[Nulladies] Mes critiques en 2015

Modérateur: Dunandan

Dame de trèfle (La) - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 09 Nov 2015, 07:36

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Le bas fond de l’air est vrai.

Alors qu’il se manifeste désormais davantage dans la comédie dramatique (avec les réussis Temps de l’aventure et A trois, on y va), Jérôme Bonnell tenta à ses débuts une incursion du côté du polar.
C’est avant tout à la restitution d’une atmosphère qu’il s’attèle : dans les bas-fonds d’une France grise et populaire, ses bars, ses petites escroqueries et sa population abimée, un couple surnage. Lui s’acoquine avec plus gros poisson que lui dans un vol de cuivre tandis qu’elle passe d’un homme à l’autre dans les brumes de l’alcool. Le spectateur met un certain temps à comprendre qu’ils sont frère et sœur, et cette ambiguïté est l’une des poisseuses efficacités de ce film noir. La trajectoire est double : d’un côté, la descente aux enfers suite au braquage foiré de l’acolyte, contraignant Aurélien (Malek Zidi, intense et angoissé) à dépasser la ligne jaune, de l’autre, la rébellion permanente d’Argine (Florence Loiret Caille, pavé punk dans la mare, impressionnante) qui joue avec le feu et se consume à grande vitesse.
Si le scénario n’est pas particulièrement original, il mêle habilement les destinées et les caractères complémentaires des deux protagonistes. La mécanique du pire est bien menée, et la tension résultant des maladresses de l’un de l’imprévisibilité de l’autre enclenche une tonalité tragique plutôt efficace. Dans ce marasme où les seules résolutions semblent l’avortement ou le meurtre, les traits sont quelque fois un peu forcés, mais l’idée de pousser les situations dans leurs retranchements est assumée pour permettre une libération future des personnages : de ce point de vue, la catharsis est à l’œuvre, et Bonnell parvient à la construire de façon convaincante.
Il le sera cependant bien plus dans l’exploration de sentiments plus modestes sur ses films suivants.
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007 Spectre - 4/10

Messagepar Nulladies » Mer 11 Nov 2015, 07:50

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Poupées de cire, purée sans fond.

Le nombre de reproches qui se présentent face à Spectre est à peu près équivalent à l’armée massée devant Minas Tirith : on ne sait plus où donner de la tête.

Dès lors, raisonnons. Nous sommes face à une mythologie qui comporte, depuis bien des décennies, un cahier des charges incontournables. On baise la veuve, la vraie girl résiste au moins une fois avant de laisser ses hormones parler suite à une baston mettant à sac un train, l’homme de main du méchant fait trois mètres et semble avoir des muscles en titane, bases secrètes dans des cratères, tout ça.

De la mythologie, Spectre en tellement gangréné qu’il semble être une pièce de musée. Et c’est bien là le problème. Skyfall prenait des directions nouvelles sans pour autant trahir la franchise, que ce nouvel opus semble complètement nier. L’humour est pathétique, les dialogues consternants, et, surtout, l’intrigue d’une linéarité confondante.
Nous jouer la carte des agents 00 sur la touche parce qu’aujourd’hui, on a des drones et une société de surveillance, voilà qui estomaque par son originalité.

L’essentiel est ailleurs, me dira-t-on. Cherchons. Les scènes d’action ?
L’ouverture est effectivement prometteuse : superbe plan séquence, percussions martiales, le parcours de Bond de la rue aux toits a tout d’une érection revigorante. Las, à partir du moment où il monte dans l’hélicoptère, tout s’effondre : le grand n’importe quoi sclérose à la fois le montage et les répétitions, la scène n’a aucun rythme, aucun enjeu véritable.
Certes, Mendes varie les décors et les couleurs, de la neige au sable en passant par les nuits romaines ou londoniennes. La poursuite en voiture n’est pas dénuée de fluidité, mais qu’on se permette d’avoir des réserves sur le concept de l’avion traineau, bourrinage gratuit et sans aucune grâce. Et passons sur la scène de torture, aussi éculée qu’inutile, ou du double compte à rebours final.

