le spectaculaire est la grande réussite du film, celle qui justement fera défaut à la trilogie du Hobbit, totalement inféodée à la surenchère vidéoludique.
Certes, on pourra tout de même reprocher certains excès. Gandalf, en narrateur pour bande-annonce, intervient plus que de raison pour annoncer de façon solennelle que « l’échiquier se met en place », ou autres variantes du même type. Les délires de Denethor et son bûcher viennent alourdir une action déjà bien dense, et certaines conversations pourraient être abrégées.
Mais la longueur est une nouvelle fois au service de la tonalité générale, bien plus sombre que pour les deux premiers opus. A mesure que convergent mercenaires, orques et mûmakils, la fragilité humaine ses failles se dévoilent : dans la collectivité incapable de solidarité, parmi les individus, du père indigne à l’ami bafoué, Sam, véritable héros au cœur pur.
C’est sans doute la raison pour laquelle on insiste tant sur le rôle des minorités dans le futur combat, de dame Eowyn à Merry, qui insufflent par leur foi l’épaisseur humaine et l’énergie du désespoir. Si la première bataille déchaine tout l’attendu du film épique, la dernière, sacrifice désespéré en écho à la déchirure vécue par Frodon face à la fin de l’anneau, parvient à insuffler la noirceur des forces assaillantes.
La lutte prend des proportions cosmiques : c’est la montée en spirale sur les forteresses blanches de la ville, la rivalité entre la lourdeur d’un côté (les Nazgûl, l’extraordinaire bélier contre la porte, les catapultes) et l’agilité de l’autre (la féminité d’Eowyn, la grâce volatile de Légolas, l’immatérialité brumeuse de l’armée des morts).
On n’épiloguera pas sur l’épilogue qui s’éternise.
Il fallait tenir les promesses d’une escalade dans l’épopée, d’une constance dans l’humanité des personnages et dans l’effroi suscité par cette attraction maléfique : Le Retour du Roi est à la hauteur de ses multiples quêtes.
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Grand Saut (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 29 Nov 2015, 06:49

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L’étreinte glorieuse.

On est aujourd’hui familiers de l’hétérogénéité générique de la carrière des frères Coen, qui se baladent avec la même aisance entre la comédie et le film noir, les délires psychédéliques et l’introspection. En 1993, le public et la critique le sont bien moins, et l’après Barton Fink en déconcerte plus d’un.
La Grand Saut a tout d’une fable de Noël, s’inscrivant délibérément sur les traces de Capra et de sa Vie est belle, et dans la veine du screwball, atténuant la puissance émotionnelle du modèle. Les personnages sont des archétypes, la tonalité est bon enfant et l’intrigue suffisamment tirée par les cheveux pour qu’on n’aille pas lui reprocher ses ficelles. Le recours à un narrateur le confirme, et à plus forte raison une scène assez délicieuse où deux piliers de bar commentent les manœuvres éculées de la journaliste pour se faire remarquer par le pigeon qu’elle veut ferrer, joli exercice de mise en abyme ou les cinéastes paient leur tribu à toute une tradition de l’âge d’or du film noir.
C’est d’abord par son énergie folle que le film se distingue : assumant pleinement leurs rôles caricaturaux, les comédiens s’en donnent à cœur joie pour être à la hauteur : c’est particulièrement vrai pour Jennifer Jason Leigh, au débit de compétition, à la fois garçonne dans un monde d’homme et femme en devenir, face à la jovialité crétine d’un Tim Robbins élastique comme Jim Carrey et le cynisme au cigare du patriarche Paul Newman.
L’intrigue comporte son lot attendu de comique de situation, de mensonges et d’émotion bon en enfant, le tout quasiment dénué de temps mort, multipliant la galerie de personnages truculents comme on en voit depuis les origines chez les frangins, notamment dans Miller’s Crossing.
Mais la véritable jubilation du film est ailleurs : c’est avant tout un exercice de style visuel. Dans un New York expressionniste évoquant le Metropolis de Lang, les frères Coen se régalent. Tout est forme, et l’espace démesuré devient un personnage à part entière, de cette table rutilante, piste d’envol vers le vide au bureau donnant sur l’horloge, de ces vides hyperboliques, signes extérieurs de richesse et indices d’angoisse profonde. Le motif du cercle, gimmick assez génial sur l’invention à venir, sature toutes les étapes du récit et ajoute au fantasque des personnages une fantaisie plastique en tout point savoureuse.
Car la combinaison de cette gestion spatiale et du tempo confère au film une force de frappe redoutable, en témoignent ces scènes maitresses de la fabrication du hula hoop : à la fois satire de la bureaucratie et ode au marketing naissant de la fin des 50’s, le film oscille entre la perfection plastique du Playtime de Tati et la charge baroque du Brazil de Gilliam.