La première bande-annonce, faisant fi de tous ces passages obligés, insistait, dans la lignée de Skyfall, sur la sombre quête de l’agent dans les arcanes d’une société obscure et d’une filiation mystérieuse. C’est là, censément, le cœur de Spectre. Et c’est là son point le plus faible. Quelle insulte à Christoph Waltz que le rôle qu’on lui offre ! Quelle banalité que sa quête, quelle paresse que le lien fait entre la destinée des services secrets britanniques et ce conquérant du monde moderne de l’information…
Et, puis, tout de même, au rang des mobiles les plus grotesques de l’histoire, Spectre monte sur le podium avec des échasses :

Spoiler : Je vais conquérir le monde, saigner femmes et enfants, développer esclavage, prostitution attentats, orwellisation, parce que Papa faisait du ski avec James.


Interminable, inexpressif, sans chair, il ne reste à ce Spectre qu’une vague classe qui vous permettra d’avoir du vodka-martini au shaker et des voitures très chères, des costumes impeccables et une montre explosive.
Et à ceux qui prétendent que cette mythologie est à prendre ou à laisser, qu’on se remémore la belle audace du précédent opus, ou, au hasard, la façon dont une autre franchise parvenait à jouer de ses codes pour un véritable plaisir : Mission Impossible 5.
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Agents très spéciaux - Code U.N.C.L.E. - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 12 Nov 2015, 06:44

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Une ambiance guère froide.

Les blockbusters sont comme les sucreries : certaines séduisent plus que d’autres, certaines accrochent aux dents, écœurent très rapidement ou vous crament l’œsophage.
Mais de temps à autre, dans le bol géant et coloré qu’offre chaque année l’industrie du divertissement, vous trouvez la petite pépite qui, le temps de croustiller ou de fondre, de répandre ses arômes agréables, vous aura offert un moment aussi agréable qu’éphémère.
The Man from U.N.C.L.E relève de cette catégorie. Rien de nouveau sous le soleil, de la coopération forcée entre rivaux au scénario à twists en cascade, des poursuites aux explosions, nous sommes sur un terrain balisé, sur lequel le formaliste Guy Ritchie applique des recettes bien rodées depuis Arnaques, crimes et botanique.
Adeptes de la frime et des mensonges, ses personnages d’espions contaminent la tonalité du film qui assume son emballage poseur au service d’une petite jubilation permanente : effets clipesques, musique à la Morricone, split-screen en pagaille, Ritchie joue la carte du comic à fond, et avec une véritable efficacité.
L’intrigue n’est évidemment qu’un prétexte pour une structure à tiroirs dans laquelle les sourires glamour le disputent aux traitrises nonchalantes, les femmes tombent comme des mouches dans les pieux et les rivaux sous les balles. On se surprend à constater qu'Henry Cavill est capable de jouer quelque chose d'autre qu'un rocher, ce que laissait supposer Man of Steel.
C’est sans doute là que le film fait mouche : dans le fait d’assumer sa dimension parodique : d’un pique-nique en pleine course poursuite, d’un KGB kiss permettant au rival de rester debout et évanoui, de nazis folkloriques, tout est avant tout au service du rythme (jusqu’à l’overdose, reconnaissons-le, notamment dans les zooms mode google map de la poursuite à trois sur la montagne).
A cela s’ajoute un jeu sur le temps qui, s’il n’est pas non plus foncièrement original, dope un peu plus la dynamique : légères ellipses, retour sur un détail, flash backs permettant de relire des scènes faisant l’objet d’une supercherie, tout est étudié pour faire du spectateur un omniscient privilégié ou un berné consentant.
Le film s’achevant sur la constitution du groupe U.N.C.L.E, on imagine bien la suite dans les idées des studios quant à en faire une. Projet incertain, tant le goût de cette petite friandise tient à sa fraîcheur éphémère, dont on oubliera beaucoup, si ce n’est que ce fut plaisant.
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Seigneur des Anneaux : La Communauté de l'Anneau (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 13 Nov 2015, 07:04

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Proud Atlas

Revoir Le Seigneur des Anneaux fait émerger une question essentielle : qu’est-ce qui fait de la trilogie de Jackson un classique ? Comment expliquer que, plus d’une décennie après et en dépit des fulgurants progrès en matière d’effets spéciaux, des nombreuses tentatives de renouer avec un tel succès, cette saga s’impose et bénéficie d’un souffle unique ?