On aurait donc bien tort de considérer ce film comme une pochade mineure dans la filmographie des frères Coen. S’il est certes moins ambitieux ou âpre, moins acide ou grave que leurs plus grands chefs-d’œuvre, il est le témoignage d’une jubilation cinématographique dont peu d’auteurs peuvent se vanter.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar maltese » Dim 29 Nov 2015, 11:26

:super: Un grand film sous-estimé.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Dim 29 Nov 2015, 17:26

Oui, clairement. Il a pris 2,5 points pour ce nouveau visionnage.
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Fils de Saul (Le) - 6/10

Messagepar Nulladies » Lun 30 Nov 2015, 06:57

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Hors-champ en emporte le sens.

On a beau y avoir été préparé, le choix esthétique si singulier du Fils de Saul est une véritable claque dans ses deux premiers plans-séquences. Leur virtuosité, d’abord, par ce déplacement collé à un personnage qu’on ne lâchera plus, et la distribution intelligente de l’espace qui l’entoure, permettant une scénographie limpide, au service d’une narration, voire d’une démonstration qui tente de ne pas dire son nom. La bande-son, le jeu des couleurs et le flou exacerbé du second plan effarent d’autant plus qu’ils donnent à l’indicible une place centrale, mais filtrée par celui qui l’accompagne, s’étant accommodé à l’idée que sa vie n’est plus qu’un cauchemar aux contours flous.
Le film n’abandonnera plus ce parti-pris, asphyxiant volontairement le spectateur dans un format 1,37:1, le forçant, comme le forçat, à ces déambulations labyrinthiques, boule de flipper renvoyée d’un camp à l’autre, entre l’efficacité de l’industrie de la mort, les tentatives fragiles d’une mutinerie et sa propre quête, celle d’offrir une sépulture à un enfant qui pourrait être le sien. A chaque virage, Saul est alpagué, rivé à une tâche, qui l’interrompt dans son entreprise secrète, et permet simultanément de décliner l’infini de l’horreur, de l’accueil des convois à la cendre qu’on disperse, en passant par les fours, les fosses communes, les charniers et les exécutions sommaires.
Autour de lui, la fureur est partout, et cette frénésie, certes en second plan, rappelle, surtout pour sa bande-son, la violence de Requiem pour un massacre : pas question d’amenuiser ou d’éluder.
Alors que cette apogée permanente dans l’horreur semble nier la possibilité à un récit de se construire, les sonderkommando étant eux-mêmes destinés à être exécutés, László Nemes propose une habile parade : face à l’univers concentrationnaire, il s’agit de se délester de tout titre pour redevenir un homme. Saul se débarrasse de sa vitale veste marquée d’une croix rouge pour sauver le rabbin. Cet enfant, cette femme qu’il va retrouver contre son gré, ce rabbin qui n’en est pas un : tous perdent leur fonction, leur identité, pour ne devenir que des allégories d’une humanité qui devrait fermer les yeux pour s’extraire de l’inhumain qui l’entoure. Et l’un des compagnons d’infortune de Saul de prendre à bras le corps cette fonction de détenteurs de secret qu’on leur assigne, eux qui sont employés à effacer les traces, par ce geste qui mime en abyme toute l’entreprise du cinéaste : prendre un photo, et témoigner.