La première explication est à chercher dans le savoir-faire du cinéaste. La communauté de l’anneau se doit d’exposer un monde complexe et profus, et Jackson parvient à équilibrer savamment l’aspect documentaire et la narration. Le sens du détail impressionne avant tout : costumes, accessoires, interaction avec les différentes ethnies, chaque nouveau décor est un tableau soigné à la perfection, au service d’une illusion immersive qui fonctionne comme jamais. En écho à ces plans moyens (La Comté, l’auberge, la forêt des elfes…), le cinéaste prend aussi soin de dessiner la cartographie générale des Terres du Milieu, fidèle à cette unique image qu’avaient les lecteurs de Tolkien en deuxième de couverture. Entre les deux pôles du Mordor et de l’Isengard, le surplomb visuel est d’une maitrise totale : des montagnes aux rivières, des plaines aux forêts, la caméra balaie un territoire si vaste par ces prises de vues sur la Nouvelle-Zélande qu’elle donne avec grandeur le souffle épique de la saga naissante.
Le recours à l’image numérique est certes présent, mais convainc par une intégration harmonieuse, qui fait de la nature et d’une dimension folklorique une véritable priorité. Dès lors, on savourera d’autant plus la forêt laiteuse colonisée par les elfes ou la noirceur minérale des mines de la Moria.
La seconde raison tient bien entendu dans la qualité initiale du livre adapté. De ce point de vue, Jackson préserve avec le plus grand soin les problématiques du roman. La version longue, pourtant redoutable dans une introduction, fonctionne bien en réalité. Le premier volet de la trilogie introduit avec intelligence les grandes lignes à venir : plutôt que de s’épuiser à embrasser la totalité de l’univers à découvrir, l’auteur choisit un représentant de chaque peuple pour figurer dans la fameuse communauté. Cette modestie initiale est particulièrement efficace : les grandes questions sont abordées, tout comme l’est la symbolique de l’anneau et de la convoitise qu’il suscite. Le fait de faire de Frodon le personnage principal souligne cette volonté : dépassé, mutique, il se distingue par une qualité unique, sa bonté et sa résistance à l’attraction maléfique. Autour de lui, les passions se déchainent, les tractations politiques et les mensonges se déploient, tandis qu’il s’attèle à une unique trajectoire, quitte à se délester du groupe.
L’épique est un prélude dans La Communauté de l’anneau : de grande bataille, il n’est point encore question. Tout se prépare, tout s’annonce. Et pourtant, le souffle est bien là : le frisson de voir la terre d’Isengard s’ouvrir pour y préparer la noire conquête, celle de la Moria dévoiler son armée grouillante et obscure, et la beauté lugubre des Nazgûls arpenter les mêmes chemins que notre frêle héros.
Et le spectateur de se réjouir à l’idée de poursuivre le voyage.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Jimmy Two Times » Ven 13 Nov 2015, 08:36

Je vais me laisser tenter par le Ritchie puisque tout le monde s'accorde à dire que c'est mieux que le Bond (un comble tout de même quand on y pense).
I'm the motherfucker who found this place!
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Homme sans âge (L') - 5/10

Messagepar Nulladies » Mar 17 Nov 2015, 06:43

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Ses ailes de géants l’empêchent d’exprimer.