C’est bien dans ce choix, parfaitement réfléchi et tout à l’honneur de Nemes, que réside la force et les limites de son œuvre. Il semble incongru de se placer en habituel spectateur face à un tel sujet, comme il l’était de critiquer les choix formels de Pahani dans Taxi Téhéran : une certaine gêne s’installe, à pouvoir, de notre fauteuil, ergoter sur tel ou tel effet au service de notre souveraine émotion.
Pourtant, c’est elle qui finit par avoir le dernier mot.
Film virtuose, issu d’une idée brillante, Le Fils de Saul est l’œuvre parfaite pour école de cinéma, un exemple à garder pour une dissertation sur le point de vue, le second plan, la bande-son, l’adéquation entre forme et fond. Tout est pensé, tout est écrit au cordeau, et le film ne cesse de déployer sa lumineuse idée ; au point qu’on finit par ne voir qu’elle, au détriment d’une immersion totale. La frénésie constante empêche l’identification des personnages secondaires, et la trajectoire, certes convaincue du personnage, si elle passe par la déshumanisation, fait aussi de lui et de cet enfant des allégories, voire des instruments visuels, auxquelles on peine à s’attacher.
Plus embarrassant, l’écriture n’est pas dénuée d’effets de manche pour capter l’émotion du spectateur, de cette structure en thriller où les événements se précipitent (le nombre de convois obligeant à des exécutions par balles, l’organisation des attentats et les 70 noms des sonderkomando à exécuter à fournir pour le lendemain, la fuite lestée du corps de l’enfant dans l’eau…), ajoutant à l’étouffant cadre un emballement exténuant.
Quant à cette parade permettant d’approche l’horreur absolue sans la montrer totalement, ne nous y trompons pas : flouter n’est pas censurer, et l’œil n’aura de cesse de vouloir percer ce second plan pour y voir ce qui est suggéré, voire souligné, par une photographie qui isole les chairs claires des corps innombrables, ou une bande son qui accentue les pleurs d’enfants et le bruit sourd des coups de poings ou de feu. Le procédé est clairement à double tranchant, et semble plus appartenir à la rhétorique qu’issu d’une véritable pudeur humaniste. Nemes a relevé ce défi du film sur l’irreprésentable, et l’a fait avec des moyens qui soulignent son statut non usurpé de premier de la classe. La démonstration est imparable, et restera probablement dans les annales. Reste à se poser la question du résultat sur le spectateur, qui oscille entre reconnaissance formelle et embarras émotionnel, se demandant si ce personnage, vecteur visuel et chorégraphique, est une figure de style… ou si c’est un homme.
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Duellistes (Les) - 9/10