Dans la curieuse et éclectique carrière de Coppola, L’homme sans âge est un ovni peu surprenant. On sait que le génie ne recule devant rien, ni les projets modestes, ni les films de genre, ni l’expérimentation la plus débridée.
De ce fait, L’homme sans âge est à rapprocher de Tetro, l’ambition en plus : là où ce dernier s’attache à une fratrie, cet opus veut embrasser bien plus large, de la linguistique à la réincarnation, en passant par l’amour fou et la fuite du temps. Tout cela, reconnaissons-le, fait beaucoup. Ajoutons-y des audaces visuelles (cadrage oblique, caméra à l’envers, filtres bleus électriques très 80’s pour les nuit…) et la coupe est pleine.
On ne sait pas bien où donner de la tête dans ce grand mélange qui se paie en plus le luxe de désactiver le pathos qui devrait faire sa chair. Les comédiens sont étrangement détachés, le montage joue sur les effets de rupture et l’arythmie. Reste cette vaste réflexion dans laquelle Tim Roth se scinde en deux personnes et devise sur les origines du langage, l’amour à l’échelle des d’une vie humaine ou de plusieurs, et l’inhumanité qu’il y aurait à s’affranchir du temps.
La thématique de la modification de la linéarité temporelle a déjà occupé les cinéastes, toujours en lien avec l’amour : c’est le cas de l’enfant immortel d’AI de Spielberg, Jack, du même Coppola, et bien entendu le Benjamin Button de Fincher. Mais il lui manque ici l’émotion essentielle, comme si tout le film se mettait au diapason de cet homme hypermnésique et incapable de se faire réellement comprendre des autres. La tentation est grande de faire le parallèle avec Coppola, sa stature de génie incontournable de l’histoire du 7ème art et la bulle atemporelle dans laquelle il se meut lentement depuis qu’il n’a plus à rendre de comptes. On adhère ou pas ; et si l’on reconnait clairement la marque d’un cinéaste qui maitrise son moyen d’expression, on aimerait qu’il aille davantage à la rencontre de son spectateur.
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Loi du marché (La) - 5,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 17 Nov 2015, 06:46

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L’édit lourd de la méthode

La loi du marché fait partie de ce registre de films devant lequel il est délicat d’être critique ; comme pour Taxi Téhéran ou Timbuktu, le propos pourrait l’emporter sur la forme et notre indignation sur le recul nécessaire à son analyse.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Brizé n’avance pas avec de gros sabots, et on a connu bien pire en matière de film « social ». S’il lorgne assez clairement du côté des frères Dardenne et notamment de Deux jours, une nuit, la caméra ne lâchant pas son protagoniste, il tente tout de même une approche singulière.
Le film se découpe en larges segments, étirés parfois au-delà des limites du raisonnable, motivés par cette quête d’une captation du vrai. Il faut reconnaitre que la plupart du temps, et surtout au début, forme et fond sont en symbiose : les comédiens, Lindon en tête, sont tous d’une authenticité rare (et on compte sur les doigts d’une main les réalisateurs français qui parviennent à en restituer une d’une telle intensité), l’écriture juste, et surtout, le malaise à la fois muet et palpable. Sans pathos, dans un quotidien qui semble accepté par tous, Brizé met en place les procédés de l’anéantissement. Son personnage se bat sans crier, et lutte contre les multiples outils de l’écrasement. Tout se négocie, et tous cherchent à le faire s’effriter d’avantage, des conseillers de pôle Emploi aux DRH dans les entretiens, de sa banque à un acheteur potentiel de son mobil home.
A cette destruction méthodique s’ajoute une méthode, fondée sur la déshumanisation. L’écriture, assez fine, joue sur le langage codé des prédateurs, dont le lexique enrobe la violence dans un jargon étudié et des formules toutes prêtes, jusque dans l’interminable négociation avec l’acheteur : les mots sont devenus des armes automatiques, un lexique dans lequel on puise sans aucune compassion. De la même manière, le numérique et la technologie font désormais écran entre les êtres : entretien par Skype, vidéo-surveillance, l’être humain n’a plus d’épaisseur. La séquence assez terrible d’analyse de la vidéo dans une formation synthétise cette méthode : on reproche au protagoniste de ne pas savoir se vendre, d’ignorer les signes non verbaux, qui représenteraient « 55% » des méthodes de persuasion. Et le stagiaire humilié d’acquiescer, de se motiver encore davantage à devenir une machine.
La forme et les moyens mis en scène sont donc à la fois réfléchis et souvent efficaces ; reste à savoir vers quelle fond d’achemine cette démonstration. Le problème réside dans cette volonté de ne jamais dévier de cette méthode, et de contempler avec une complaisance qui semble virer au sadisme par la longueur et la répétition des motifs. D’autant que les circonstances atténuantes ne cessent de s’accumuler : fils handicapé, voiture en panne, suicide d’une collègue, notre père courage voit défiler face à lui, sur un tapis roulant, la violence du monde dénuée de toute possibilité de dialectique. A toujours placer les personnages en victimes, à montrer les dirigeants en prédateurs, on se retrouve devant un pamphlet grossier qui finit par s’épuiser.
Le discours biaisé du DRH général trouvant d’autres motifs (fils drogué, dettes) au suicide de la caissière est en cela particulièrement intéressant. Cette malhonnêteté, cette façon d’orienter une lecture du réel pour la forcer à aller dans son sens est exactement ce qu’on pourrait reprocher au réalisateur.
Car on ne s’y trompe pas : derrière cette apparente neutralité, cet habillage de vérité brute, se loge la fougue un peu adolescente et sans concession d’un réalisateur au regard clivé. Et si, dans un premier temps, la forme servait le fond, celui-ci finit par fragiliser la démonstration générale.
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Note: 5/10
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Valley of Love - 5,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 18 Nov 2015, 06:34

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Le pitch était presque parfait.

Il faut reconnaitre que bien des éléments étaient alléchants dans ce projet singulier : les retrouvailles de deux sommets du cinéma français 30 après, un décor américain et un pitch singulier, flirtant avec le fantastique.
Dans cette vallée de la mort tellement cinégénique, qui nous renvoie aux délires psychédéliques d’Antonioni dans Zabriskie Point ou la fascination plastique de Dumont et son TwentyNine Palms, Depardieu et Huppert cherchent donc des traces de leur fils, leur ayant donné un rendez-vous posthume.
Une musique dissonante, des contrastes de photographie entre des intérieurs trop sombres et une implacable clarté extérieure mettent en place une atmosphère singulière et intrigante. Sur le fil entre le fantastique et le film d’auteur à la française, le film a dans un premier temps la bonne idée de ne pas trancher. Les thèmes de la culpabilité, les informations disséminées progressivement sur les manquements des parents et le parcours du fils exilé forment un étrange équilibre.
Mais tout ceci ne semble qu’ébauché. Le véritable sujet du récit semble à l’image de Depardieu : un ventre mou. Difficile en effet de faire abstraction des deux stars, tant ils sont de tous les plans, tant leur statut de touristes et leur quête saugrenue fait d’eux des exceptions. Huppert fait dans ce registre qu’on lui connait, avec cette insolence sans âge qui transforme ses croyances folles en quasi évidences. Depardieu, énorme, s’exhibe, essoufflé, et la personne l’emporte largement sur le personnage.
Certes, Nicloux cherche à définir une dynamique et distille des indices du plus en plus prégnants du fantastique, comme une tête de chien dans un sac, des brûlures étranges ou une apparition d’un être difforme qui nous renvoie à l’univers lynchien de Twin Peaks. Mais tout ceci manque considérablement d’épaisseur, et même si l’émotion finit par poindre, on se demande bien à quoi tout cela rime en définitive. Vague et vaine dissertation sur la famille et le couple, poème élégiaque légèrement inepte, Valley of love est à l’image de son titre : sa naïveté l’emporte sur ses possibles intentions cachées.
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Royaume de Ga'Hoole - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 19 Nov 2015, 12:37