Messagepar Nulladies » Mar 01 Déc 2015, 06:50

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Deux hommes en colère

Pour son premier opus, Ridley Scott s’essaya d’abord au film historique avant de se révéler sur la SF par les deux pièces maitresses Alien et Blade Runner. Deux ans le séparent du monument Barry Lyndon, et le moins qu’on puisse dire, c’est que son influence est patente. La verdure de l’herbe, les chemins sinueux et ocre, la composition des cadres ou le zoom arrière sur des natures mortes, la voix off, tout semble rendre hommage au maître, sans qu’on y voie pour autant une flagornerie gratuite. Car en adaptant Conrad, le réalisateur choisit un sujet à la mesure de ces ambitions plastiques.
Les duellistes marque une nouvelle exploration de l’auteur d’Au cœur des ténèbres de cette folie qui peut gagner ces étranges créatures qu’on nomme les hommes. Soit un duel au motif futile qui va gangréner quinze ans de la vie de deux officiers, à partir de 1800. Puisque l’honneur prévaut, on ne se dérobe pas à ce protocole qui toujours tourne court, puisque l’on s’obstine à ne pas mourir, et toujours se rappelle à ces deux rivaux qui se croisent dans les tourments de l’Europe, notamment au fil des campagnes napoléoniennes.
Mêlant habilement l’histoire de ces individus à l’Histoire qu’ils alimentent ou subissent, le récit prend un malin plaisir à les voir s’empêcher mutuellement d’avancer. Alors que l’un, Féraud (Harvey Keitel, insolent de fierté), ne cesse de provoquer les combats, l’autre tente de fuir sans pouvoir pour autant renoncer au code de l’honneur qu’il défend, allant jusqu’à compromettre carrière opportuniste et mariage de raison. Dans ce duo malsain, nul n’est plus à blâmer que l’autre, puisqu’on peut opposer l’acharnement stupide du premier aux compromissions du second, devenu royaliste à la chute de leur idole initiale, Napoléon. Magnétisés l’un par l’autre, épris d’un respect haineux, ils sont l’incarnation de cette impossible synthèse entre raison et passion, tourments individuels et protocole.
Sur cette ligne claire, Scott compose une partition de toute beauté. Déclinant tous les duels possibles, à l’épée, au sabre, au fleuret, aux pistolets, dans la neige ou des ruines brumeuses, en forêt ou des caves voûtées, il ponctue son film de ce rendez-vous funeste avec une plasticité virtuose, tandis que les rivaux s’épuisent, s’abiment dans cette égalité tragique. Et, comme en guise d’équilibre, il dissémine quelques touches ironiques venant écailler le vernis des conventions, de l’éternuement de d’Hubert au moment de présenter les armes à une demande en mariage perturbée par des chevaux.
A mesure que le film avance, chaque duel peut être le dernier, et la tension s’accompagne d’une attention toujours plus prégnante au décor. La séquence finale, entre forêt et château en ruine, est d’une splendide symbolique, entre un retour à l’état de nature par la sauvagerie des instincts, et la traversée d’un monde médiéval déjà disparu, dont on tient pourtant ce genre de code obsolète.
La résolution est à la mesure de la finesse psychologique disséminée au fil de ces deux décennies.

Lorsqu’il tient en joue son rival acharné, d’Hubert lui laisse la vie sauve en le considérant comme mort, et avec lui la soumission qu’il lui a imposé si longtemps. Il va pouvoir vivre, tandis que Féraud devra faire le deuil de cette issue tant désirée, celle d’une des deux morts.


Echec du code, victoire de la vie, ou demi-mesure d’individus qui ne sont plus à la hauteur de l’héroïsme romanesque dont ils se réclamaient ? C’est bien dans cette finesse trouble, qui rejoint là encore bien des thèmes du séminal Barry Lyndon, que se joue la grandeur malade des Duellistes.
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Messagepar osorojo » Mar 01 Déc 2015, 08:56

Cool, bonne pioche à priori :mrgreen:

Tu me donnes envie de le revoir ^^
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Mar 01 Déc 2015, 08:58

Je voulais le voir depuis bien 25 ans, et franchement, grande et belle surprise. Merci d'ailleurs . :wink:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Alegas » Mar 01 Déc 2015, 09:57

Toujours surpris de constater qu'aucun BR n'est prévu pour celui-là. A croire qu'il y a un problème de droits.
"Our films were never intended for a passive audience. There are enough of those kinds of films being made. We wanted our audience to have to work, to have to think, to have to actually participate in order to enjoy them."

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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Mar 01 Déc 2015, 10:02

Je l'ai vu en 720, et c'était déjà splendide...
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Mr Jack » Mar 01 Déc 2015, 17:25

Faut que me le fasse un jour, celui là !
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Mar 01 Déc 2015, 17:40

Vive recommandation en tout cas !
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Jimmy Two Times » Mar 01 Déc 2015, 18:51

Un film qui vieillit comme le bon vin. Tuerie!
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