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Le seigneur des oiseaux

La première chose qui impressionne dans ce long métrage, c’est son âge : 5 ans. A l’ère du numérique, un gouffre sépare notre époque de celle qui l’a vu naitre en matière d’innovations technique au service de l’image numérique.
Et pourtant, Le royaume de Ga’Hoole n’a pas pris une ride de synthèse. Il relève avec brio le défi des designers qu’est celui des plumes, déclinant à l’infini les figures de chouettes et autres hiboux, saisissant d’expressivité et animés dans les moindres détails.
Certes, le scénario ne se distingue pas particulièrement par son originalité et on a connu depuis des développements plus intéressants sur le plan psychologique, à l’image du réussi Dragons.
Mais force est de constater que le film parvient à poser un univers de fantasy avec un sens visuel très efficace, et caractériser ses personnages de façon convaincante.
Tout, dans la quête comme dans les détours du récit, est inféodé à un principe fondamental, celui de la cinématique du vol. Pour les héros, il s’agit de savoir déployer ses ailes et ne pas se contenter de planer, capter les courants des vents, affronter la pluie et les rafales. Les séquences sont splendides, le mouvement d’une fluidité inégalable. Lorsqu’il progresse vers l’épopée, le film s’en sort presque aussi bien. Les entrainements deviennent militaires et les combats aériens, Zack Snyder assumant alors pleinement l’influence de films séminaux comme Matrix ou Tigres et Dragons, recourant (voire abusant, il faut bien le reconnaitre) aux ralentis et aux mouvements circulaires.
Il manque quelques éléments pour que le registre épique se déploie pleinement, notamment dans certaines ellipses qui donnent un caractère un peu expéditif au récit, surtout vers sa fin. Mais au vu de la minutie visuelle, on peut comprendre qu’ils n’aient pu se permettre de faire un film plus long. On sait que Snyder est capable de tout, d’une mélancolie numérique réelle comme dans Watchmen au sérieux le plus pathétique dans Man of Steel. Il semble ici avoir trouvé un certains point d’équilibre sur lequel il n’est pourtant apparemment pas prêt de revenir…

Et puis, nous proposer une séquence d’envol incendiaire avec du Dead Can Dance, si c’est pas la classe pour le fan qui ne s’y attendait pas…
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Alegas » Jeu 19 Nov 2015, 12:41

Dommage qu'il soit méconnu ce film. C'est généralement le plus boudé dans la filmo de Snyder alors que ça doit être facile dans son Top 3.
Sinon ouais, la qualité visuelle est irréprochable. Si t'as pas vu les Happy Feet, conçus par le même studio, c'est du même niveau. :wink:
"Our films were never intended for a passive audience. There are enough of those kinds of films being made. We wanted our audience to have to work, to have to think, to have to actually participate in order to enjoy them."

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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Jeu 19 Nov 2015, 12:46

Alegas a écrit:Dommage qu'il soit méconnu ce film. C'est généralement le plus boudé dans la filmo de Snyder alors que ça doit être facile dans son Top 3.
Sinon ouais, la qualité visuelle est irréprochable. Si t'as pas vu les Happy Feet, conçus par le même studio, c'est du même niveau. :wink:


J'en ai vu un des deux, il y a fort longtemps, plus trop de souvenir. En revanche, pour le coup, je préfère les films live de Miller 8)
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Cadet d'eau douce - 9/10

Messagepar Nulladies » Sam 21 Nov 2015, 06:49

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Dansons sous la pluie

Rendre compte d’un film de Buster Keaton, c’est questionner la grâce.
Dans Cadet d’eau douce, la longue entrée en matière insiste sur l’exposition du maladroit, du fils décevant, qui répond à l’inverse de toutes les attentes : fils du perdant, incapable de faire un pas sans qu’il soit accompagné d’un gag, chétif, voire efféminé, il est l’antihéros par excellence. Son irruption a tout de l’insolite poésie dans un monde figé. Avec lui, chaque câble, corde, marche, manette est le prologue à une chute ou un cataclysme, et quelque tentative que ce soit pour le faire rentrer dans le rang se solde par un savoureux décalage, comme cette superbe et longue scène d’essais de chapeaux. Sur le visage mythologiquement impassible du comédien se succèdent les couvre-chefs, et la magie du comique opère : une inclinaison de visage, une main qui redresse un bord, et l’on assiste à la naissance du personnage, sa délicate vanité et sa fraicheur spontanée.
C’est cette fragilité précieuse qu’il va porter avec lui dans un univers qui fait clairement de lui un pantin, jeu auquel il se soumet apparemment bien volontiers : revêtant les habits qu’on lui donne, mais préférant à l’utilitarisme de son rustre de père le raffinement de sa future dulcinée, le fils trimballe avant tout un corps élastique qui se cogne au réel pour y faire naitre une mélodie unique. On a beau le brusquer, piétiner sa guitare et l’enfermer dans sa cabine, rien n’y fait : il est libre comme l’air et d’une insolente maladresse.
Tout le charme se cristallise dans ce paradoxe fécond : chorégraphier au millimètre l’accident, faire exploser le rire face à ce visage inerte, créer du rythme face à la longueur et la répétition. Les tentatives laborieuses d’héroïsme, comme la distribution du pain contenant les outils nécessaires à l’évasion du père, semblent condamner le protagoniste. Mais la tempête finale sera celle de toutes les surprises : fracassant les décors comme les idées reçues, elle permet une tabula rasa à l’issue de laquelle le personnage va prendre, dans tous les sens du terme, son envol. Séquence de bravoure, elle donne en 1928 un camouflet à tous les blockbusters du siècle à venir, de Twister aux Roland Emmerich, grâce à cette valeur ajoutée fondamentale de la poésie : un lit qui glisse vers une écurie, Star unique au cœur de la tornade, Keaton bondit, glisse, plonge dans les bourrasques et passe à travers une flopée de cloisons avec l’agilité d’un acrobate. Coïncidence étrange, il croise dans sa course d’obstacle un théâtre dans lequel un pantin lui fait de l’œil, comme s’il abandonnait celui qu’il a été au départ, avant de conclure par un ingénieux système lui permettant de piloter le steamboat à distance, par de multiples cordes qui ne peuvent que rappeler celles d’un maitre de marionnettes : l’émancipation est donc totale. Le héros pantin est devenu metteur en scène, et avec le même talent qu’il conduisait une locomotive dans Le Mécano de la General, il sauve ici les siens, et donne au cinéma muet toutes ses lettres de noblesse.
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Macbeth (2015) - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 22 Nov 2015, 07:30

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The milk oh human madness.

Face à un monument littéraire, plusieurs choix s’offre à l’adaptateur : l’audace et la liberté, garante d’une affirmation singulière s’inscrivant sur les traces du glorieux ancêtre, à la manière de Kurosawa et son splendide Château de l’araignée ; le respect et l’hommage, serment d’allégeance visant à illustrer le matériau originel.
Justin Kurzel s’inscrirait plutôt dans cette deuxième catégorie. De Macbeth, il garde presque tout, de la lande Ecossaise à la langue de Shakespeare, de l’époque et des costumes. De ce point de vue, le film est une adaptation comme il a pu y en avoir des dizaines, mais c’est finalement la plus grande prise de risque possible. Débarrassé des oripeaux d’une libre relecture, le cinéaste se confronte au texte et livre une copie presque impeccable.
On peut néanmoins craindre dans un premier temps que le fond ne soit desservi par une forme assez outrancier. Les incursions sur les terres de l’épique font l’objet d’une mise en scène un peu discutable, à grands renforts de ralentis, de brume colorée et de fracas des armes qui peinent à convaincre, instaurant un équilibre instable avec la sobriété à venir.
Car c’est bien là que se joue l’essentiel du film : dans cette dépendance à sa dramaturgie et à sa dimension éminemment littéraire, le cinéaste contraint les comédiens à des monologues, à une diction travaillée et une prééminence du verbal qui influe considérablement sur la mise en scène ou sur leur jeu. Et dans ce choix radical réside toute la réussite du projet. Fassbender et Cotillard mettent toute leur énergie au service d’une folie rentrée, chuchotant presque la totalité de leur texte au lieu de le déclamer, autre audace permise par le cinéma, et en adéquation avec une musique lancinante et anxiogène. La photographie, superbe, permet comme rarement de donner à voir la froideur des châteaux, le règne d’une pierre glaciale dans laquelle les époux diluent leurs derniers soubresauts d’humanité.
C’est bien d’une alchimie qu’il s’agit : face à la puissance de la langue (qui nous fait retrouver avec émotion toutes ces expression passées à la postérité, comme, entre autre, « Sound & Fury » ou The Milk of Human Kindness »), la dévotion des comédiens, l’ample désolation des paysages et la propagation du mal dans la mise en scène. En guise d’apogée, la scène de banquet occasionne un découpage fantastique, une alternance entre les individus et la cour, le protocole et la folie, les ordres royaux et le désordre intime gérés d’une main de maître. Si l’épique initial revient pour le combat final, il semble davantage justifié dans la mesure où c’est désormais une victoire presque surnaturelle du tragique qui occasionne cette venue, par l’incendie, de la forêt au château dans une brume incandescente. Kurzel conserve nettement l’ambition de faire un film de cinéma, et ne se prive pas de poursuites en forêt, d’une violence très graphique et d’un duel final qui a tendance à tirer un peu en longueur.
Il n’en demeure pas moins que le pari est gagné : la puissance shakespearienne exsude de toute part, dans ce ballet noir de violence, de pouvoir et d’aliénation ; et cette exploration de la puissance à laquelle les hommes accèdent lorsqu’ils laissent l’hybris s’emparer d’eux est à la mesure de l’universalité de la pièce.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar caducia » Dim 22 Nov 2015, 10:00

Il faut que je me motive pour aller le voir.
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Bande de filles - 5/10

Messagepar Nulladies » Mar 24 Nov 2015, 06:38

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Entre les dures.

Entre Naissance des pieuvres et Bande de filles, il n’y a qu’un pas, mais il est de taille : la prétention à servir un discours sociologique. Dans son premier film, Céline Sciamma traitait aussi de l’adolescence féminine, des repères fragiles propres à cet âge, de la découverte de l’amour. Les choix étaient identiques dans l’absence ostentatoire des adultes, et les décrochages poétiques par des instants de grâce musicale, une caméra rivée à ses personnages et traquant les moindres inflexions de ces êtres à fleur de peau.
Autour de son héroïne, la splendide et magnétique Karidja Touré, Sciamma dresse une cartographie par cercles : la famille, la bande, puis le crime. Si les scènes de groupe fonctionnent plus ou moins, la trajectoire et la métamorphose de la protagoniste convainquent dans son jeu et son apparence davantage que par les étapes du récit. Assez sommaire, il fait succéder à l’amitié l’amour, qui salit sa réputation et la fait basculer dans la vente de drogue. Tout cela est d’une limpidité assez déconcertante, et le film navigue maladroitement entre plusieurs directions. S’il s’agit d’un aperçu de la condition féminine en banlieue, il est grossier : mère au foyer ou criminelle, il faut choisir. S’il s’agit d’un film arty à grand renfort de séquences musicales, c’est inégal, parce que plombé et sans grande cohérence dans l’équilibre général.
Il ne suffit pas de capter des instantanés d’une jeunesse débridée pour faire un film : séquences d’insultes, fight clubs locaux ou rire au minigolf, la frontière est ténue entre l’aspect documentaire et authentique, sur les traces d’un Kechiche, et la surécriture qui pourrait virer à la condescendance.
C’est là ce qui gêne le plus : cette incapacité à choisir entre l’esthétisme chic et le propos choc. La photographie est souvent très belle, et la ville nocturne admirablement restituée. Le visage de la comédienne sublimé, et la musique choisie avec soin.
Ce qu’il faudrait, en somme, c’est qu’on ne s’embarrasse pas à nous raconter quelque chose, et encore moins à nous démontrer quoi que ce soit.

Céline Sciamma ferait d’excellents clips.
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